David Lynch, Lion d'or et Palme d'or, n'a pas tourné de long métrage depuis 2006. Une longue absence. Heureusement il nous a offert une suite à Twin peaks pour la télé. Et on peut voir ses photos fétéchistes dans l'exposition de Louboutin au Palais de la Porte dorée. Il vient aussi de terminer un court métrage. Elephant Man ressort cette semaine en salles.



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LA LOI DU DESIR





« Je crois que le cinéma exerce sur les spectateurs un certain pouvoir hypnotique. Il suffit de regarder les gens qui sortent d’une salle de cinéma, toujours en silence, la tête basse et l’air lointain. Le public du théâtre, de la corrida et le public sportif montrent beaucoup plus d’énergie et d’animation. L’hypnose cinématographique, légère et inconsciente, est due sans doute à l’obscurité de la salle, mais aussi aux changements de plans, de lumières et aux mouvements de caméra, qui affaiblissent l’intelligence critique du spectateur et exercent sur lui une sorte de fascination et de viol. »

***

L’attraction du cinéma écrit par Luis Bunuel dans Mon dernier soupir avec la collaboration de Jean-Claude carrière contient plusieurs mots-clefs qui, superposés comme des voiles au vent, laissent deviner l’un des univers les plus troubles, les plus profonds, les plus libres et les plus humanistes du septième art. « Pouvoir hypnotique, hypnose inconsciente, fascination, viol... » : autant d’images de Bunuel refoulées dans notre inconscient cinématographique qui remontent en désordre à la surface : une sainte souillé dans une orgie de mendiants, un dîner de notables sur une scène de théâtre avec des chiottes en guise de chaises, une femme qui suce le pouce d’une statue comme un pénis, une boîte au son d’insecte qui excite une masochiste, une beauté dédoublée dans l’énigme de sa sexualité...

L’enfance de Bunuel à Saragosse au sein d’un milieu bourgeois, ses années d’études à Madrid et à Tolède imprégnées de la violence des rituels catholiques, son appartenance au mouvement surréaliste, ses courts métrages d’avant-garde, son exil américain, ses mélodrames mexicains, ses fictions romanesques à la française défilent devant nos yeux comme des flammes successives. Chacune reflète l’une des multiples facettes l’œuvre du cinéaste. Et pourtant, toutes vacillent, se dérobent si nous tentons de les saisir, de les enfermer dans une seule définition tant la cohérence du cinéma de Don Luis Bunuel n’a d’égal que sa diversité radieuse et l’opacité de son mystère.
Sa filmographie réalisée sur différents continents, mais coulant toujours de la même veine espagnole, dilate les lois du temps, bouscule les règles de la narration, déchire la pornographie, embrasse la morale et exhibe avec délice notre perversité latente et nos tentations criminelles.
Voir et revoir un ou des films de Bunuel est une expérience vertigineuse comme la jouissance car chaque film - d’une sécheresse qui refuse tout lyrisme - ouvre la porte d’un cabinet à la Barbe Bleue où l’imaginaire côtoie la réalité, où le sexe, la mort, la puissance et la foi imprègnent le spectateur d’instincts les plus purs et les plus vils : ceux qui tissent l’étoffe des rêves.

Le songe d’une nuit d’hiver
Le surréalisme existe depuis la nuit des temps avec plus ou moins d’éclat. Il imprègne tout particulièrement l’art celte, les peintures du Moyen Age ou encore celles de la période romantique. La particularité du mouvement surréaliste est d’être quasiment né avec le cinéma puisque André Breton, Paul Eluard et Louis Aragon - surréalistes absolus - voient le jour dans les dernières années du XIXe siècle à l’heure des premières projections. Ce mouvement au sortir des tourments de la première guerre mondiale et de la Révolution russe se rallie dans un premier temps au dadaïsme. Il éclot à Paris lors de la découverte de la psychanalyse. Le surréalisme refuse toute compromission bourgeoise, rejette l’aliénation carriériste, revendique le mélange du songe et du réel, prône le lâcher prise de l’expression automatique dans les arts : la peinture (René Magritte), la littérature (Raymond Queneau) ou encore la photograhie (Man Ray).

Dans Mon dernier soupir, Bunuel évoque ainsi le groupe : «Les surréalistes, qui ne se considéraient pas comme des terroristes, des activitismes armés, luttaient contre une société qu’ils détestaient en utilisant comme une arme principale le scandale. Contre les inégalités sociale, l’exploitation de l’homme par l’homme, l’emprise abrutissante de la religion, le militarisme grossier et colonialiste, le scandale leur parut pendant longtemps le révélateur tout-puissant, capable de faire apparaître les ressorts secrets et odieux du système qu’il fallait abattre (...) En ce qui me concerne, ma rencontre avec le groupe fut essentielle et décida du reste de ma vie. »

