Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



Ailleurs
Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary
Effacer l'historique
Ema
Enorme
La daronne
Lux Æterna
Peninsula
Petit pays
Rocks
Tenet
Un pays qui se tient sage



J'ai perdu mon corps
Les misérables
The Irishman
Marriage Story
Les filles du Docteur March
L'extraordinaire voyage de Marona
1917
Jojo Rabbit
L'odyssée de Choum
La dernière vie de Simon
Notre-Dame du Nil
Uncut Gems
Un divan à Tunis
Le cas Richard Jewell
Dark Waters
La communion



Les deux papes
Les siffleurs
Les enfants du temps
Je ne rêve que de vous
La Llorana
Scandale
Bad Boys For Life
Cuban Network
La Voie de la justice
Les traducteurs
Revenir
Un jour si blanc
Birds of Prey et la fantabuleuse histoire de Harley Quinn
La fille au bracelet
Jinpa, un conte tibétain
L'appel de la forêt
Lettre à Franco
Wet Season
Judy
Lara Jenkins
En avant
De Gaulle






 (c) Ecran Noir 96 - 24


20th Century Fox  



Donnez votre avis...


Nombre de votes : 28

 
Minority Report


USA / 2002

02.10.02
 



TERRE PROMISE





«- Qui veut d'une justice laissant place au doute.»

Réunir deux des « talents » les plus puissants et les plus riches d'Hollywood n'est souvent qu'une astuce marketing pour attirer le spectateur dans les salles. Les séduire avec un sujet aussi audacieux, actuel, ambitieux que celui de Minority Report paraît déjà plus captivant pour le consommateur de toiles. Même si Tom Cruise n'amène rien de spécifique au film. Nous aurions pu avoir Damon, Cage, Pitt ou Reeves, ça n'aurait rien changé. Il fallait donc la patte d'un auteur ou d'un visionnaire pour transfigurer ce thème.
Minority Report s'ancre parfaitement dans la filmographie de Spielberg ; même les allures kubrickiennes sont cohérentes avec son parcours récent. Ce mélange de fiction baignée de réalité, de science et d'artifices plongés dans un univers de réflexions et d'émotions, prolonge le chapitre ouvert avec Il faut sauver le Soldat Ryan : une période adulte de son cinéma, sous des allures de divertissement. Même si la métaphysique de A.I. semble loin, le débat sur notre futur continue. Dans A.I., Spielberg cherchait à comprendre le rapport à l'enfant (sacré), et les conséquences du clonage. Dans M.R., le cinéaste veut démontrer l'impossibilité d'un monde sécuritaire, et l'impact sur nos libertés. le premier se penche sur la condition de l'être humain tandis que le second s'attrde sur les décisions de notre quotidien. Dans tous les cas, depuis Ryan, il s'évertue à explorer les moteurs de nos peurs - la mort, le déracinement, la perte de l'amour, les hasards de la vie - et la foi qui les habite.

Un divertissement intelligent
Minority Report remplit bien ses missions. Sur un scénario très proche du Fugitif (jusque dans sa fin très conventionnelle), ce thriller palpitant joue avec la notion intéressante de la fatalité des événements. Bien que l'on sache une partie des faits, nous ignorons s'ils vont réellement se produire. En nous enfermant dans une vérité dite certaine, Spielberg distille un par un tous les éléments pour nous faire douter de l'inéluctabilité. Il met nos certitudes en péril. Le doute ou l'imperfection technologique, mais aussi humaine.
Le matériau de base de ce polar a pourtant été écrit dans les années 50. Un demi-siècle plus tard, notre société comporte les ingrédients pour le rendre réaliste. Cette anticipation imaginée par Philip K. Dick prend ses racines dans une Amérique maccarthyste, se voit filmée dans une ère ultra-conservatrice, et donc régressive, en nous exhibant une société futuriste cauchemardesque (car oppressante) et néanmoins ludique (et même naturelle). A trop faire confiance à notre génie, l'Homme se construit ainsi son propre ennemi. La traque de Tom Cruise n'est qu'un combat contre la machination implacable d'une technique jugée infaillible, et surtout dominante. Le discours est parano, comme ce « héros » le devient. Nous sommes tous des esclaves d'un système. Et malgré une fin moderato et bucolique - disons-le sans ambages : ratée c'est -à-dire beaucoup trop mièvre, presque baclée, par trop épurée dans le discours, dénuée d'ampleur - l'avenir est pessimiste. Spielberg espère une autre évolution, mais la noirceur de ses récentes oeuvres ne permet pas de croire qu'il est convaincu. La lutte du bien contre le mal est trop nuancée tempérant ainsi son humanisme que certains considèrent abusivement comme naïf.
Sombre héros de l'amer, le personnage de Cruise nous emmène dans ce voyage dans le temps, tordu et paniquant. Spielberg nous manipule comme son superflic se transforme en pantin. Quelques clichés faciles n'empêchent pas le réalisateur de jouer avec nos nerfs et notre propre esprit d'anticipation. L'intérêt se perd dès lors que l'on connaît le véritable coupable. Aussi le final paraît long, comparé aux nombreuses péripéties vécues auparavant. L'inventivité du film s'émousse aussi : nous passons de la découverte à la connaissance, à l'instar du drame qui se (dé)noue. Après l'exploration fascinante d'un monde inconnu, la fin nous offre un dernier round en terrain presque trop familier.
Minority Report est un drame en trois actes, classique, s'achevant sur le duel obligé, le conflit inévitable, l'épreuve de vérité, la victoire du juste sur l'apprenti sorcier.

