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PORTrait
Jojo la cascade
par Christophe Train - Février 2002
"S'il nous est arrivé de jouer, par la suite, des personnages qui
s'apparentaient plus à des héros, alors qu'au départ
nous étions destinés à incarner des personnages de
clowns et de valets, c'est surtout grâce à lui" dira
Jean Rochefort de son ami Jean-Paul Belmondo.
Né au cinéma avec la Nouvelle Vague, Belmondo impose d'emblée
un nouveau physique, mais aussi un nouveau jeu d'acteur, tout d'arrogance
et de désinvolture, qui font aujourd'hui de lui la figure la plus
marquante du cinéma français.
Jean-Paul Belmondo est né à Neuilly le 09 avril 1933 d'un
père sculpteur, d'origine sicilienne, et d'une mère artiste
peintre. Indiscipliné et peu enclin aux études, le jeune
Belmondo s'adonne plus volontiers au football, à la bose, ou...
aux bagarres dans la cour du lycée, bagarres qui marqueront à
jamais le futur héros de l'écran. Il raconte que c'est au
cours d'une altercation avec des élèves d'une classe de
philo qu'il a eu "le nez écrasé comme une pomme de
terre à l'anglaise": un handicap qui deviendra bientôt
un atout. Mais la maladie va avoir raison de cette belle vitalité:
à l'âge de seize ans, Belmondo est atteint d'une primo-affection,
ses parents l'expédient alors en Auvergne; c'est à cette
époque, dans le calme et l'air vivifiant, que le jeune homme décide
de devenir comédien.
Le pitre au Conservatoire
A son retour d'Auvergne, appuyé par son père, il rencontre
Raymond Girard (ancien directeur des études classiques à
l'Odéon) qui l'accepte dans son cours. Pendant six mois, Girard
va l'aider à préparer le concours du Conservatoire d'art
dramatique, où, reçu en 1951, Jean-Paul Belmondo devient
l'élève de Pierre Dux. Il y restera quatre ans durant lesquels
son jeu énergique est loin de faire l'unanimité des professeurs.
En 1955, espérant couronner toutes ces années de travail
par une juste récompense, il présente devant le jury de
l'école "L'Ardent Artilleur" de Tristan Bernard. Mais
le prix tant espéré se solde par un accessit. Il réitère
l'année suivante avec "Amour et Piano" de Feydeau. Le
jury, présidé par Marcel Achard, est courroucé par
l'insolence de l'élève Belmondo qui, sous couvert de Feydeau,
les nargue. Et une fois de plus le premier prix lui échappe. Mais
la salle en délire fait un triomphe au jeune comédien. Scandale!
La photo de Belmondo fait la une de tous les quotidiens du soir. Ce mois
de juillet 1956 marque ainsi ses fracassants débuts.
Belmondo échappe donc à la Comédie Française.
Il débute néanmoins sur les planches l'année suivante
dans "La Mégère apprivoisée" montée
par Vitaly, donnant la réplique, dans un rôle de bouffon,
Pierre Brasseur et Suzanne Flon. La presse apprécie la truculence
et "la drôlerie bondissante" du jeune comédien.
Louanges encore en 1959 avec "Trésor-Party": les critiques
soulignent sa désinvolture et sa gouaille. Belmondo gagne ainsi
ses galons de comédien en imposant un jeu moins théâtral,
plus naturel, ce qui lui vaut un public aussi enthousiaste que ses anciens
condisciples du Conservatoire.
Un physique difficile
"Belmondo a des qualités mais un physique difficile pour le
cinéma" déclarait René Clair en sortant de "La
Mégère apprivoisée". Le cinmé français
s'entend. Il y avait beau temps en effet qu'outre-Atlantique des Humphrey
Bogart ou des Lee Marvin avaient imposé des critères physiques
bien différents de ceux de la plastique grecque. Mais le cinéma
en France, s'il commence à copier des grands genres hollywoodiens,
s'en tient prudemment, dans le domaine des acteurs, aux physiques avenants.
En dépit de sa "gueule", Belmondo trouve pourtant quelques
rôles à l'écran. Avec "Sois belle et tais-toi!"
de Marc Allégret, il sert de faire-valoir à Mylène
Demongeot la vedette du film; l'autre rôle est tenu par Alain Delon.
La même année, Marc Allégret fait à nouveau
appel à Belmondo pour "Drôle de dimanche", en lui
confiant encore un petit rôle, tandis qu'Alain Delon, avec son physique
de jeune premier, décroche la vedette dans "Faibles femmes"
de Michel Boisrond. Belmondo végète quelque peu malgré
son indéniable talent. Son jeu, son physique, sa gouaille, sa virilité
ne touchent gère d'éventuels employeurs. Mais à l'approche
des années 60, les Jeunes-Turcs des Cahiers du cinéma vont
bouleverser la routine de la production commerciale et faire appel à
des jeunes inconnus: l'heure de Jean-Paul Belmondo va bientôt sonner.