Un soir de janvier 1929 à Figueras, Le chien Andalou naît de deux songes d’artistes : Luis Bunuel et Salvador Dali. Le premier raconte un rêve au second. Un nuage effilé coupe la lune. En parallèle, la lame d’un rasoir tranche un œil. Dali répond par un autre rêve. Une main d’où s’échappent des fourmis. Il lui propose aussitôt d’écrire un film à partir d’un échange de songes. Les deux amis se fixent une règle draconienne : « N’accepter aucune idée, aucune image, qui pût donner lieu à une explication rationnelle psychologique ou culturelle. Ouvrir toutes les portes à l’irrationnel. N’accueillir que les images qui nous frappent, sans chercher à savoir pourquoi ». Enfin, à chaque image proposée par l’un, le second a un droit de veto instantané.
En une semaine, Bunuel et Dali écrivent le scénario d’Un chien andalou, œuvre de cinéma surréaliste. La productrice du court-métrage n’est autre que la mère de Bunuel. Les prises de vue s’effectuent en deux semaines aux studios de Boulogne Billancourt et au Havre. Dali n’assiste qu’aux derniers jours de tournage.

Luis Bunuel vient de faire la connaissance de Louis Aragon et de Man Ray. Enthousiasmés par le film, ils organisent la première projection publique aux Studios des Ursulines. Dans la salle, le groupe surréaliste au grand complet, Picasso, Cocteau, le musicien Georges Auric ainsi que le décorateur et costumier Christian Bérard. Bunuel se transforme alors en Petit Poucet rebelle et prévoyant. Dans ses mémoires, il confie : « Très nerveux comme on l’imagine, je me tenais derrière l’écran avec un gramophone, je faisais alterner des tangos argentins et Tristan et Yseult de Wagner. J’avais mis quelques cailloux dans mes poches pour les lancer sur l’assistance en cas d’échec. (...) Mes cailloux ne furent pas nécessaires. A la fin du film, derrière l’écran, j’entendis des applaudissements prolongés et je me débarrassai discrètement, sur le plancher, de mes projectiles. »

Le film reste à l’affiche pendant huit mois au Studio 28. Malgré le succès, une cinquantaine de dénonciateurs se ruent au commissariat et exigent l’interdiction de cette œuvre obscène et cruelle. On assiste à deux avortements pendant les projections et le malentendu s’installe entre Bunuel et le grand public. Dorénavant, l’admiration sans borne ne cessera de côtoyer les insultes, les menaces et le scandale jusqu’au dernier film du Maître : Cet obscur objet du désir.

La loi du désir
Extrait du scénario original d’Un Chien andalou avec Pierre Batcheff (l'homme) et Simone Mareuil (la jeune fille) : « Alors, avec la décision d’un homme dans son plein droit, le personnage s’approche de la jeune fille et, après l’avoir regardée lascivement dans le blanc des yeux, il lui saisit les seins à travers l’étoffe. Gros plan des mains lascives sur les seins. Ceux-ci émergent de dessous la robe. On voit alors une terrible expression d’angoisse, presque mortelle, se refléter sur les traits du personnage. Une bave sanguinolente lui coule sur la poitrine découverte de la jeune fille.
Les seins disparaissent pour se transformer en cuisses et continuent d’être palpés par le personnage. L’expression de celui-ci a changé. Ses yeux brillent de méchanceté et de luxure. Sa bouche grande ouverte se referme, minuscule, comme resserrée par un sphincter.
La jeune fille recule vers l’intérieur de la chambre, suivie par le personnage toujours dans la même attitude. Subitement, elle a un geste énergique pour lui séparer les bras, se libérant ainsi du contact entreprenant.
»

Cette séquence illustre avec précision l’un des thèmes principaux de l’œuvre de Bunuel : le désir d’un homme pour une femme qui se dérobe. L’attraction du désirant, la soumission de la désirée qui finit par céder pour mieux prendre le pouvoir jusqu’à l’anéantissement du désirant. Cette loi du désir est si impétueuse, si impérieuse pour les personnages qu’elle pulvérise tous les carcans sociaux, politiques et religieux. Elle chamboule aussi l’espace temps et détruit le principe d’identité. Dans Un chien andalou, les livres deviennent ainsi des armes à feu, les seins se convertissent en fesses, un papillon devient tête de mort, un oursin se transforme en aisselle. Les trois dernières œuvres de Bunuel écrites avec Jean-Claude Carrière et produites par Serge Silberman - trio créatif crée en 1964 pour l’adaptation du roman d’Octave Mirbeau "Le journal d’une femme en chambre" - éclatent le principe d’identité, explosent la logique de narration. Dans La voie lactée, Le fantôme de la liberté et Le charme discret de la bourgeoisie, une enfant est à la fois présente et absente, un évêque est aussi un jardinier, un prêtre peut à la fois confesser un mourant et le tuer d’un coup de carabine, une femme de soixante ans possède le corps d’une jeune fille...

