ecran noir, le ciné zine de vos nuits blanches

Saving Private Ryan
de Steven Spielberg

Tom Hanks

Courrier

Visionné le 24.07.98, Quartier Latin Montréal
par Vincy

Le site SPR

"Drôle de Spectacle"

Spielberg s'attaque à un genre. Après la farce de 1941, les aventures d'Indiana, le drame épique et David Leanien de L'Empire du Soleil, le voici à nous offrir l'autre face d'un même miroir que celui de La Liste de Schindler. Il prend un forme radicalement différente, avec un message assez semblable.
Comme si après la nostalgie et la souffrance "yiddish" de Schindler, filmé en noir et blanc, avec un Liam Neeson espérant sauver une partie d'un peuple (et donc l'humanité), Steven Spielberg avait envie de (dé)montrer une autre solution d'un même problème.

Car il s'agit d'une toute autre boucherie. La guerre du Capitaine Miller (Tom Hanks dans un rôle sur mesure) est très différente du coté Allié. ici l'holocauste est une tragédie noyée dans un brouillard lointain. Il n'existe qu'un seul ennemi: l'Allemagne. Un ennemi rarement visible, et pourtant si menaçant.
Typiquement Spielbergien, SPR ne dévisage cet menace qu'après 20 minutes de film, malgré son omniprésence dès les premières séquences.
Ici, il s'agit de sauver un homme (Ryan par un Matt Damon peu convaincant) pour une cause contestable, puis un pont (stratégique) et finalement sa propre peau. Le tout au nom de la libération du tyrannique 3ème Reich, mais surtout dans l'espoir de rentrer à la maison.

Construit comme Titanic (un vieil homme se souvient...), et à l'instar des jeux d'arcades (unebataille, une pause explicative, une bataille, etc...), SPR se conforme aux règles d'un genre oublié, le film de guerre.
Un film de mecs, de confidences outiles et futiles, où la mort rode avec fatalité, avec ses moments de silences humains, et d'autres assourdis par les armes.
Mais Steven Spielberg , au delà du divertissement (ça reste un film d'action), au delà de sa fascination (son fantasme?) pour cette Seconde Guerre Mondiale, signe en fait une de ses oeuvres les plus humaines, à la fois personnelle (réminescences de souvenirs paternels, des films de son adolescence) et pacifiste (maturité des idées d'un homme croyant à juste titre à son utilité et à l'impact des images).

Cette vision d'auteur, alliant une expertise technique incontestable, à un message à transmettre, lui permet de signer son film le plus "Kubrickien".
La virtuosité du film ne s'arrête pas à la réalisation. Le son (intelligent), la musique (discrète), le montage (parfait) et la photo de Darius Khondji (sublîme avec ses tons presque sépias) en font une oeuvre cinématographique esthétiquement exceptionnelle.
Inspiré, haletant, palpitant et beau, il s'agit bien d'un chef d'oeuvre du genre.

Dénonçant la guerre, (sur)exposant la violence, énonçant le droit et décrivant l'horreur, SPR est un film sur le courage et la désillusion. Le courage de mourir pour l'Histoire. La désillusion des hommes qui ont ce courage.
En prenant un "échantillon représentatif" de personnages au caractère très différent, Spielberg a produit une synthèse de l'opinion de masse. Mais ce sont 2 intellos qui illustrent ce qu'il pense: le professeur et le jeune caporal.
Le premier - Capitaine Tom Hanks - fond en larme et oscille entre sa force morale et ses affaiblissements psychologiques. Le second, utopiste, désarmé, et perdant son innocence en une petite seconde, devenant lui-même tueur.

D'autres scènes sont marquantes: une vraie cinégénie. Mais paradoxalement, malgré les brillantes scènes de combat, ce sont les scènes de rapports humains, voire les images quasiment silencieuses qui nous hantent; celles des soldats, comme celle plus émouvante encore de cette mère, filmée de dos, et s'affaissant en apprenant la mort de ses 3 fils.
Cette impression de voir un film muet est encore plus flagrante avec ces "désormais célèbres" 24 premières minutes de carnage. Un débarquement à Omaha Beach qui démode (efface) tous les films précédents dans le genre. On peut y voir une référence aux films de Samuel Fuller...
De quoi traumatiser vétérans comme âmes sensibles. Spielberg a tourné crument, réalistiquement cet épisode de notre siècle, voulant ainsi contrecarrer l'image des guerres cliniques imposées par le Pentagone et CNN depuis 10 ans.

Cet impact de l'image amènera forcéement des questions. Est-ce que cela réveillera les esprits sur la déviance violente de notre société, sur ce qu'est la mort, la guerre?
Ou au contraire, Spielberg n'a-t-il pas repousser plus loin les limites de la violence acceptable, quitte à encore plus la banaliser?
Reste que tout cela a un effet très sain: nous replonger dans l'Histoire. Une Histoire qui se répète parfois. Une Histoire de notre siècle. A peine un demi-siècle de là...
A défaut de sauver l'humanité, Spielberg sauve la Mémoire.


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