David Lynch, Lion d'or et Palme d'or, n'a pas tourné de long métrage depuis 2006. Une longue absence. Heureusement il nous a offert une suite à Twin peaks pour la télé. Et on peut voir ses photos fétéchistes dans l'exposition de Louboutin au Palais de la Porte dorée. Il vient aussi de terminer un court métrage. Elephant Man ressort cette semaine en salles.



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EMIR EST EN VOYAGES D’AFFAIRES





Un patronyme qui est déjà à lui tout seul un appel au mystère et qui appelle l’ailleurs. Intriguant. Et quand on voit le bonhomme, ça ne s’arrange pas : Puretimes.me barbe, regard rêveur, cheveux longs en bataille. Mais qui est donc Emir Kusturica ? L’homme est secret, on ne sait quasiment rien de son enfance, de son adolescence, de sa vie en général. Né en 1954 à Sarajevo, il fait quelques études de cinéma à la F.A.M.U. l’école de cinéma de Prague (comme Milos Forman) où il réalise trois courts métrages remarqués : Une partie de la vérité, Automne, et le dernier Guernica, qui remporte alors le prix étudiant Karlovy Vary. Kusturica rentre à Sarajevo en 1978 et obtient un contrat avec la télévision, mais déjà son non conformisme s’accommode assez mal avec le régime de la Yougoslavie de l’époque, celle du général Tito. Il réalise en 1979 un téléfilm : Les jeunes mariées arrivent, qui traite de l’inceste. Scandale et controverse aboutiront à son interdiction. L’année suivante il réalise son premier long métrage, Te souviens tu de Dolly Bell ?, récompensé entre autres par le Lion d’Or de la meilleure première œuvre à la Mostra de Venise. C’est le début d’une longue série.. Il réalise son deuxième film en 1985 Papa est en voyage d’affaires qui exprime le point de vue d’un enfant sur la Yougoslavie de l’époque, en pleine mutation. Un regard angoissé pour un film ambitieux et parfaitement maîtrisé, métaphore intelligente de la situation politique d’un pays à travers celle d’une famille. Kusturica dira alors : « Je ne croyais pas une seconde obtenir la palme d’Or à Cannes […] On aura même pas le prix de la mise en scène. » Retour à Cannes en 1988 avec Le temps des gitans. Histoire d’un gitan (Perhan) élevé par sa grand-mère dans un bidonville de Sarajevo. Il rêve d’épouser Azra et se met en tête de gagner beaucoup d’argent. Il suit alors Ahmed, un parrain, et vit dans un monde sans scrupules. Perhan va devoir se plier aux règles du milieu et découvrir alors que le rêve européen reste inaccessible aux gitans. Film important parce que c’est à partir de celui-ci que Kusturica a trouvé son style, de donner la priorité au visuel sur le narratif. Des plans construits comme des tableaux (se rapprochant à ce niveau d’un Visconti). Emir, c’est un cinéma hors normes ; un mélange de dérision et de tragédie, de surréalisme et de poésie. Un univers singulier fait de fulgurances lyriques et racontant la plupart du temps des histoires insensées. Fulgurances lyriques comme justement dans Le temps des gitans : composition particulière du cadre, mouvement de caméra, utilisation de la lumière et de la musique. Tout cela contribuant à faire des images de Kusturica de vraies scènes de rêve, un rêve qui côtoierait sans cesse la réalité. C’est sur ce film que s’opère la rencontre avec son compositeur fétiche, Goran Brégovic. Musique de fête, venue des contrées balkaniques, elle est quasiment toujours jouée par les personnages ; Kusturica l’intégrant complètement à sa réalisation. Perhan est par exemple accordéoniste. Le yougoslave sait aussi parfaitement investir un univers, et nous montre ses personnages tels qu’en eux-mêmes et laisse l’appréciation aux spectateurs. Il aime ses personnages et nous les fait aimer et la description qu’il nous donne à voir de la communauté gitane nous ébranle dans les fausses certitudes que nous avions sur elle.