La loi du désir qui irrigue et déborde dans les scénarios de Bunuel est encore plus franche à partir de L’âge d’or (1930). Les deux personnages (Gaston Modot et Lya Lys) qui s’accouplent bestialement sur le sol, en dépit du regard d’autrui, sont rejetés par les couches de la société rurale et cléricale lors de la manifestation officielle qui ouvre le film, puis bourgeoise lors de la réception. Plus leur union physique est contrariée, plus leur psychisme se lie à distance dans une étroite communion sexuelle. Obsédé, le héros séparé de force de sa maîtresse avance dans les rues, entouré de gendarmes. Comme des hallucinations, il voit les doigts, les jambes et le visage de sa désirée dans chaque publicité rencontrée sur son chemin. De son côté, la femme a un doigt bandé. Pendant la réception, elle ne cesse de caresser avec frénésie le même doigt guéri. Enfin, elle suce avec avidité le gros orteil d’une statue. Tous ces actes évoquent le non contact avec le pénis de son amant, la masturbation et la fellation empêchées par le groupe. Plus le film avance, plus les codes sociaux volent en éclats face à la déferlante des fantasmes.

Corps raccords
Dans la collection Grands cinéastes, Alain Bergala souligne avec une grande justesse que cette fameuse loi du désir n’imprègne pas seulement les scénarios et la mise en scène de Bunuel, mais influence aussi le montage de ses œuvres. Le cinéaste n’est pas avare d’un procédé cinématographique qui vise souvent à amplifier le suspense : le montage parallèle. Avec Bunuel, ce procédé s’éloigne de la dualité ou de la complémentarité des plans. Il souligne plutôt cette fameuse loi du désir qui apporte au personnage une intuition. Les visions parallèles du montage se transforment alors en voyances tant elles épousent le mental aimanté des protagonistes. Deux exemples :
- Viridiana (1961). L’héroïne alors novice (Sylvia Pinal) s’habille dans sa chambre située dans le domaine de son oncle (Fernando Rey). Elle libère ses cheveux blonds de son voile, retire son habit religieux et commence à retirer ses bas. Pendant ce temps, son oncle joue de l’orgue dans une autre pièce. Quand les jambes de Viridiana sont nues, Bunuel opère une coupe sèche. Un noir se fait comme une perte de conscience, une courte syncope de l’image. Le visage de l’oncle apparaît, visiblement troublé. Par la musique qu’il interprète ?... Non, car ses yeux se ferment et trahissent une émotion sexuelle refoulée à l’égard de sa nièce virginale.
- Tristana (1970). La jeune pupille (Catherine Deneuve) rencontre le jeune peintre qui deviendra son amant (Franco Nero). Bunuel opère un cut sur un léger ralentissement de Don lope (Fernando Rey) qui arpente une rue de Tolède. Cet arrêt dans sa promenade peut-être considéré comme une léger malaise qui lui révèle à distance la trahison de sa pupille.

Ces liens subliminaux entre les plans sont aussi puissants que mystérieux. Parfois, l’horreur d’une situation peut aussi se réduire à un seul plan comme dans Le journal d’une femme de chambre. Le fils Monteil (Michel Piccoli) est un être socialement et maritalement soumis, mais doté d’un appétit sexuel insatiable. Pourtant, ni sa femme (Françoise Lugagne), ni Célestine (Jeanne Moreau) ne cèdent à ses avances assidues. Il parvient à ses fins avec une servante âgée et dévouée (Muni). Les pleurs de la vieille femme offrent un raccourci d’une brutalité incroyable car elle signifie que la proposition de son maître lui fait horreur, mais aussi qu’elle n’osera lui tenir tête tant sa classe inférieure est écrasée par une bourgeoisie des plus rustres.
Bunuel ne montre jamais de sexe dans ses films car il a horreur de la pornographie. Il déclare à ce sujet : « La pornographie est la physiologie de l’érotisme. Et je suis contre car je crois à l’amour. (...) La pornographie, c’est l’amour célébré dans une arène ou dans un stade. »

Le comble de l’érotisme dans l’œuvre de Bunuel est la scène culte où, de son balcon, Tristana s’exhibe au sourd-muet Saturno (Jesus Fernandez). C’est l’héroïne qui dirige littéralement la mise en scène où le désir circule. Rarement au cinéma un personnage et son interprète se font à ce point les portes-parole d’un metteur en scène à l’intérieur d’une séquence. Tristana organise le fantasme. Elle ordonne à Saturno d’aller dans le jardin, lui indique une place bien précise (une contre-plongée) à la juste distance, celle qui sépare l’érotisme de la pornographie. N’est-ce pas cette distance inspirée qui fait de Luis Bunuel - malgré son cortège étrange de meurtriers, de terroristes, de violeurs, de manipulatrices et de saintes - un des créateurs le plus proche de nos frustrations et de nos refoulements, mais aussi de nos aspirations et de nos espoirs ? L’un des plus grands, des plus poétiques, mais surtout l’un des Maîtres les plus humanistes du septième art.

Benoît


 
 
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