David Lynch, Lion d'or et Palme d'or, n'a pas tourné de long métrage depuis 2006. Une longue absence. Heureusement il nous a offert une suite à Twin peaks pour la télé. Et on peut voir ses photos fétéchistes dans l'exposition de Louboutin au Palais de la Porte dorée. Il vient aussi de terminer un court métrage. Elephant Man ressort cette semaine en salles.



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L'ECRIVAIN DES IMAGES





"I prefer to think that God is not dead, just drunk." («Je préfère considérer que Dieu n’est pas mort, mais ivre»)

40 ans de carrière, 41 films : trois décennies séparent en effet Le Faucon Maltais, premier film de John Huston (1941) et chef d’œuvre étalon du film noir, des Gens de Dublin (1987), sans doute le plus beau film testament jamais réalisé.

LES PERDANTS MAGNIFIQUES
La filmographie abondante et éclectique de John Huston est marquée par le thème central, obsessionnel, de l’échec, incarné par la figure récurrente du «loser magnifique». Mais cet échec n’est pas une fin en soi pour le cinéaste. Jean Pierre Coursodon et Bertrand Tavernier, dans leur ouvrage référence 50 ans de cinéma Américain, analysent : «le plaisir de la chasse compte beaucoup plus que son objet. L’échec qui clôt la plupart de leur entreprises est plus apparent que réel car, au-delà d’un but plus ou moins imaginaire, c’est le secret de sa propre personnalité qui poursuit le héros « hustonnien »». Ce pessimiste de nature n’est pas un esthète au sens noble, car il ne possède pas d’univers visuel immédiatement identifiable contrairement à un Hitchcock, un Kubrick ou un Losey. Ce qu’observent très justement Jean Pierre Coursodon et Bertrand Tavernier : « Huston ne sait pas mettre en lumière, par la mise en scène, les rapports secrets entre le décor et les personnages, comme Losey, ou dynamiser visuellement une émotion, un effort physique, comme Walsh. Son style est ailleurs, dans la manière et le plaisir de conter (…) dans sa manière de regarder les personnages et de calquer le rythme du récit sur leur mouvement intérieur»

HUSTON ET LES ACTEURS
La force de ses œuvres tient en grande partie dans la qualité de sa direction d’acteur. Certes, Huston les respecte. Ainsi déclare-t-il que « la moitié du métier de réalisateur réside dans le choix avisé du casting » Ce qui ne l’empêche pas de se comporter, comme, au hasard un Stanley Kubrick, avec goujaterie avec eux, voire avec un certain sadisme ! Ainsi, sur le tournage de Moby dick, il manque de noyer son interprète principal Gregory Peck ; pire encore, sans doute pour améliorer l’ambiance entre les stars de La Nuit de L’Iguane (Richard Burton, Ava Gardner, Deborah Kerr), Huston ne trouve rien de mieux que de distribuer à chacun un revolver muni de cinq balles gravées au nom de leurs collègues ! Ces mauvaises manières se sont parfois retournées contre lui, en la personne de John Wayne notamment : sur le plateau Le Barbare et la Geisha, l’imposant acteur, irrité par le mauvais caractère de Huston, aurait perdu son calme et mis froidement KO l’ex-champion de boxe! Esprit frondeur donc, indépendant, pour cet authentique « maverick ».