Son troisième long métrage arrive en 1993 : Arizona Dream. On se souvient tous de l’image de ce poisson exotique évoluant au milieu du désert de l’Arizona. Emir Kusturica déclarera à ce propos : « Cette image du poisson nageant dans une architecture déserte, n’est ce pas finalement l’image de ce que nous sommes ? […] »

Le temps des gitans avait été coproduit par la Columbia qui propose à Kusturica de venir à New York enseigner à la Columbia University. Parmi ses élèves se trouve David Atkins qui lui soumet le scénario de « American Dreamers » qui deviendra Arizona Dream, (1993) après de nombreuses réécritures d’Emir lui-même. Le film raconte l’histoire d’Axel (Johnny Depp),qui compte les poissons au ministère de la pêche. Rentrant dans son Arizona natal à l’occasion du mariage de son oncle Léo (Jerry Lewis) et deviendra son successeur comme vendeur de Cadillacs. Axel va alors rencontrer une maniaco-dépressive, Elaine (Faye Dunaway) et sa belle fille Grace (Lili Taylor) qui parle de mettre fin à ses jours et à se réincarner en tortue. Axel va devenir l’objet de désir des deux femmes et au cours de multiples épreuves entrer dans l’âge adulte. Mais la guerre civile éclate en Yougoslavie, les évènements se précipitent et les milices bosniaques investissent la maison familiale des Kusturica. Ses parents fuient alors au Montenegro. Son père ne s’en remettra pas et meurt en même temps que la Yougoslavie. Profondément affecté, Emir tourne Arizona Dream. Distribué par la Warner et joué par des acteurs américains parmi les plus connus, le film ne bénéficiera d’aucune salle aux Etats-Unis, ce qui fera dire à Emir : « L’Amérique que j’aime ressemble aux films qu’elle ne fait plus » Le film a été tourné à Douglas en Arizona, à New York et en Alaska balayant ainsi les trois extrémités du pays ; notion de triangle présente également dans l’histoire puisque Depp est partagé entre son amour pour Lili Taylor et celui pour Faye Dunaway.

On parlait de poisson pour ce film, l’occasion de souligner l’importance « animale » dans les films de Kusturica. Tous ses personnages sont proches des animaux. On retrouve ainsi au long de tous ses films des oies qui courent dans tous les sens, des dindons qui gloussent, des cochons, des vaches qui volent, etc…Souvent là par dérision, ces animaux ont aussi un rôle précis : le poisson d’Arizona Dream guide Axel de son rêve à la réalité ; le singe d’Ivan libère les hommes de leurs chaînes dans Underground ; le dindon de Perhan (Le temps des gitans) l’aide à séduire Azra, dans Chat noir, chat blanc c’est un cochon qui égrène le temps du film en dévorant peu à peu une Trabant, cette petite voiture symbole de l’Allemagne de l’Est. C’est un chat dépressif, particulièrement drôle, qui tient une très large place dans La vie est un miracle. Vorace, il mange tout ce qui passe à sa portée et fais même de l’hypnose pour attraper un pigeon !

