David Lynch, Lion d'or et Palme d'or, n'a pas tourné de long métrage depuis 2006. Une longue absence. Heureusement il nous a offert une suite à Twin peaks pour la télé. Et on peut voir ses photos fétéchistes dans l'exposition de Louboutin au Palais de la Porte dorée. Il vient aussi de terminer un court métrage. Elephant Man ressort cette semaine en salles.



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FRANCOIS FORMIDABLEMENT FABIAN





La nuit la plus chaste du cinéma

La scène se passe à Grenoble au coeur des années 1970. Sur une pente enneigée, un homme en parka est face à une femme emmitouflée de fourrure.
L’homme l’attire vers elle, mais le froid semble ôter toute sensualité à cette étreinte. La femme demeure un moment blottie contre lui, puis renverse la tête. Les lèvres de l’homme effleurent celles de la femme. Ils s’embrassent très brièvement.
"- Vos lèvres sont froides", dit la femme
"- Les vôtres aussi. J’aime bien.
- C’est dans le ton de vos sentiments.
- Oui. Je veux dire : ce baiser est purement amical.
- S’il l’était !
- Vous ne croyez pas à mon amitié ?
" dit l’homme en continuant à la serrer.
"- Je ne vous connais pas !"

Cinq ans plus tard, l’homme et la femme se retrouvent sur une plage de Belle-île. Lui, en famille. Elle, en robe de plage. Son bronzage et ses cheveux aux vents lui donnent un air libre, un brin oriental. Leur conversation est brève. Il y a une femme et un enfant entre eux. Elle file seule vers les dunes. Il rejoint sa femme et son fils vers la mer. Générique de fin.

Ma nuit chez Maud ou Un homme et une femme selon Eric Rohmer. Maud et Jean-Louis. Françoise Fabian et Jean Louis Trintignant passent ensemble la nuit la plus chaste du cinéma, en prise avec le Pari de Pascal.
Hors du temps, ce conte moral continue de nous intriguer et de nous émouvoir par l’universalité de son propos, de nous questionner sur la motivation et l’élan de nos sentiments. La mise en scène quasi-ascétique d’Eric Rohmer "éternise" - au sens littéral, biblique du mot - son propos.
De son côté, la beauté et la pureté de la photographie en noir et blanc de Nestor Almendros offrent au film une stylisation qui transcende la religiosité ambiante des conversations. Mieux, la gomme au profit d’une spiritualité interrogative, vivante et vibrante de ses doutes.

Si le Dieu du septième art existe, il offre à Françoise Fabian - grâce à son inoubliable interprétation de Maud - l’une des plus belles places dans son panthéon.

(aparté: My ladies héroïnes)

Parmi les nombreuses actrices de cinéma, peu inscrivent leur nom en lettres d’or au générique d’un film qui s’inscrit dans l’Histoire du septième art.

Comment naît l’alchimie qui unit une œuvre à son héroïne, un rôle phare à son interprète comme la plus limpide des évidences ? Un grand metteur en scène ? Un scénario d’exception ? Une comédienne au physique et au talent idéaux pour "imager" une œuvre cinématographique ?... Les meilleurs partis pris artistiques (lumière, son, musique, costumes, etc.) ?... Oui. Toutes ces conditions sont requises, mais encore faut-t-il qu’elles s’harmonisent à chaque étape de création pour traduire le même esprit, la même conviction cinématographique. Cette œuvre, même si elle est historique, doit aussi révéler en filigrane - et non à l’aide d’un message qui réduit le film à son propos et le condamne souvent à l’immédiateté, donc à l’oubli - le(s) mouvement(s) actuel(s), passé(s) et futur(s) de la société dont elle se nourrit culturellement. Terreau de son épanouissement, de sa réalisation dans une double dimension : son actualité et sa place dans l’Histoire du septième art qui refléteront avec le temps l’éclat de sa profondeur.

