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L’Univers de Mr Lynch

* Partis pris visuels

Lynch explore à travers ses films les entrailles d’une toile picturale dont lui seul connaît les mélanges de pigments colorés et les essences de lumière. Cette tâche d’alchimiste méticuleux qui consiste à soutirer couche après couche l’esprit même de son propre univers mental souligne sur la pellicule le rendu étrange d’une « atmosphère David Lynch ». Mystérieux concentré intime et morceaux choisis d’influences artistiques conscientes et inconscientes puisées dans les jeunes années, « l’atmosphère » véhiculée sur l’écran se cristallise film après film au long d’un fil invisible par lequel ils seraient maintenus, ensemble, au dessus du vide de l’incompréhension. Il est des cinéastes, comme Lynch, qui projettent dans leurs films une ambiance générée par une force mystérieuse, cette force qui comble nos attentes quand, à la toute première seconde de projection, l’image qu’on nous présente s’avère alors être avec une évidence arrogante « du Lynch ! ». Cette composition visuelle n’appartient pourtant pas à Lynch, qui la considère comme un don, venue jusqu’à l’esprit par une voie sombre et incertaine. Y être fidèle, c’est imposer son style, sa signature. Lynch y croit dur comme fer, il existe un autre monde, sensible, où tout est déjà là ; le réalisateur ne fait qu’extraire ce qui veut bien se présenter à ses yeux.
« Aussitôt qu’une pensée arrive à vous, vous pouvez lui trouver une forme, une couleur, un goût, une sonorité, une odeur, (…) elles ont une atmosphère, une sensibilité». DL.

De l’influence de la peinture

Un étrange croisement visuel s’opère à l’écran entre les deux peintres fétiches de Lynch : Hopper, pour l’utilisation de la couleur et le travail du cadre, et Pollock, pour le désordre sous-jacent qui vient parasiter la perfection académique de l’image. Mais c’est dans la veine d’Hopper que Lynch puise et retranscrit cette appartenance délicieusement « fifteen » de l’image, bien que l’action (depuis « Blue Velvet ») se déroule chaque fois de nos jours. Intemporalité exquise qui donne aux productions du réalisateur cette ambiance si particulière, notamment dans « Blue Velvet », « Fire walk with me », « Lost Highway », et plus encore dans « The Straight Story » et « Mulholland Drive ». Dans ce dernier, l’âge d’or d’ Hollywood et l’hégémonie de la « star » classique (allusion à Rita Haytworks) sont omniprésents. Lynch est fasciné par ce portrait du mythe américain d’après guerre que véhiculait Hopper à travers ses toiles. Le peintre, qui ne cachait nullement ses influences cinématographiques, s’attachait aux reflets sereins délivrés par une Amérique profonde, à ses habitants paisibles, à sa nature offerte, au travail de la terre et aux rêves évanescents « d’American Way » de ces contrées endormies. Complétement à contre courant vis à vis de l’abstraction reine au sein des milieux artistiques New-Yorkais de l’époque, Edward Hopper trouve aujourd’hui un public nostalgique de cette représentation vieillotte du rêve américain ; Lynch bien sûr, ou encore Wenders qui a reproduit à l’identique le tableau « Noctambules » dans une scène superbe de « The end of the violence ».
Et ne nous y trompons pas, si l’hommage à Edward Hopper se manifeste nettement dans « The Straight story », où Lynch s’attache lui-aussi à cette représentation grisonnante de l’Amérique profonde, on s’aperçoit que « Twin Peaks » et « Blue Velvet » reflètent finalement la même image de carte postale, cette même vision idyllique de la petite ville américaine typique où il fait bon vivre (la perversion et le crime camouflés en suspens).

Couleur & noir et blanc

Les premières minutes d’un film de David Lynch nous plongent dans l’ambiance de ses univers de prédilection, des mondes étranges, cérébraux, où l’âme est violentée, et où chaque objet, chaque parole possède un sens caché, une face obscure. Là où le long-métrage classique nous présente les personnages, leur environnement, David Lynch utilise l’image comme un miroir déformé de la réalité qu’il nous présente à l’écran. Et pour y parvenir, il nous prouve à travers ses films qu’il maîtrise l’utilisation du noir et blanc comme de la couleur, exploitant jusqu’à l’extrême un savoir faire technique et une approche graphique audacieuse. En art photographique, l’utilisation du noir et blanc détermine souvent l’approche tortueuse d’un sujet, dans un jeu de d’ombre et de lumière. Le noir enveloppe et souligne la photo, son intensité, son émotion. Chez Lynch, le noir devient couleur, puisque le réalisateur modèle sur l’image la synthèse savante de l’art photographique noir et blanc calqué sur la couleur.
Le résultat : des images uniques, sur le fond du sujet, sur la forme et sur l’éclairage. Ainsi, l’expressionnisme en noir et blanc d’ « Eraserhead » et d’ « Elephant Man » est prolongé par la couleur dans « Blue Velvet », « Wild at heart », « Fire Walk with me », « Lost Highway » et « Mulholland Drive ».
La couleur est un filtre épais qui déforme la réalité, et se fait garante de l’appartenance à l’univers de Lynch, présente de bout en bout, franche, sombre, mais rarement nuancée. La couleur, comme le son, génèrent chez Lynch la tonalité du film, justifie son propos, enveloppe son cadre, et renforce la puissance de l’image.
« Blue Velvet » était bleu, « Sailor et Lula » était rouge, « Twin Peaks » également , et « Lost Highway » était jaune.