VIES MULTIPLES
Bon vivant, amateur de femmes (il se mariera cinq fois) et de boissons alcoolisées, Huston est aussi un globe-trotter invétéré. Des Etats-Unis au Mexique en passant par Londres, l’Afrique et L’Irlande, le cinéaste s’est sans cesse confronté à de nouveaux horizons, pour se réinventer à chaque fois. Apatride et bourlingueur, ce grand gaillard, fils du comédien Walter Huston, a tout fait: boxeur, scénariste, producteur, acteur, dialoguiste mais aussi peintre, sculpteur, cavalier, soldat et même chasseur d’éléphants ! Né le 5 août 1906 à Nevada dans le Missouri, John Marcellus Huston va connaître une existence mouvementée, multiple, longue de 81 années. Au soir de son existence, il déclarait ainsi, avec un mélange de drôlerie et de lucidité froide : « J’ai vécu de nombreuses vies. J’ai tendance à envier l’homme qui vit une vie unique, avec un seul travail et une seule femme, dans un pays, en croyant à un seul Dieu. Peut-être n’est-ce pas une vie très excitante, mais au moins, lorsqu’il atteint l’âge de 73 ans, cet homme sait à quel point il est vieux». Huston, lui, est resté jeune toute sa vie.

TATONNEMENTS
Après une courte mais glorieuse carrière de boxeur amateur – avec un nez cassé pour souvenir – son père lui fait découvrir le théâtre. John Huston fait ses premiers pas sur les planches en 1924 en obtenant le premier rôle dans The Triumph of the Egg de Sherwood Anderson. Mais il sait son talent d’acteur limité : «Je ne me suis jamais pris au sérieux comme acteur. J’ai toujours pensé que mon père couvrait cette activité pour toute la famille »*. Une grave opération l’oblige à s’éloigner de Broadway, il s’engage alors dans la cavalerie au Mexique, animé par sa passion des chevaux. De retour en Californie, il devient brièvement reporter au Daily Graphic puis écrit en 1928 sa première pièce Frankie et Johnny, et obtient avec l'aide de son père un contrat de scénariste chez Universal en 1932. Il participe à l'écriture de trois films (A House Divided en 1931, Law and Order et Double Assassinat dans la rue Morgue en 1932) avant de tout quitter pour Londres où il reste plusieurs mois. A son retour il se cherche encore, participe à l'édition d'un magazine (Mid-Week Pictorial) et reprend même la comédie avec succès. Quelques mises en scène pour le théatre s’ensuivent puis l’écriture de scénarios pour la Warner bros, dont deux succès de William Wyler (L’Insoumise, 1938 et Les Hauts de Hurlevent, 1939) et celui de La Grande Evasion (adapté de William Riley Burnett) de Raoul Walsh en 1941. Mais Huston, malgré sa reconnaissance grandissante en tant que scénariste, ne cache pas sa difficulté à écrire et sa préférence pour le recours au croquis, plus proche de la peinture. A 35 ans, Huston veut passer derrière la camera.

