Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Joker


USA / 2019

09.10.2019
 



THE MASK





Qui est le Joker ? Ce personnage de bande-dessinée Batman est d'abord apparu en 1940, avec un visage et des couleurs de costume qui sont souvent restées dans les films. Les diverses adaptations de l'univers du milliardaire qui se prend pour une chauve-souris au cinéma en ont fait un méchant particulièrement iconique : visage de clown blanc avec un inquiétant et trop large sourire rouge, parfois des cheveux verts, et un costume flamboyant. Après Cesar Romero dans le Batman de 1966 (oublié), c'est cet ennemi qui est choisi pour faire face au héros dans sa résurrection cinématographique, le Batman de Tim Burton en 1989, qui a d'ailleurs relancé la production de films de super-héros jusqu'à la cadence industrielle que l'on connait aujourd'hui. Le Joker a donc été un gangster défiguré par de l'acide avec un excessif Jack Nicholson. Puis il est devenu un habile voleur de banque avec Heath Ledger en 2008 dans The Dark Knight de Christopher Nolan, dont la subtilité et le génie formaient une combinaison parfaite. Il y eut ensuite l'outrance de Jared Leto dans Suicide Squad de David Ayer, symptomatique de la regrettable tendance au cross-over avec différents personnages en même temps. Le Joker, c'est le méchant idéal qu'on adore.

Aucun de ces films n'ont fait de cet emblématique Joker le héros principal. Un tel personnage méritait probablement d'avoir un film qui lui soit uniquement consacré. C'est ce que propose Todd Philipps, cinéaste habituellement porté sur la comédie, qui cette fois si est plus glaçante et grinçante que burlesque et clownesque : une nouvelle histoire originale et inédite du Joker, comme vous ne l'avez encore jamais vu. Un "Very bad (mad?) trip" noir et anxiogène : le portrait d’Arthur Fleck, un homme méprisé par la société...

L'ombre de Scorsese

Dans Joker, il ne sera jamais question de Batman, qui n'existe pas encore. L'histoire semble se dérouler dans un New-York des années 70, assez familier: celui de Taxi Driver, dont les similitudes sont frappantes. Un homme habillé en clown tient une pancarte publicitaire sur un trottoir pour que des passants entrent dans une boutique de la rue. C’est un job plutôt nul, surtout quand il se fait rouer de coups par des jeunes lui ayant piqué sa pancarte. C'est ça la vie d'Arthur Fleck : se déguiser en clown pour quelques dollars, il vit avec sa mère malade dans un petit appartement; parfois, il rigole tout seul en écrivant des trucs bizarres dans un cahier; il s'imagine devenir comédien de stand-up à raconter des blagues mais il est seul et sans ami...

Dès ses premières images, le film scrute le visage de Arthur Fleck devant un miroir en train de se maquiller. On voit cet homme comme quelqu'un de fragile qui se donne une autre image de lui même. Il dissimule son étrangeté derrière une autre apparence. On découvrira qu'il est est marqué par le mantra de sa mère 'put on a happy face': il faut se montrer joyeux même si c’est avec un sourire de façade... Arthur Fleck va souvent voir une psychologue même si elle ne l’écoute pas vraiment. Cela lui sert pour avoir ses médicaments. Arthur est un homme dépressif depuis longtemps. Sa vie comme cette ville ne peuvent que (le) déprimer. La seule chose distrayante, c’est une émission de télévision avec un animateur dont il est fan: il s’imagine bien y être invité un jour, même si personne ne le trouve drôle. Un bien sombre tableau où l’on découvre au fur et à mesure plusieurs aspects de la personnalité de cet Arthur Fleck, toujours inquiet et instable en gardant son désespoir et sa colère en lui, tant qu’il peut... Trois hommes imbéciles avec leurs costumes de banquier vont provoquer une nouvelle humiliation qui va faire basculer Arthur Fleck avec son allure de clown dans un geste particulièrement violent. Le fait-divers fait la une des journaux et de la télévision où on réprouve cet acte d’un mystérieux clown. Arthur Fleck commence alors à basculer de plus en plus vers son alter-ego de Joker…

La seule concession du film à l’univers des comics c'est Gotham, le nom de sa métropole, un hôpital du nom de Arkham, et un riche Thomas Wayne qui se présente aux élections de la mairie. Joker n’incorpore aucun élément qui relève d’un univers extravagant de super-héros. Au contraire il s’attache à montrer au plus juste une ville en crise un peu comme l’ambiance de Taxi Driver (avec Robert De Niro, ici en animateur de télé qui rappelle un autre film de Scorsese, La valse des Pantins), une crise qui peut conduire (comme dans la réalité) à une révolte "Anonymous" face à l'humiliation de la finance sur le peuple...

L'ombre de Occupy Wall Street

La puissance de Joker est justement d’ancrer son récit dans la réalité, dans une réalité proche d’ailleurs de celle que l’on connait encore aujourd’hui dans les périphéries de New-York : beaucoup de pauvreté, un peu de violence, des coupes de budget dans les services publics, les mouvements de protestation des 99% (contre l'avidité et la corruption des 1 % plus riches)... C’est là que réside l’impact du film: il n’a rien d’une histoire pour adolescents puisqu'il s’agit bien d’un parcours de vie proprement dramatique, une spirale infernale vers la psychose. Arthur Fleck a un passé tragique, il va faire de son présent une farce macabre en devenant le Joker.

Ce film de Todd Phillips revalorise un personnage de 'méchant' à travers une vision plus dramatique que spectaculaire, presque l'antithèse de l'exubérance des super-héros du moment : c'est avant tout l'histoire d'un homme victime de lui-même... Joker a reçu le prestigieux Lion d'or du Festival de Venise, sans doute une première étape qui valide l'objectif de plusieurs nominations Oscars, où Joaquin Phoenix a probablement déjà son siège réservé pour la prochaine cérémonie. Joaquin Phoenix utilise son corps avec une démarche tantôt claudicante ou dansante selon la tristesse ou la frénésie du moment, et surtout son visage et ses yeux qui traduisent, en plus de ses dialogues, un langage décryptant sa folie. L'acteur a confessé à Venise vouloir interpréter un personnage "indéfinissable". L'acteur confie lui-même qu'il n'a pas vraiment cerné le psychopathe/sociopathe, lointain cousin d'un autre clown imaginé par Stephen King.
En basculant dans un drame aussi social que poétique, où les couleurs masquent la noirceur, ce Joker est une œuvre d'acteur plus que d'auteur, une leçon de jeu (lmasterclasse) d'un "Master" plutôt qu'un délire cauchemardesque d'un faiseur. C'est à la fois l'état de grâce d'un être disgracieux et l'acte de résistance à l'imagerie Marvel. C'est sans doute très rousseauiste mais ça n'empêche pas le film de flirter avec le mythe du monstre qu'on trouve sympathique. Et c'est prodigieusement réussi.
 
Kristofy

 
 
 
 

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