© Ecran Noir 1996-2003
 conception + réalisation: PETSSSsss
 textes: PETSSSsss - Vincy
Bully 
 
« Ca m’énerve qu’ils censurent les trucs intéressants dans les vidéos clip… »

En 2001, Larry Clark se délocalise en Floride pour tourner Bully, un film inspiré d’un fait divers qui avait défrayé la chronique locale un peu plus tôt. Une sombre histoire de meurtre perpétué par une bande d’adolescents sur la personne d’un de leurs camarades. Loin de percevoir l’acte comme une anecdotique manifestation de sauvagerie, le réalisateur sent qu’il tient là un sujet lui permettant de révéler un nouveau pan des dysfonctionnements modernes de la société américaine. Le contexte sort de la marginalité fréquentée à l'accoutumée par Clark pour se rapprocher de la middle class traditionnelle. Les protagonistes de Bully sont en effet tout à fait représentatifs de la réussite économique d'un pays comme les Etats Unis, en tout cas dotés d’un confort de vie qu’offre un pouvoir d’achat plus que raisonnable. Mais tout devient probablement trop évident, les parents traditionnellement carriéristes sont là pour encourager à reprendre le flambeau. Bobby, la future victime, a ainsi son destin tout tracé tandis que son père lui annonce fièrement : « Je vais t’aider à t’installer, c’est ça le vrai rêve américain ». Il en faut plus pour motiver un garçon au demeurant brillant, immergé dans un univers de facilité et de paresse. Les notions ultra-libérales de "la gagne" sont pourtant distillées et ingérées dans l’éducation. Elles sont juste mises en application là où elles paraissent le plus profitables, dans le relationnel notamment. Mal dans sa peau, Bobby se sert des outils qu’il a amassés pour exercer son pouvoir sur ses proches, plus vulnérables. Sa principale tête de turc est Marty, teenager un peu rustre, qu’il admire secrètement mais se plaît à humilier dans une relation trouble où se dissimule une tentation homosexuelle refoulée. Ses rapports sadiques avec les filles le rassurent d’un autre côté sur sa virilité triomphante. Subissant, l’entourage, guère plus vertueux, va finir par comploter contre le despote. Difficile de prétendre que les exactions de Bobby soient devenues pour autant insoutenables. C’est plus l’ennui de chacun qui motive la progressive intention de se débarrasser de Bobby. On envisage un assassinat comme on se fait un film, avec une absence de responsabilité dans ses actes. Il n’y a plus de conscience personnelle, mais un esprit commun de troupeau borné qui rejette le peu d’autorité qu’il est encore en mesure de subir. La vue du sang, la laideur du crime sera une gifle qui sonnera le réveil sur une réalité implacable. Les coupables ne sauront dissimuler leur méfait très longtemps, témoignant d’une vulnérabilité comportementale confondante et d’une absence totale de maturité.
Pour incarner les deux rôles masculins principaux de Bobby et Marty, Larry Clark fera appel à deux jeunes acteurs professionnels. Nick Stahl (vu récemment en John Connor dans Terminator 3) et Brad Renfro (Deuces Wild, Ghost world). Le scénario s’appuie sur le livre Bully : A True Story of High School Revenge rédigé par Jim Schutze un journaliste ayant suivi l’affaire originale. Le cinéaste prendra un soin certain à retranscrire les faits avec un sens aigu de véracité objective, écartant les pressions destinées à formater la tragédie en une opposition trop stylisée et balisée du bien et du mal. Convaincu que le message délivré par l’histoire est universelle et non lié au racisme, Larry Clark se résout à gommer les origines moyenne orientales de la victime pour éviter toute mauvaise interprétation des faits. Le résultat ferait penser à certaines œuvres de Brett Easton Ellis, en particulier Moins que zéro, bien qu’ici la décomposition des rapports humains dépasse la simple opulence de richesses commune aux personnages du romancier. A en croire le réalisateur, il y a aurait donc une démocratisation de la décadence engendrée par une abondance de la société de consommation poussant à la paresse. Choix de la facilité où l’on opte pour le plaisir immédiat et aisément accessible au risque de se refuser à développer une quelconque ambition constructive sur sa personne (la culture de cette génération se résume aux clips d’Eminem et aux parties de Mortal Kombat sous acide). Le fric et le sexe peep show ne sauront combler les gouffres d’une existence qui ne trouve plus de sens, plus de solutions. Qui pourra sauver l’Amérique (voire la civilisation moderne en général dans un proche avenir) de sa passivité grégaire?

PETSSSsss-