FILMS NOIRS
C’est chose faite avec Le Faucon Maltais, d’après le roman de Dashiell Hammett, déjà adapté deux fois au cinéma. Coup d’essai, coup de maître: Huston réécrit le scénario scène par scène, se réapproprie le roman pour « essayer de transposer le style de Hammett en termes techniques », soit entièrement du point de vue de Sam Spade, le personnage joué par Humphrey Bogart. Ce dernier, clope au bec et regard désespéré, écrit le premier chapître marquant de sa propre légende. Quintessence de l’anti-héros hustonien, ce détective privé poursuit au péril de sa vie un Graal chimérique – le fameux faucon, qui se révèle factice. La désormais légendaire phrase «C’est l’étoffe dont on fait les rêves» («It’s the stuff that dreams are made of») conclut ce chef d’œuvre du film noir dont la violence n’est pas tant visuelle que verbale. Contrairement aux films de gangsters des années trente, comme le fameux Scarface de Hawks, «Dans le Faucon, ce ne sont pas les armes mais les hommes qui parlent».
Fort de ce succès inattendu, Huston se voit confier un casting de luxe (Bette Davis, Olivia de Havilland, Charles Coburn) pour son second film In This Our Life, inédit en France. Alors qu’il tourne Across the Pacific avec Humphrey Bogart, l’attaque de Pearl Harbor l’empêche d’achever le film : Huston répond à l’ordre d’engagement dans le Signal Corps. En 1943, il devient correspondant de guerre et réalise trois documentaires marquants, dont Let There Be Light. Insistant sur les tragédies humaines causées par le conflit, il y dénonce les séquelles psychologiques subies par les soldats rescapés. Confisqué par le gouvernement US en raison de la dureté de ses images, Let There Be Light ne sera projeté sur les écrans qu’en 1980...
A son retour, il adapte Le Trésor de la Sierra Madre pour lequel il engage à nouveau Humphrey Bogart et son père. Il renoue ainsi avec la thématique de l’échec, mais dans le cadre du western. Le film, sorti en 1948, vaut à John et Walter Huston les seuls Oscars de leur carrière : ceux du meilleur scénario et de la meilleure réalisation pour le fils, et celui du meilleur second rôle pour le père. Il réalise ensuite trois films, dont Key Largo (1948) à nouveau avec son acteur fétiche, Humphrey Bogart, et Lauren Bacall. Couple mythique pour ce huis clos étouffant qui dépeint avec pessimisme le sentiment d’après-guerre, « les gens découvrant que ce n’était pas du tout l’aube d’un nouveau monde, que c’était toujours le vieux, dont les gangsters sont un symptôme. » (Propos de John Huston cités dans "Humphrey Bogart" de Bernard Eisenshitz). En rupture de contrat avec la Warner, il s’associe avec Sam Spiegel pour créer Horizon Pictures, dont Les Insurgés (We Were Strangers) est le premier-né. Bavard et naïf, ce film qui a pour cadre le Cuba des années trente souffre, de l’aveu même de Huston, d’un excès de sentimentalisme.
Rien à voir avec Quand la ville dort (Asphalt Jungle), son film suivant. Ce film noir magistral engendre même un sous-genre, le « caper movie » (film de casse), dont l’excellent Du Rififi chez les Hommes (1955) de Jules Dassin est un descendant évident. Deux scènes inoubliables : l’un des gangsters en fuite prend une pose apparemment anodine dans un café, mais sa fascination pour la danse lascive d’une adolescente lui fait gâcher de précieuses secondes qui causent sa propre perte. Et la fin, superbe, lorsque Strerling Hayden, fatigué et gravement blessé au volant de sa voiture, s’étend au milieu d’un champs pour y mourir au calme, entouré de chevaux noirs. A noter que ce film crépusculaire attira l'attention du public et de Hollywood sur une lumineuse blonde platine, Marilyn Monroe, qui joue ici un petit rôle.

GUERRE, ROMANCE ET NUITS PARISIENNES
Puis en 1951, Huston consacre La Charge victorieuse (The Red Badge of Courage) à la guerre de Sécession, une adaptation du célèbre roman de Stephen Crane. Film charcuté par les producteurs, si l’on en croit Lilian Ross. D’après le livre de la journaliste ("Picture - A Story About Hollywood", 1952) qui a suivi à la trace l’histoire du film du printemps 1950 à mai 1952, les producteurs de la MGM, Dore Schary en tête, sont passés par là et ont « amélioré » le travail de Huston, notamment en ajoutant un générique en forme de prologue qui rappelle l’origine littéraire du film, et un commentaire la plupart du temps tombé des nues. Alors que Huston aurait préféré la voie plus subtile de la suggestion en faisant pleinement confiance au pouvoir du cinéma et des acteurs, les producteurs ont décidé de tout expliciter, des péripéties aux états d’âme du jeune héros. Ainsi, l’ordre des séquences de la bataille principale aurait été corrigée pour raison de clarté (!) au point de produire au moins une erreur de script... Sans parler de trois séquences (l’ouverture, la clôture et la mort d’un soldat) et de quelques plans chers à Huston, amputées du film par les studio. La Charge victorieuse est un échec critique et commercial.
Mais John Huston rebondit avec African Queen (1952), un succès public et critique. Porté par le duo haut en couleur Katherine Hepburn / Humphrey Bogart, monstres sacré vieillissants, ce film à l’humour très british fonctionne sur l’opposition des deux personnages. Soit une rencontre improbable à bord d’un vieux bateau, pendant la Première Guerre Mondiale, entre une vieille fille missionnaire et un aventurier un peu trop porté sur la bouteille. Le tournage en Afrique, riche en rebondissements (Huston partant à la chasse aux éléphants, disputes entre les deux stars et Lauren Bacall, venue épauler « Bogie », son époux) a inspiré au scénariste Peter Viertel son livre Chasseur Blanc, cœur noir (à l’origine du film éponyme de Clint Eastwood) mais aussi le recueil de souvenirs de tournage de Katherine Hepburn, "Comment je suis allée en Afrique avec Bogart, Bacall et Huston et faillis perdre la raison".(1987), dont le tître, savoureux, résume bien l’esprit.
Changement de décors avec Moulin Rouge (1952), qui concrétise le vieux projet du réalisateur de tourner un biopic de Toulouse Lautrec. Ce film très coloré vaut en grande partie pour la performance très physique de José Ferrer, à genoux pour rendre la petite taille de l’artiste.