Pendant la seconde moitié du XXe siècle, plusieurs films offrent à quelques actrices françaises un rôle qui leur colle tant à l’âme - littéralement, à la peau et à l'image - qu’il détermine leur carrière, mais traduisent aussi certaines mutations de la société. Les années 1950 avec Madame de... de Max Ophuls apporte un second souffle à la carrière de Danielle Darrieux. L’actrice qui tourne depuis les années 1930 interprète un personnage qui va de la frivolité à une gravité fatale. Ce trajet psychologique, réalisé par metteur en scène germanique, n’est-il pas celui d’une France guerrière et exsangue dans la première moitié du XXe siècle ? Et Dieu créa la femme ou quand Roger Vadim fait de Brigitte Bardot, jusqu’alors légère et ravissante starlette, un mythe cinématographique digne de Marilyn Monroe. B. B. préfigure la libération par le sexe des années 1970. Pour le Vatican, l’actrice est alors l’incarnation de Satan ! Les années 1960 avec Jules et Jim, François Truffaut sacre Jeanne Moreau égérie de la Nouvelle Vague. Le personnage de Catherine balaie d’un coup ceux qu’elle joue depuis le milieu des années 1940. Les parapluies de Cherbourg de Jacques Demy révèle Geneviève alias Catherine Deneuve, la fiancée du cinéma français qui deviendra sa « légitime internationale ». Bien que ces films n’aient aucun rapport avec la période de l’Occupation, le caractère de leur héroïne traduit en filigrane les visages de la France d'alors :
- Catherine qui « résiste » en aimant Jules et Jim en même temps, et va jusqu’à se détruire par conviction amoureuse.
- Geneviève qui « collabore » avec la raison en se résignant à faire un mariage d’argent à cause du silence de son amant pendant la guerre d’Algérie.
Les années 1970 et la crise pétrolière qui commence à sévir. Avec elle, les balbutiements de tourments économiques qui s'amplifieront. À ce titre, Adèle H de François Truffaut - certainement, le plus beau rôle d’Isabelle Adjani à ce jour - est tout à fait révélateur des tourments culturels que va rencontrer la France pendant des décennies. Fière, mais aussi écrasée par le poids de son passé tout comme Adèle par la notoriété de son père Victor Hugo, la nation revendique une culture d’antan rayonnante alors qu’elle s'embourbe dans le malaise. Les années 1980 et leur 37°2 le matin de Jean-Jacques Beineix qui met en lumière Béatrice Dalle annonçant la douleur en aimant avec une rage et une violence inouïes. Délibérément frontale, le personnage de Betty est à la frange du "socialement correct". Il suffit d’un souffle contraire du destin pour qu’elle rejoigne dans la mort Mona alias Sandrine Bonnaire, la SDF de Sans toit ni loi d’Agnès Varda. Ces deux personnages montrent les ravages humains de la crise économique qui sévit après les 30 glorieuses : l’énergie du désespoir confrontée à la misère la plus crasse. Enfin les années 1990. Bleu de Krzysztof Kieslovski dans lequel Juliette Binoche incarne la douleur du deuil et sa résilience. La passion est le langage amoureux le plus largement représenté depuis des millénaires dans les oeuvres artistiques. A l'approche du XXIe siècle, elle est rebaptisée "dépendance affective". Afin de contrarier la violence ambiante caractérisée par le SIDA et le chômage, les années 1990 prônent les techniques d'épanouissement personnel. Julie, le personnage principal de Bleu, se reconstruit après un veuvage brutal. Il propose un modèle de femme qui choisit de tirer profit des épreuves de l’existence, même si la solitude est le prix à payer de cette exigence.

Maud Fabian

En prenant les traits de Françoise Fabian en 1974, la Maud d’Eric Rohmer s’inscrit à partition entière dans le cercle fermé des héroïnes cinématographiques qui vibrent pleinement dans leur siècle. Mieux, qui visualisent l’évolution de la femme. Dans son recueil de mémoire Le temps et rien d’autre écrit avec la collaboration de Philippe Rège aux éditions Fayard, la comédienne confie : « Maud incarnait la beauté, le désir, l’insolence. Son indépendance intellectuelle et son désir de contrôler sa vie était remarquable. Je comprends Maud, mais ne parviens à l’expliquer. J’ai joué ce personnage il y a près de quarante ans, et j’en suis encore très proche. Peut-être avons-nous eu le même destin ? Comme elle, je n’ai reçu aucune éducation religieuse, j’ai un grand besoin d’indépendance et j’accepte la solitude. S’il m’est difficile de parler d’elle, c’est que j’ai l’impression de parler de moi. »

Maud vit seule avec sa fille. Au cœur des années 1970, sa monoparentalité encore marginale traduit un mode de vie avant-gardiste. Ni bourgeoise argentée, ni femme du peuple, elle est aisée mais sans ostentation. Exerçant une profession libérale, elle est cultivée sans être une intellectuelle. Ce personnage vit à la pointe de son temps car son statut, ses pensées et ses prises de positions sur le Pari de Pascal - donc, sur la religion - sont imprégnés de l'affranchissement du féminisme.
Plus encore qu’une œuvre spirituelle, Eric Rohmer signe un film qui anticipe le sort de nombreuses femmes dans la seconde moitié du XXe siècle.

