David Lynch, Lion d'or et Palme d'or, n'a pas tourné de long métrage depuis 2006. Une longue absence. Heureusement il nous a offert une suite à Twin peaks pour la télé. Et on peut voir ses photos fétéchistes dans l'exposition de Louboutin au Palais de la Porte dorée. Il vient aussi de terminer un court métrage. Elephant Man ressort cette semaine en salles.



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COMMENT JE ME SUIS TRANSFORMEE ... (OU MA VIE D'ACTRICE)





"Je suis devenue moins timide, mais plus inquiète. De ne pas trouver d'autres beaux rôles. Je n'en ai jamais accepté pour de l'argent. J'ai même refusé une très belle somme pour La Femme de chambre du Titanic, de Bigas Luna."

Emmanuelle Devos est une actrice atypique. Travailleuse, sérieuse et passionnée, elle ne cherche pas la lumière des projecteurs, reflet distant flatteur d’ego. Femme de caractère qui a su imposer une personnalité vraie dans un cinéma français de moins en moins excentrique, elle cultive un naturel anti-glamour dans la rigueur du travail bien fait. Doit-on, alors, lui en tenir rigueur ?
Certes non, car comment séduire autant de réalisateurs estampillés auteurs, au premier desquels nous trouvons un certain Arnaud Desplechin, si l’on ne prouve pas sa capacité à interpréter des femmes de cinéma aussi déchirantes que décalés dans des films comme Sur mes lèvres (2001), Rois & Reine (2004) ou plus récemment Ceux qui restent (2007). A l’instar d’une Valéria Bruni Tedeschi qui la dirigea dans son film Il est plus facile pour un chameau… (2003), Emmanuelle Devos se détache des actrices star qui l'ont précédée (Binoche, Béart, Bonnaire…) pour spécifier un corps, une diction, une présence et, de ce fait, « valider » son statut de grande comédienne, et même de tragédienne.

Fille de comédiens, la jeune Emmanuelle accompagne très tôt sa mère, sa première inspiration. La seconde est Jeanne Moreau. Actrice de théâtre jouant essentiellement dans les festivals, elle ouvre une porte à sa rêveuse de fille qui ne rate rien, écoute, regarde et tombe le plus souvent amoureuse des textes récités en live. « Quand vous entendez du Claudel, si vous êtes un peu sensible aux textes, cela prend tout de suite. » Une évidence pour Emmanuelle. Elle sera actrice. Ce qu’elle veut, c’est jouer et sortir ce corps de sa timidité. Besoin sans cesse ressassé, ce rêve la triture tellement qu’elle quitte le lycée dès la première. Direction le cours Florent avec Francis Huster comme professeur et des petits boulots pour survivre. Ouvreuse au théâtre La Bruyère et à la Cigale, elle délaisse un stage prestigieux du maître Chéreau pour « tater » des planches. Elle y croise Perez, Jaoui, Denicourt, Burni-Tedeschi... A 21 ans, elle joue dans le Cid au côté de Jean Marais. A mille lieues des canons esthétiques des actrices des années 80, elle obtient son premier rôle au cinéma dans On a volé Charlie Spencer ! (1986) de Francis Huster.
De cette expérience, elle ne retient pas grand-chose. Sauf l’envie de continuer des essais cinématographiques. Ça tombe bien, elle participe aux fameux emprunts des ateliers de la FEMIS. Rencontre avec Noémie Lvovky qui l’engage dans son premier cours : Dis-moi oui, dis-moi non (1989). L’univers lui convient, les sensations s’harmonisent et la personnalité s’affiche sans complexe. Compagnon d’armes à la FEMIS, Arnaud Desplechin visionne le cours, l’apprécie et propose à Emmanuelle une participation sur son premier moyen. Deuxième regard vierge. Peu importe, elle est timide, lui aussi. Il souffle ses mots, elle aussi. Le courant passe. Pourtant, le rôle ne lui plaît pas. Il l’a convainc et La vie des morts se tourne ; nous sommes en 1990. La presse parle du film, mais pas d’elle. Logique, il faudra attendre onze ans et Sur mes lèvres pour qu’elle soit enfin reconnue à sa juste valeur. Inquiète ? Absolument pas. Elle avance sans se poser de question et possède un atout de taille. Intriguer la nouvelle mouvance d’auteurs émergée au début des années 90. Rochant, Desplechin, Ferran et d'autres façonnent un univers narratif susceptible de convenir à ce « type » d’actrice un peu plus excentrique, imprévisible et cérébrale dont fait preuve avec un naturel parfois confondant Emmanuelle Devos.