La naissance d'un mythe
A nouveau cinéma, nouveau héros. Mais c'est le hasard, semble-t-il,
qui décide de la carrière de Belmondo. Chabrol fait appel
à lui pour remplacer Jean-Calude Brialy, malade, pour le rôle
de Lazslo Kovacks, l'anarchiste désabusé de "A double
tour". L'année suivante, il incarne un personnage similaire
sous la direction de Godard dans "A bout de souffle". Alors
que le film de Chabrol, présenté au Festival de Venise est
un échec, celui de Godard suscite un immense intérêt
critique et public dont Jean-Paul Belmondo va être le premier bénéficiaire.
Michel Poiccard, le pâle voyou de "A bout de souffle",
donne naissance au mythe Belmondo, naissance qui est moins fortuite qu'il
n'y paraît. Le rejet des vieilles formes de langage cinématographique
signifié par les cinéastes de la Nouvelle Vague entraînait
celui des gloires confirmées de l'écran. Avec un flair étonnant,
Chabrol et surtout Godard surent découvrir en Belmondo l'acteur
capable d'exprimer leurs aspirations.
Lancé par Godard, du jour au lendemain, Belmondo devient le jeune
premier le plus sollicité mais tout ce qu'on lui propose risque
de l'enfermer dangereusement dans le mythique personnage de Michel Poiccard.
Pour échapper à cette emprise, Belmondo tourne délibérément
le dos à la Nouvelle Vague et part même en Italie donner
la réplique à Sophia Loren dans "La Ciocara" de
Vittorio de Sica. Mais dans le rôle de l'anti-héros que lui
a confié le vieux maître italien, il échappe difficilement
à Michel Poiccard. Rentré en France, il tente une nouvelle
expérience avec Jean-Pierre Melville pour lequel il interprète
le jeune ecclésiastique torturé de "Léon Morin
prêtre". La rencontre avec Melville, grand admirateur du cinéma
américain, marquera une étape dans la carrière de
l'acteur. Déjà "Bébel" pointe sous Belmondo:
après avoir été le porte-parole de la Nouvelle Vague,
il va devenir le champion toute catégorie du cinéma commercial.
De "Cartouche" à "L'Homme de Rio" en passant
par "Un singe en hiver" et "Peau de banane", Belmondo
se livre désormais à son goût pour la dépense
physique, subjuguant les spectateurs par ses talents de cascadeur. Sous
la direction d'Henri Verneuil et de Philippe de Broca, il devient en peu
de temps la valeur la plus sûre du box-office et l'acteur le plus
prisé du public populaire.
Belmondo n'oublie pas pour autant ce qu'il doit à la Nouvelle Vague,
et c'est avec Godard et Louis Malle qu'il tourne deux de ses plus grands
films, "Pierrot le fou" et "Le Voleur". Déconcerté
par un Belmondo qu'il ne reconnaît pas, le grand public boude ces
deux chefs-d'oeuvre. "Stavisky", son ultime tentative hors du
circuit purement commercial, se soldera par un échec, d'autant
plus dur que Belmondo avait lui-même assuré, et il faut lui
en savoir gré, la production de ce film dirigé par Alain
Resnais.
Après ce cuisant ratage, Jean-Paul Belmondo, plus "Bébel"
que jamais, ne décevra plus l'attente de son public: tous ses films,
dont il assume lui-même la production, sont construits en fonction
de son personnage comme en témoigne leurs titres: "L'Incorrigible",
"L'Animal", "Flic ou voyou", "Le Guignolo",
"Le Professionnel", "L'As des as", "Le Marginal".
Chaque sortie, soigneusement préparée par une intense campagne
publicitaire, déclenche aussitôt la ruée des spectateurs
dans les salles où ils assistent, ravis, aux fabuleux exploits
de leur acteur favori.
Retour sur scène
Il n'est certes pas "déshonorant" de permettre à
des centaines d'artistes et techniciens de gagner leur vie plutôt
que de les associer à des films qui ne remplissent pas les salles.
Mais un acteur aussi brillant que Belmondo ne se doit-il pas de rester
lui-même tout en élargissant son registre, plutôt qu'en
se plagiant d'un film à l'autre?
Les retrouvailles avec la scène lui ont redonné ce "punch"
qu'il apprécie en connaisseur: Je voudrais jouer comme on boxe,
avec une intensité très forte, en soignant mes coups chocs...
Le théâtre nécessite un jus terrible". C'est
ainsi qu'en 1987, puis en 1990, il est remonté sur les planches
dans "Kean" et "Cyrano de Bergerac" (mise en scène
de Robert Hossein).
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