La virilité de Françoise Fabian, sa voix claire, sa diction précise qui lance les mots comme des flèches qui touche leur cible, sa beauté classique et souveraine sont autant d’atouts dominateurs face à la timidité féminine de Jean-Louis Trintignant. Regards soyeux et longs cils, il caresse chaque phrase dans ses lèvres ourlées avant de les murmurer. Maud dort nue à la hussarde. Jean-Louis, telle une jeune fille effarouchée, s’enroule tout habillé dans une couverture de fourrure avant de s’étendre près d’une femme.

Belle toujours

En 1974, les aiguilles du temps portent chance à Françoise Fabian. Désormais, Maud et elle ne feront qu’une dans l’imaginaire amoureux des cinéphiles. Dès sa sortie, le monde entier célèbre le film et son interprète. Françoise Fabian devient La Fabian, et entre dans la légende du 7e art.

Pourtant, Michèle Cortès de Léon - espagnole par son père et polonaise par sa mère - qui court comme un garçon manqué dans les rues d’Alger où elle voit le jour, est depuis des années une vedette confirmée en France.
Elle débarque à Paris au début des années 1950. Est reçue au Conservatoire d’art dramatique avec Jean-Paul Belmondo et Jean-Pierre Marielle. Dès les années 1960, elle tourne entre autres avec Gilles Grangier, Louis Malle et Luis Buñuel qui lui demande de grossir et de s’enlaidir pour incarner l’une des belles de jour de chez Madame Anaïs.

Après l’incarnation de Maud, elle est désirée par les plus grands réalisateurs. Pêle-mêle : Michel Deville, Mauro Bolognini, André Delvaux, Jacques Demy, Claude Lelouch, Louis Malle, François Ozon l’inscrivent avec honneur et bonheur à leur générique.
En parallèle, elle ne cesse d’arpenter les scènes de théâtre sous la direction de metteurs en scène aux univers très différents : Michael Cacoyannis, Jacques Charon, Jorge Lavelli, Marcel Maréchal, Yasmina Reza, Claude Santelli...

La carrière télévisée de Françoise connaît aussi ses heures d’or. En 1979, elle bouleverse l’hexagone aux côtés de Fanny Ardant, Edwige Feuillère, Evelyne Buyle, Denise Grey, Martine Chevalier et Annie Sinigalia. Les romanesques Dames de la côte qui résistent aux tourments de première guerre mondiale sous la direction de Nina Companez.
Françoise Fabian met alors sa coquetterie aux orties en devenant la mère de Francis Huster et de Bruno Devoldère alors qu’elle est beaucoup trop jeune.
En 2005, elle troque ses cheveux bruns pour des mèches grises dans "La Femme Coquelicot" de Jérôme Foulon, et vit une romance avec le regretté Jean-Pierre Cassel. La sensualité de cette œuvre fait rimer Seniors avec Seigneurs !

Françoise Fabian est avant tout une femme amoureuse. De la vie, de la comédie et de deux hommes aussi : Jacques Becker - par exclusivité, il l’empêche de participer à La Dolce Vita de Fellini - et Marcel Bozzuffi alias Bozu. Dans son livre de mémoires, elle confesse : «Pour vivre, dans tous les sens du mot, j’ai accepté des pièces et des films, j’en ai refusé bien d’autres parce que j’avais mieux à faire. Le temps est passé sans que l‘ennui me terrasse. Je me suis passionnée pour ma vie et dans mon métier : je les aimés et j’y ai souffert. L’amertume ne m’a pas atteinte et, si je regarde en arrière, je suis sans regret.» Signé F. F. comme une Femme Formidable, comme Françoise Fabian.

Master très classe

Comme toutes les timides, Françoise Fabian est intimidante car elle s’est construite une carapace d’assurance, paravent digne qui cache une sensibilité à fleur de peau, une vulnérabilité un brin fébrile, mais aussi un solide sens de l'humour.
Malgré sa résistance à s’épancher, Françoise a accepté d’égrener pour Ecran Noir quelques souvenirs de son cinéma (voir interview).



benoît


 
 
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