DEMESURE
A cette époque, Huston, ne supportant plus l’inquisition Maccarthyste qui sévit à Hollywood choisit de quitter les Etats-Unis pour s’établir en Irlande. Plus tard, en 1964, il se fera naturaliser. Côté grand écran, quelques films inégaux: la sympathique parodie de film d’aventures Plus fort que le diable (avec des dialogues de Truman Capote, 1953), une adaptation à grand spectacle du Moby Dick de Herman Melville qui perpétue la thématique hustonienne de la quête folle d’un Graal (ici la fameuse baleine blanche, obsession de l’éclopé Capitaine Achab). Huston y voyait même « un énorme blasphème » : « Achab étant l’homme qui a compris l’imposture de Dieu (…) sa quête ne tend qu’à le confronter face à face sous la forme de Moby Dick, pour lui arracher son masque. » (in "Mémoires") Dans un mode plus mineur, Dieu seul le sait (Heaven Knows, 1957) raconte la rencontre d’une nonne et d’un Marines rescapés sur une île du Pacifique pendant la Seconde Guerre mondiale. Le Barbare et la Geisha, film en partie mutilé par John Wayne (qui tient le rôle principal) ne relève pas le niveau : cette histoire relatant l’arrivée d’un consul américain au Japon en 1856 visait à ménager les publics Américain et Japonais. Malgré une brillante distribution (Errol Flynn, Juliette Greco, Orson Welles) et un scénario du « goncourisé » Romain Gary, le film suivant, Les Racines du ciel (The roots of Heaven, 1958) est un ratage. Hypocrisie du discours (le héros se voue à la défense des éléphants, tandis que Huston les collectionne – les défenses!) et lourdeur symbolique au programme.
Dénaturé par les producteurs, Le Vent de la plaine (The Unforgiven), western antiraciste brillamment interprété par Lilian Gish et Charles Bickford, est incompris à sa sortie, en 1960.

