Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Grâce à Dieu


France / 2019

20.02.2019
 



LE SILENCE QUI TUE





Tourné dans le plus grand secret, Grâce à Dieu aborde la question de la pédophilie dans l'Eglise en relatant l'histoire des victimes du prêtre Bernard Preynat accusé d'attouchements sexuels sur de jeunes scouts dans la région de Lyon. Le film, présenté en compétition à Berlin où il a remporté le Grand Prix du jury, s’inscrit contre son gré dans l’actualité, puisqu’il sort au moment-même où le cardinal Barbarin et Régine Maire, psychologue au service du diocèse, attendent le verdict du procès dans lequel ils sont accusés d'avoir couvert les agissements du prêtre, et avant même que le principal accusé n'ait lui été jugé. Hasard de calendrier, le procès du père Preynat ayant été sans cesse reporté. Mais la justice a tranché : même si les accusés y apparaissent sous leur véritable nom, Grâce à Dieu, qui demeure une œuvre de fiction, ne porte pas atteinte à leur présomption d’innocence.

Mais si l’on a beaucoup parlé du volet judiciaire de l’affaire, il est temps de parler de cinéma, le grand lésé de l’histoire. Il sera facile à beaucoup de se laisser submerger pas l’aspect émotionnel de ce que raconte le film : et pour cause, le fléau de la pédophilie dans l’Eglise étant à la fois révoltant et insupportable. François Ozon fait pourtant beaucoup plus que de faire pleurer dans les chaumières, ou enfoncer la porte ouverte de la condamnation des actes pédophiles, en retraçant le plus minutieusement possible non pas les faits incriminés, mais le long processus de la libération de la parole et de l’action collective.

La narration est en effet un mélange de reconstitution quasi documentaire et d'enquête minutieuse racontant comment le premier plaignant a porté plainte contre le prêtre Preynat après avoir tenté une conciliation avortée avec l'Eglise, puis comment d'autres victimes se sont jointes à son combat en montant l'association "la parole libérée". La première partie du film consiste ainsi notamment en un échange épistolaire (lu en voix-off) entre Alexandre Guérin (Melvil Poupaud) et Régine Maire d'une part, et le cardinal Barbarin d'autre part. Les enjeux y sont clairement posés, entre le besoin qu'éprouve la victime de voir le responsable sanctionné et la volonté de la hiérarchie religieuse d'amener l'affaire sur le terrain du pardon et de la repentance. Ces allers et retours entre les deux "camps", par le biais des lettres et des rencontres, se font sans temps mort, dans une forme de sécheresse narrative qui laisse très peu de place pour la fiction. Du personnage principal, on ne saura que ce qui a rapport à l'affaire, toute digression étant bannie, ou laissée hors champ.

La parole qui libère

François Ozon dresse ainsi en creux le portrait de l'accusé (pas vraiment à son avantage) mais aussi de Barbarin et de son équipe, présentés comme les gardiens d'une énorme machine rigide et froide qui ne pense qu'à sa propre sauvegarde. Le film décortique alors la stratégie d'évitement du cardinal, ainsi que l'incompréhension agacée, dénuée du moindre tact, de ceux qui l'entourent : "Pourquoi toujours remuer ces vieilles histoires ?" s'exclame l'un des responsables du diocèse.

On suit ensuite successivement deux autres personnages (interprétés par Denis Ménochet et Swann Arlaud) ayant été abusés par le prêtre, qui poursuivent le travail commencé par Alexandre Guérin. Le premier se met en quête d'autres victimes, en créant l'association "la parole libérée", et le second s'engage dans le mouvement, y trouvant un moyen de reconstruire sa vie. Le film bascule plus clairement dans le format de l'enquête, sans céder pour autant aux sirènes du sensationnalisme. L'aspect très clinique de la première partie laisse place à une fiction plus classique, avec quelques scènes qui permettent d'en savoir plus sur les personnages, et notamment d'appréhender les traces laissées, dans leur vie d'adulte, par les abus subis dans leur enfance.

François Ozon propose ainsi un récit sensible et pudique (malgré des flashbacks répétitifs qui n'apportent pas grand-chose au récit) sur une tragédie humaine qui est celle des victimes de Lyon, mais qui pourrait être plus largement celle de toutes les victimes d'abus sexuels. D’ailleurs, si le film n’épargne pas l'Eglise en tant qu'institution toute-puissante qui n'a pas été capable de prendre la mesure de ce qui se passait dans ses rangs, quitte, parfois, à flirter avec un certain didactisme dans son propos, ce sont les victimes qui intéressent le réalisateur, et c’est à eux qu’il donne avant tout la parole, les accompagnant sur leur difficile chemin de vérité et d’apaisement.
 
MpM

 
 
 
 

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