C’est en 1995 que le yougoslave livre son cinquième film, sans aucun doute le plus controversé : Underground. L’action se passe à Belgrade en 1941 au moment où les Allemands bombardent la ville. Blacky et Marko se lancent alors dans des magouilles en tout genres, profitant de la déroute générale. Marko cache ainsi dans une cave un groupe de réfugiés auxquels il fait fabriquer des armes, tout de suite écoulées au marché noir. Blacky est blessé en 1943 et mis à l’abri dans la cave. La guerre se termine en 1944 mais Marko continue à faire croire aux réfugiés que la guerre continue…la mystification durera ainsi 15 ans. A propos de ce film, Emir déclare : « L’homme arrive à trouver la force de survivre, même dans les pires circonstances » La palme d’Or du Festival de Cannes 1995 a provoqué une polémique suffisamment importante pour que Kusturica pense abandonner le cinéma. Le film raconte aussi sur un ton loufoque et très musical une cinquantaine d’années de l’histoire de la Yougoslavie. Plusieurs intellectuels francais se sont indignés, et notamment Alain Finkielkraut ; qui n’a même pas vu le film : on accuse Kusturica d’être pro-serbe. Voici un extrait de ce que l’on pouvait lire dans le journal Le Monde sous la plume de Finkielkraut : « Le jury cannois [présidé par Jeanne Moreau, ndlr] a porté aux nues la version rock, postmoderne, branchée et américanisée tournée à Belgrade de la propagande serbe la plus radoteuse et la plus mensongère… » Propos outranciers bien entendu, surtout lorsque l’on a vu aucune image. Le film n’est pas le meilleur que le cinéaste nous ait livré, c’est certain. Mais il n’a rien d’un brulôt pro-serbe et qui plus est, Kusturica n’a jamais été dans les petits papiers de Milosevic. Emir pense arrêter le cinéma tant il est outré et atteint. Mais heureusement pour nous tous, il se ravise (la rumeur dit que c’est après avoir vu le film de Bernard Henri Levy, Jour et Nuit….) et nous offre en 1998 le pétillant Chat noir, chat blanc. Ou l’on retrouve Matko, petit gitan qui vit de petits trafics, qui ambitionne un grand coup : le détournement d’un train d’essence. Le parrain, ami de trente ans de son père, lui avance la mise de départ. Dadan, bandit déjanté, lui promet l’argent du butin ; mais double Matko volant la marchandise et réclamant sa dette. Un film encore très musical, très animal, duquel Kusturica dit : « Ce qu’on obtient au final, c’est un mélange entre la musique traditionnelle et le son cubain, une world music impossible à définir. » L’esprit burlesque du film vient en partie par la bande dessinée Alan Ford, d’origine italienne, ayant eu un très grand succès en Yougoslavie dans les années 80. Alan Ford est un publicitaire raté qui devient agent secret. Parodie de James Bond, il lui arrive toutes sortes d’aventures rocambolesques. Notons, pour l’anecdote, qu’il existe un restaurant serbe à Saint Pétersbourg, qui diffuse sur un écran des films russes ou yougoslaves, dont bien entendu le film de Kusturica. Le menu est à 1,20 roubles (c'est-à-dire une trentaine d’euros)…. Son dernier film date de 2004, il s’agit de La vie est un miracle. Un long métrage qui se passe en Bosnie en 1992 où Luka, ingénieur serbe de Belgrade venu avec sa femme chanteuse d’opéra et leur fils, s’est installé dans un endroit paumé afin d’y construire la ligne de chemin de fer qui transformera la région en haut lieu touristique. Mais sa femme le quitte pour un musicien et son fils est appelé sous les drapeaux et est fait prisonnier : le pays est en guerre.

Mais le yougoslave n’est pas seulement cinéaste, il taquine aussi la partition avec un groupe musical du nom de No Smoking Orchestra, (Zabrenjeno Pusenje en yougoslave) plutôt tendance rock et qui rappelle l’atmosphère endiablée de ses films. avec lequel il part souvent en tournée. Un documentaire retrace une de ces tournées mondiales : Super 8 stories (2001) Il enseigne aussi le cinéma dans l’université américaine de Columbia et réalise parfois quelques publicités. Un Kusturica réalisateur, musicien, mais aussi acteur : dans son propre film Underground, mais aussi chez Patrice Leconte (La veuve de Saint Pierre).

Le président du 58e festival de Cannes (du 11 au 22 mai 2005) n’est pas un inconnu sur la Croisette : il a remporté la Palme d’or par deux fois. Cinéaste atypique, Emir Kusturica est souvent appelé le « Fellini yougoslave ». Et il est vrai qu’on retrouve dans tous ses films une truculence, une imagination débordante et ces touches de folie que le grand maître italien avait lui-même. Et tout comme lui, Kusturica ne laisse jamais indifférent : on l’adore ou on le déteste, il n’y a pas de juste milieu.

Olivier


 
 
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