FRUSTRATIONS, INCONSCIENT ET ATHEISME
L’année suivante, Huston revient à son meilleur niveau avec Les Désaxés (The Misfits), adapté du roman d’Arthur Miller. Malgré des lourdeurs, ce film mythique reste aujourd’hui encore entouré de mystère. Le sort funeste des trois stars du film n’y est pas pour rien: suicide de la sublime Marilyn, mort du lion Clark Gable deux mois après la sortie du film, et disparition du très beau Montgomery Clift - une crise cardiaque deux jours après la fin du tournage. D’un point de vue artistique, on retrouve les motifs chers à Huston : désenchantement, personnages étouffés par la réalité, en quête de liberté. Et après moult efforts – on a l’impression d’observer les contorsions dérisoires d’insectes piégés dans une toile d’araignée – les êtres se découvrent tels qu’ils sont, dans l’échec. Les scènes de capture des chevaux sauvages dans le désert sont inoubliables, et illuminent d’une obscure clarté ce film profondément désabusé. Un noir et blanc où le soleil tient lieu de lumière blanche et aveuglante.
Passionné de psychanalyse, Huston s’attaque ensuite à Freud, passions secrètes (1962). Il demande à Jean Paul Sartre d’en écrire le scénario. Mais la collaboration est houleuse entre le cinéaste et l’auteur de "L’Etre et le néant", dont le trop abondant script ne sera finalement pas exploité. Revu et mutilé (pour séduire le plus large public possible avec ce sujet peu accrocheur, selon les producteurs), le film est sauvé par une vibrante composition de Montgomery Clift en Dr Freud égaré. Plus léger, Le dernier de la liste (The List of Adrian Messenger, 1963) offre à Huston le loisir de rendre méconnaissables des acteurs célèbres - comme Burt Lancaster transformé en vieille dame ! - sur le ton de la parodie. Il n'arrête pas de tourner et enchaîne les projets tous différents. Vient alors une de ses œuvres majeures, La Nuit de L’iguane (1964), où Huston relit Tennessee Williams à sa manière. Et quelle manière ! Ce film magnifique décrit avec finesse et empathie le théâtre faussement jovial des désirs et des sentiments incompatibles. Pour Robert Benayoun (visiblement pas un grand fan de Williams), Huston réussit là à s’extraire du « pâté de symboles laborieusement pelleté par Tennessee Williams » pour s’intéresser à une galerie de « siphonnés géniaux : du poète-Malthusalem autosoporifique à a nymphette possessive ( …) puis à la tenancière engigolée ou à l’instititrice lesbienne, tous sont pris avec une pincée de sel » Grandeur et dérision des personnages, ton enjoué, Huston filme sans pathos ces paumés magnifiques interprétés par un Richard Burton (au sommet de son art) à l’ironie narquoise, Ava Gardner, Deborah Kerr et Sue Lyon (dans le même registre que sa prestation dans Lolita de Kubrick).
Projet le plus ambitieux du réalisateur, La Bible (1966) est une déception. Bresson, Fellini, Welles et Visconti avaient jeté l’éponge avant lui. Le résultat n’a aucun intérêt. Ce qui n’a rien d’étonnant : athée agnostique notoire, Huston avait pour la religion une sensibilité toute extérieure. D’où une lecture des écritures saintes (concentré sur les premiers épisodes bibliques, d’Adam et Eve à la Tour de Babel) distanciée, traitées comme un mythe universel. Peu spirituel donc, un comble pour La Bible...
Après avoir réalisé un sketch pour la parodie de James Bond Casino Royale en 1967, Huston aborde un sujet plus ambitieux avec l’adaptation de Reflets dans un oeil d'or (Reflections in a Golden Eye,1967) de Carson McCullers. Comme le roman, le film débute par cet avertissement: « Il y a un fort dans le Sud où voici quelques années un meurtre fut commis. » Tragédie sur le voyeurisme, portée par le duel entre Marlon Brando et Elizabeth Taylor, tous deux magnifiquement pathétiques dans leur ouvrage de destruction mutuelle, ce film aborde aussi le thème, osé pour l’époque, de l’homosexualité. Et évite la caricature. C’est enfin une œuvre sur la puissance terrifiante et dévastatrice du non-dit, comme l’écrivent avec justesse Jean-Pierre Coursodon et Bertrand Tavernier : « la tragédie se nouera très rapidement, en quelques regards, et tout le monde se détruira sans s’en rendre compte, sans avoir pu s’exprimer, sans avoir rien compris. »