* Le son avant l’image

David Lynch est un metteur en scène soucieux de l’homogénéité de ses films, tant sur le plan formel qu’émotionnel. Pour cette raison, il ne laisse à personne le soin de prendre en charge le travail du son, élément primordial s’il en est pour accompagner l’image dans la perception que le spectateur doit en avoir. Depuis ses débuts (« The Alphabet »), Lynch accorde au son une intimité rare douée d’une réflexion concrète sur l’efficacité de celui-ci et sa fusion organique avec l’image. Ainsi, le réalisateur s’enferme des semaines durant dans le studio d’enregistrement qu’il s’est aménagé chez lui pour travailler, retravailler, innover, expérimenter toutes sortes d’échantillonnages sonores destinés à accompagner l’image de ses films, d’en alourdir le sens, la tension, le malaise.
Le son définit l’image, qui résulte finalement en partie de la création de celui-ci.

La musique

Les musiques des films de David Lynch sont toutes structurées de la même façon, axées autour des superbes nappes sonores, brumeuses à souhait, composées par Badalamenti, et aux côtés desquelles s’articulent des morceaux de jazz des années 50 et des partitions classiques.
C’est la rencontre avec Angelo Badalamenti peu avant « Blue Velvet » qui va pousser David Lynch à s’intéresser de près à la musique, lui qui y était complètement extérieur et qui ne se concentrait que sur les effets sonores. Lynch découvre à l’écoute des partitions du compositeur qu’une osmose parfaite se lie entre son propre monde visuel et les couches musicales atmosphériques qui viennent se poser sur les images. Les deux univers n’en forment qu’un et David Lynch soumet subtilement la musique aérienne et lancinante de Badalamenti aux scènes fortes ou carrément horribles de ses films. C’est le début d’une collaboration qui perdure depuis pour la plus grande satisfaction des fans.
Lynch s’est aussi mis à écrire lui-même certaines chansons (plus de soixante au total), qu’il met ensuite en musique avec Angelo Badalamenti et en insère certaines dans le mixage final de ses longs-métrages.
En parallèle, il n’est pas rare que David Lynch imagine des séquences complètes simplement en écoutant des morceaux de musique déjà existants ; il lui suffit alors d’accorder son imaginaire et ces musiques au montage pour finaliser une scène qui naît ainsi de toutes pièces. C’est pour cette raison que les bandes originales de ses films comportent traditionellement des partitions de jazz (Antonio Carlos Jobim pour « Lost Highway »), de blues (Willie Dixon pour « Mulholland Drive »), des partitions classiques (Samuel Barber pour « Elephant Man »), du rock classique (Chris Isaak pour « Wild at heart « ), voire du rock plus agressif (Rammstein, Marylin Manson, The Smashing Pumpkins, encore pour « Lost Highway »).
Sur ses tournages, il n’est d’ailleurs pas rare que Lynch envoie sur le plateau un morceau qui l’inspire et demande à ses acteurs de jouer la scène (qui ne demande pas de son synchrone) avec les baffles qui leur hurlent aux oreilles. « La scène gagne en rythme ! », dixit Lynch.
Point culminant de sa passion pour la musique, bien qu’anecdotique puisque rarement diffusé, Lynch s’est lancé en 1990 dans la composition d’une symphonie filmée (« Industrial Symphony »), assisté par Badalamenti. On retrouve dans cet étrange « ovni » expérimental la superbe voix de Julee Cruise (interprète des chansons de « Twin Peaks »), avec une participation amicale de Michael G. Anderson (le nain de « Twin Peaks » et de « Mulholland Drive ») et Nicolas Cage.

* De l’usage des symboles

David Lynch use du symbole avec force au travers de son œuvre. Pas toujours facile à déterminer ou à en comprendre la valeur, il n’empêche qu’ils sont les clés de cet univers parallèle que le réalisateur met en place derrière l’apparente normalité de la réalité.
Et du symbole, il y en a partout, derrière chaque objet, chaque parole, chaque regard, mouvement, couleur, musique, son, etc.

Romain
 

 Dossier: PETSSSsss + Romain
(C) Ecran Noir 1996-2001