Cruellement d'actualité
L'être humain est faillible, fragile, mais il est surtout décrit comme étant seul le maître de son destin. Le grain de sable dans le rouage de l'Histoire, mouvement cyclique mais déterminé. Politiquement, le film se positionne en contre pouvoir aux régimes «démocratiques» actuels. Critiquant le totalitarisme ambiant, la répression à tous prix, l'atmosphère liberticide, Minority Report est à juste titre la voix d'une minorité qui s'oppose au populisme. On retiendra ainsi deux images : la passivité des citoyens «identifiés» par leur rétine dans le métro et la banalité des espions mécaniques intervenant dans la vie privée des gens. Pleines de sens, ces deux séquences dévoilent notre avenir le plus sombre : celui où nous ne serions que des numéros fichés, des consommateurs harcelés, des machines surveillées. Est-ce bien ce monde là que l'on souhaite ?
Spielberg pose la question au bon moment, tandis que nos hommes politiques Américains, Français, Britanniques, Italiens, Espagnols... ouvrent la boîte de Pandore pour que Big Brother domine notre civilisation, au nom de tous les biens. Un oeil permanent sur nos actes et sur nos gestes. Parce que nous avons peur de l'accident, de la mort, de la tragédie, de l'aléatoire, et donc parce que nous craignons tout ce qui rend la vie passionnante, nous préférons l'aseptiser quitte à nous névroser, nous aliéner, nous piéger. Cette odyssée de l'espèce nous conduit au seul choix possible : progresser en tant qu'humain plutôt que de déléguer tout aux innovations technologiques.
Pour cela, la direction artistique du film, effets spéciaux inclus, nous aura enfermé dans un quotidien étrange, paradoxal système où les influences se confondent. Les couardes années 50 fusionnent avec les marques et l'empire consumériste contemporain auxquels s'ajoutent les hypothèses du monde de 2054.
Certains effets sont saisissants non seulement par leur beauté, mais surtout par la force liée à leur crédibilité et l'émotion provoquée. Des vaisseaux qui planent comme des ombres menaçantes alors qu'ils sont censés nous protéger, des voitures qui circulent en défiant la pesanteur et qui donnent le vertige, des films qui rendent la virtualité complètement réelle... Le film aborde ainsi plusieurs genres : la science fiction, le film noir, mais aussi le fantastique où Kubrick est d'ailleurs omniprésent avec cette référence presque trop citée du globe oculaire, dernière (garde) frontière entre l'extérieur et l'intime, entre l'abominable société qui nous contrôle et l'âme qui vagabonde encore un peu librement.
La quête de perfection apparaît alors impossible. Il ne s'agit plus que de s'échapper du réel. Spielberg puise alors dans tous ses thèmes : le mauvais père, la sagesse féminine, les souvenirs récurrents qui aident à survivre, ... Il s'attaque en fait à l'Idéal et signe une fois de plus un film agnostique, confrontant nos illusions à l'horreur nécessaire de la réalité.
Là où Dick rendait son quotidien fictif, Spielberg préfère utiliser concrètement son imagination. Mais les deux se rejoignent en pensant qu'un sale virus s'est infiltré dans nos cerveaux après cette seconde guerre mondiale et le poids de notre civilisation médiatique et matérialiste. Dans des tons bleus et froids, Minority Report nous renvoie un douloureux reflet de nos envies actuelles. On nous aura prévenus.
Désormais, seul l'apprentissage du doute peut nous sauver. L'acceptation de la souffrance aussi. La prise de risque évidemment. Mais avec tant de conformisme qui nous entoure, et tant d'exigence sur les autres (et pas sur nous), ce film semble se fermer sur un conte qui se conclurait par un « peut être... » pas très assuré. Pas de quoi nous rassurer.
 
vincy

 
 
 
 

haut