AMOUR, RING ET TRANSGRESSIONS
Après un petit film picaresque avec John Hurt, Davey des grands chemins (Sinful Davey), Huston réalise la même année une de ses œuvres les plus singulières. Promenade avec l'amour et la mort (A Walk with Love and Death) déchirante ballade médiévale, méditation sur la liberté et l’amour interprétée par sa fille Angelica. A travers cette reconstitution historique (période guerre de Cent ans) sobre, épurée, loin des clichés hollywoodiens, Huston parle d’amour, de sexe et de liberté. Des thèmes en fait très liés à l’esprit de l’époque, juste après Mai 1968. La Lettre du Kremlin (The Kremlin Letter) film d’espionnage et galerie de personnages déviants et abjects en URSS, n’atteint pas les mêmes sommets de poésie. Mais parvient, en empruntant une voie narrative complexe, à faire vivre sur l’écran des êtres malmenés et déviants, donc fascinants. On passe rapidement sur Les Complices de la dernière chance (The Last Run), road movie finalement achevé par Richard Fleischer, pour évoquer plus longuement Fat City (1972), chef d’œuvre désabusé, bouleversant de finesse, sur les perdants de la boxe. Stacey Keach joue admirablement cet ex-boxeur exténué devenu pilier de bar, et tout à coup requinqué par sa rencontre avec Ernie (formidable Jeff Bridges), jeune loup de 18 ans dans lequel il se reconnaît et projette ses propres fantasmes. Ernie, espère-t-il, sera sa revanche. Huston filme avec une délicatesse infinie cet univers déprimant fait de combats dérisoires, de bars obscurs et enfumés, de whisky, de sang et de désillusions. Un de ses plus beaux films. Mais cette période est souvent considérée comme transitoire dans sa filmographie, un passage entre ses grands films classiques et ses films d'auteur les plus reconnus...

AVENTURES INEGALES
Juge et hors-la-loi (The Life and Times of Judge Roy Bean), récit humoristique dans l’ouest et Le Piège (The MacKintosh Man) bon film d’espionnage et pastiche de Hitchcock, avec Paul Newman et l’excellent James Mason: deux occasions pour Huston de revenir vers un de ses terrains de jeu favori, celui des films d’aventures légers à l’humour parodique. Sur la même lancée, mais sur un mode majeur, Huston adapte L’Homme qui voulut être roi (The Man Who Would Be King) d'après Kipling : deux des meilleurs comédiens britanniques, Sean Connery et Michael Caine, incarnent avec une jubilation contagieuse ces deux Blancs accueillis en dieux au Kâfiristân, dans ce conte moral et cruel qui dénonce le rêve impérialiste.
Huston réalise ensuite un court-métrage de commande, Independence (1976), commémorant l’indépendance américaine. Dans un tout autre registre, Le Malin (Wise Blood) est l’occasion pour Huston, éternel rebelle, de faire « un film de jeune homme », digne « d’un jeune cinéaste désireux de piétiner les règles » (Tavernier et Coursodon). A 73 ans, le cinéaste, fidèle à l’esprit grotesque de l’auteur Flannery O’Connor, dont le film est inspiré, se fend d’une satire décomplexée et irrévérencieuse sur les sectes américaines et la prédication ambulante. Petite baisse de régime avec Phobia (1980) et le navet À nous la victoire (Victory) avec Sylvester Stallone dans une histoire improbable de match de foot dans un stalag (!) qui permet l’évasion de prisonniers( !?). Mais Huston surprend son monde en revenant avec Annie (1982) dans un genre qu’il n’a encore jamais abordé: la comédie musicale. Inspiré d’une bande dessinée des années trente, le film est charmant, sans plus. Il nous aura tout fait...