Elle jouera tour à tour une espionne dans Les Patriotes de Rochant (1994), une jeune femme borderline dans Oublie moi de Lvovsky (1995) et surtout un personnage brisé qui doit se reconstruire dans Comment je me suis disputé...(ma vie sexuelle) de Desplechin (1996). En exhibant avec maestria une force intérieure et une fragilité de surface, elle parvient à nous émouvoir malgré la froideur rentrée de son rôle. Cette interprétation lui vaudra une nomination pour le césar du meilleur espoir féminin. Mais plus que la récompense qu’elle n’aura pas, il y a l’intelligence d’un cinéaste qui a compris ce que peut donner une actrice comme Devos. Refusant toutes normes cloisonnant un rôle, un personnage ou une psychologie, elle exprime son désir du « beau rôle » dans l’art de la composition. Servir une écriture et non la gloire qui s’y rapporte. Tel est son enseignement ! Pas étonnant, alors, qu’elle enchaîne aussi bien des premiers rôles, des seconds rôles ou des apparitions. Peu importe l’image qu’elle véhicule et l’importance de sa médiatisation, elle provoquera sans doute jamais de « tsunami populaire ». Sa motivation, surprendre. Son leitmotiv, se faire plaisir. Son « job » est de jouer, pour déjouer. Elle peut être la bonne copine au physique ingrat comme la femme fatale sûre de son rayonnement. Comédie dramatique (Anna Oz, 1996), comédie (Le Déménagement, 1997), Science-fiction (Peut-être, 1999), drame (Esther Kahn, 2000) et, en 2001, son premier grand succès et son plus beau personnage : Sur mes lèvres de Jacques Audiard.
Apothéose d’un engagement jamais mis en défaut, la critique (enfin !) et le public découvrent une interprète magistrale dans ce rôle de femme sourde. Au-delà de la performance, notons le parallèle entre les deux femmes (Devos et Carla Behm) qui passent simultanément de l’ombre à la lumière. A force de travail, de combativité et d’amour improbable, sorte de rencontre magnifique mais dangereuse qui pousse les êtres parfois à se surpasser. Comme Carla, comme Devos. Nominée, elle obtient le césar de la meilleure actrice au nez et à la barbe d’une certaine Audrey Tautou / Amélie Poulain. Amplement mérité. A trente sept ans, Emmanuelle Devos ne risque pas de perdre la tête et, comme si de rien n’était, elle retourne au charbon du jeu.

Pour beaucoup des seconds rôles dans des films assez forts. L’adversaire (2002) et sa troisième nomination aux César, Rencontre avec le Dragon (2003) ou encore Petites coupures (2003). Sa ligne ne change pas d’un iota, l’attrait d’une écriture travaillée l’inspirant plus que jamais. Sa filmographie représente à coups sur un cinéma français de qualité trop souvent décrié pour son nombrilisme et son manque de vigueur. Ce qui n’est pas le cas de son jeu. Toujours juste, à fleur de peau, comme détaché de sa propre personne. Son ego est laissé systématiquement au vestiaire. Nue, elle se donne ; à sa façon. On ne change pas complètement ce que l’on est. Plus que des rôles, c’est son jeu qui séduit : un peu toujours le même dans le savant dosage de femmes inventées, si différentes, si personnelles. L’exemple valant parfois mieux qu’un long discours, prenons ses derniers rôles. Rois & reine (2004), De battre mon cœur s’est arrêté (2005) ; La Moustache (2005) et Ceux qui restent (2007). Quatre merveilleux films, quatre interprétations magistrales. La plus édifiante, sans doute, revient à celle de Nora dans Rois & reine. Pour leur 5ème collaboration, Desplechin lui offre un rôle anticonformiste, d’une femme peu sympathique à la complexité torturée. Alors que les gens la trouvaient « froide et monstrueuse », Emmanuelle Devos ne voyait « que ses fissures ». Comme son actrice. Comme ce cinéma fragile car peu « rentable ».
A plus de quarante ans, Emmanuelle Devos n’a rien perdu de sa fraîcheur et de son envie. Sa différence, être comme tout le monde et faire un métier que l’on aime sans se poser de question. Toute sa vie en quelque sorte...

geoffroy


 
 
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