LE PIRE RESTE À VENIR

A croire que c'était prémédité : un été qui parle de Terminator, de Rechargement, de Pirates, ou encore de Bad Boys ne pouvait qu'inciter à jouer avec le feu...
Car l'été aura été sanglant, flamboyant, chaud. Un temps de saison. Mais tout n'a pas été dit. De non dits en contre vérités en passant par la mise en vacances des médias et le ramollissement du cerveau, la frénésie des chiffres a viré à la propagande.
Depuis longtemps, déjà, je râle après la guerre des dollars. Si le nombre de spectateurs a encore une certaine signification - qu'il faut savoir relativiser : 600 000 cinéphiles pour Respiro c'est mieux que 1.7 millions de consommateurs pour Hulk - il faut cesser d'admirer les beaux records américains. Cette année, les chiffres masquent une réalité douloureuse : une menace pèse clairement sur l'économie hollywoodienne.

1) Sachons compter.
Comme chaque été, pour rentabiliser des multiplexes de plus en plus coûteux (et de plus en plus semblables à des parcs d'attraction), le ticket de cinéma augmente. Il devient plus qu'onéreux d'aller se rafraîchir dans une salle. Ce sera bientôt le prix d'un billet de théâtre ou de concert. Un spectacle à bien rentabiliser si l'on compte l'ajout d'un budget "bouffe" ou la tentation à consommer des trucs anti-diététiques qui salissent les doigts. Certes, les recettes en chiffres bruts augmentent. Jamais autant de films n'a dépassé les 200 millions de $ en moins de 8 mois : Nemo, Matrix, Pirates, Bruce, X2. Le Club des 5. Il faut remonter à 1986 pour avoir une quinte flush pareille où pour la première fois 5 films dépassaient les 100 millions de $ la même année.
Ce qui était exceptionnel devint banal. En 89, 9 films franchissaient ce cap, en 94 ils furent 12 (dont 2 au dessus de 300 millions de $), en 96 on passait à 15 "hits", ... En 97, pour la première fois la même année, 3 films entraient dans un club alors ultra-restreint : celui des films à 200 millions de $ et plus (dont Titanic à 600 millions de $). 4 en 99, 6 en 2001, 7 en 2002. Et sûrement davantage en 2003. Sur les 50 plus grosses recettes, la moitié est sortie depuis 5 ans.
Vous imaginez bien que ça ne reflète pas la réalité de la situation. Cette surenchère exponentielle n'est pas l'illustration d'une hausse du nombre de spectateurs. Finding Nemo, leader du moment, ne serait même pas classé dans le Top 50 des films les plus vus aux Etats Unis! Ca ne signifie pas que c'est un échec : il a été vu par à peu près autant de spectateurs qu'Aladdin, film le plus populaire de l'année 1992.

2) Un système en faillite.
Face à ce constat, il faut s'inquiéter car les films produits par les studios coûtent, eux; de plus en plus cher, et pas simplement en effets spéciaux. Les frais de marketing explosent année après année, parce que tous misent sur l'effet entraînant du premier week end. Un film existe pour 3 jours : son destin sera alors écrit. Terrible pression qui incite à consommer le cinéma plutôt qu'à le déguster ou à l'adapter à ses envies.
Et là nous pouvons devenir pessimistes : car, cette année, peu de films ont résisté à cet effet. Dès la seconde semaine, quasiment tous les numéro 1 du week end hormis Némo, Matrix et les Pirates ont perdu la moitié et même plus de leurs spectateurs : d'une part, le bouche à oreille était désastreux, et, d'autre part, on passait très vite à l'autre événement de la semaine. Cette spirale autodestructrice menace la rentabilité des films, et donc le modèle économique d'Hollywood, qui, pour le moment, récupère ses billes avec le marché international et le DVD.
Cette évolution a de nombreux symptomes et de nombreuses conséquences. La saturation du marché en est une : trop de films, trop de films similaires qui plus est, qui ont gavé même les plus gourmands - les ados. Et puis il y a aussi ce qui ne sera jamais dît mais qui est pourtant flagrant : la qualité déplorable des films proposés.

3) Revenir aux basics.
Ecran Noir n'a jamais aussi peu distribué d'étoiles : les rares films que nous avons aimés sont issus du cinéma indépendant américain, de pays comme l'Allemagne ou le Canada. Mais les productions américaines majeures, à date, ne nous ont pas emballé. Et le public non plus : les fiascos sont nombreux. De Hulk à Charlie's Angels 2, de la suite de Legally Blonde à Terminator 3, les résultats sont plus que décevants. Le bouche à oreille est en panne. Et là on peut déjà tirer quelques conclusions : l'abus d'effets spéciaux nuit fortement à la crédibilité du film, les scénarii écrit sur deux pages et les concepts ou reprise ou remake ont lassé, les plans médias n'ont pas fonctionné malgré l'inventivité de certains. Plus personne n'est dupe. A force de présenter des films comme des produits, les cinéphiles deviennent des consommateurs qui deviennent un peu exigeants.
Pour preuve les films qui ont marché. Quelles leçons en tirer? Côté art et essai, des oeuvres comme Whale Rider, Swimming Pool, 28 days later, Bend it like Beckham... soit des oeuvres audacieuses ou universelles, où le scénario et les comédiens ont une place à part entière. Et c'est la même chose au sommet du Box Office : le scénario et les acteurs sont au coeur des réussites de Finding Némo ou Bruce Almighty. Matrix, X-Men 2 y ajoutent une dimension "philosophique" et des effets spéciaux plus que séduisants. Les films sont presque complexes comparés à leurs rivaux. Enfin, des oeuvres comme Pirates des Caraïbes ou The Italian Job font davantage appel à une fraicheur de style, aux cascades réelles qu'à des ordinateurs où les acteurs se transforment en marionnettes mal animées. L'exploit, oui, mais réaliste.

4) T3 : zéro cents chez soi...
Alors? Cela a toujours existé après tout... Il y a toujours eu de bons et de mauvais films. Mais le prix de la place de cinéma peut être dissuasif si l'on a peur de passer une mauvaise soirée. Le bouche à oreille devient alors l'arme essentielle dans une campagne marketing.
Sinon? Sinon, et ça aussi personne ne va l'avouer cette année, les ados, ces cinéphages tant dragués par les studios, continueront leur nouveau jeu : pirater les films en les téléchargeant sur Internet. C'est gratos, la qualité est DVD, le choix infini. Pourquoi dépenser 9 $ pour aller voir T3 quand le film est déjà dispo sur le web dès la semaine suivante?
Et pourquoi voir un film "médiocre" en salle si on peut le télécharger chez soi? Autant se réserver pour les bons films d'auteurs ou spectaculaires. De Rodriguez aux Wachowsky, de la saga de Jackson aux anti-héros de Singer, de l'imaginaire de Pixar aux grimaces de Jim Carrey, les valeurs sûres sont les signatures.
2003 sonnera comme la première année où les films auront été piratés en grand nombre. La télé avait tué la fréquentation de masse; le net risque de tuer les machines hollywoodiennes. C'est le Soulèvement des humains. Peut-être.

Vincy. 09/08/03  
 


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