DERISION ET EMOTION
Les trois derniers films de Huston sont autrement plus ambitieux. Réputé inadaptable, le roman culte de Malcolm Lowry Au-dessous du volcan (Under the Volcano, 1984) n’est pas une mince affaire. Un vrai défi pour ce passionné de littérature qu’est le cinéaste. Très critiqué à sa sortie, le film est pourtant assez réussi. Huston se réapproprie – comme toujours – l’œuvre originale en élaguant, en modifiant (la mort d’Yvonne), pour toucher à l’essentiel. Résultat, Au-dessous du volcan est un film qui tend vers l’épure, va au plus simple et préfère l’intrigue à l’atmosphère de folie propre au roman de Lowry. Les fans de l’écrivain crient à la trahison, les autres apprécient la cohérence et le talent de conteur du cinéaste, dont le personnage principal (Albert Finney), imbibé d’alcool, perpétue la lignée des beautiful losers chers à Huston. Le ton de L'Honneur des Prizzi (Prizzi's Honor) se fait plus satirique, voire cynique. Très drôle avec ça, grâce aux performances brillantes de le carnassier Jack Nicholson et la fatale Kathleen Turner en couple de tueurs professionnels, qui cabotinent à souhait. Pour Tavernier et Coursodon, « un des rares films récents à avoir un vrai point de vue moral sur la corruption des valeurs, des idéaux, typique de l’Amérique post-nixonienne.»
Mais le meilleur reste à venir. Pour ce qui sera son dernier film, Huston, signe un chef-d’œuvre absolu. Sur la mort, la vie, le temps qui passe. Les Gens de Dublin (The Dead), adapté en 1987 de la dernière nouvelle du recueil « Dubliners » du grand James Joyce, s’inscrit, selon Michel Ciment, dans la dernière veine hustonienne, celle des « œuvre limpides marquées du sceau de la simplicité formelle qu’atteignent certains créateurs à la fi de leur parcours artistique, quand ils n’ont plus rien à prouver et expriment la quintessence de leur expérience.» Film hanté par la mort : sur le tournage, Huston, atteint d'emphysème, se déplaçait le plus souvent en fauteuil roulant, avec sa bonbonne d'oxygène. Tous les acteurs sont irlandais, de là sans doute l’authenticité si rare de ce film bouleversant, qui relate une fête de l’Epiphanie dans le Dublin du début du XXème siècle. « Son âme se pâmait lentement tandis qu'il entendait la neige tomber, évanescente, à travers tout l'univers, et, telle la descente de leur fin dernière, évanescente, tomber sur tous les vivants et les morts.», ces derniers mots de Joyce prennent tous leur sens. Qui sont ce ou ces morts (le tître anglais The Dead se garde de trancher)? Lorsque Gabriel aperçoit sa femme Grata en haut de l'escalier, absorbée par l’écoute de « The Lass of Anghim », quelque chose d’indicible et de déchirant se produit à l’écran. Tout s’éclaire quand Greta ( Angelica Huston, dans le rôle de sa vie), raconte à son mari le trouble qui l'a envahie en entendant cette vieille chanson irlandaise. Elle s'est alors souvenue de son amour de jeunesse pour Michael Furey. « Je pense qu'il est mort pour moi», lui dit-elle. A cet instant précis Gabriel réalise la faillite de sa vie.

ART DE L’ADAPTATION LITTERAIRE
Durant toute sa carrière, avec plus ou moins de bonheur, Huston a cherché à porter à l'écran des auteurs volontiers réputés inadaptables : Hammett, Melville, Kipling, Joyce, Romain Gary ou Arthur Miller, sans oublier les Saintes Écritures elles-mêmes, ou les contributions de Truman Capote et Ray Bradbury . Ses lectures du Faucon maltais, de Asphalt Jungle et de The Dead sont brillantes car pas trop révérencieuses. Dans Les Gens de Dublin par exemple, Huston ne craint pas d’ajouter un personnage (le militante républicaine et féministe) ou une scène (le poème déclamé). Et pourtant, jamais comme dans ce film, il n'avait réussi à saisir l’essence d’une œuvre littéraire. Adieu admirable à la vie, à la littérature et au cinéma, les trois amours de ce grand peintre d’une condition humaine à la fois belle et dérisoire.

* (Entretien avec Rui Nogueira et Bertrand Tavernier, John Huston, dossier Positif-Rivages)

éric vernay


 
 
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