ISABELLE ADJANI

ENTREVUE

Interview à la présidente du 50ème Festival de Cannes

Agence France-Presse
Avril 97

    Comment concevez-vous votre rôle de présidente?
    IA: "Avec le moins d'à priori possibles (...) Je ne saurai vraiment en quoi consiste exactement mon travail que le lendemain de la clôture. A ce moment là, j'aurai l'expérience... C'est la réunion avec d'autres artistes du monde entier, c'est ce qui me plait, un travail réel d'attention, d'ouverture, d'amour, de connaissance à faire avec les auteurs et les acteurs, c'est un moment rare.

    Pour vous, la Palme d'or idéale?
    IA: "C'est l'oeuvre à la fois la plus surprenante et la plus accessible, une oeuvre touchée par la grâce, c'est-à-dire par l'intelligence, le don, le talent. C'est une oeuvre réussie qu'on reconnait et qu'on n'avait jamais connue. C'est la découverte et la reconnaissance, qui produit au même moment l'émotion artistique, l'ouverture de la conscience en l'être humain.

    Serez-vous conciliante ou défendrez-vous passionnément votre choix?
    IA: "Consensuel, diplomate, aménageant, il faut l'être, et je le serai, c'est le regard que toute oeuvre devrait appeler, mais si j'ai une certitude qui n'est pas partagée je la mènerai jusqu'au bout, c'est sûr, me connaissant...(rires). Là il y aura défense passionnée de ma part".

    Chaque Président applique ses propres règles, quelles seront les votres?
    IA: "Je vais entrer en contact avec les autres membres du jury avant Cannes. J'aimerais leur poser une question qui compte pour moi: est-ce que vous êtes plutôt du matin ou du soir. Moi je suis plutôt matinale, voir un film le matin, c'est parfait pour moi. Je voudrais savoir ceux qui seront prêts à m'accompagner, mais je n'ai pas du tout envie de pousser les autres à se lever et à se coucher tôt s'ils sont insomniaques, si leur réceptivité est meilleure l'après-midi ou s'ils préfèrent aller à la soirée officielle. J'ai prévu d'aller aux trois soirées officielles, les autres soirs, non.

    Est-ce plus facile d'être à Cannes en tant que présidente ou actrice?
    IA: "Même 12 jours d'un travail de concentration indéfectible sont plus séduisants qu'une soirée où l'on est tout d'un coup l'objet convoité. C'est une épreuve d'aller à Cannes en compétition. On est visé, photographié, c'est fatigant, le lendemain d'une présentation, on est claqué. Là, c'est différent: plus il y a de substance dans le travail et plus je suis en forme."

    Etes-vous préparée à l'épreuve des paparazzi?
    IA: "Il y a en a bien sûr. Mais chez les photographes, il y a des amis à moi. Je croise toujours le regard de quelqu'un que je connais, qui me fait un clin d'oeil. C'est vrai on a le coeur qui bat à une vitesse folle. C'est brutal, c'est sympathique aussi, il faut de la dignité, de la tenue, un maintien moral fort parce que c'est très impressionnant. Ça peut être aussi traumatisant qu'un accident de voiture. Il faut aller bien (elle rit). La responsabilité c'est quelque chose qui fortifie".

    Quels sont les derniers films qui vous ont marquée?
    IA: "Secrets et mensonges (de Mike Leigh qui siègera au jury), La promesse (des frères Dardenne), Shine (de Scott Hicks). La promesse permet de comprendre ce qui se passe en Belgique actuellement, la pauvreté, les gens qui disjonctent, la corruption. C'est un film d'une force incroyable.

    Que pensez-vous de l'hégémonie du cinéma américain?
    IA: "Je ne suis pas nationaliste à tout crin. Quand on est bon, quand on a du talent, personne ne peut vous menacer. Kassovitz arrive bien à passer cette frontière.

    Une star est souvent retranchée dans sa tour ivoire mais vous vous êtes toujours intéressée à ce qui se passait en Algérie, vous avez signé récemment l'appel à la solidarité pour les "sans-papiers". Est-ce dû à vos racines?
    IA: "C'est sûrement dû en grande partie à mes racines. J'ai ressenti l'injustice et je ressens toujours, même s'il est mort depuis 14 ans, la détresse de mon père (Algérien), la non intégration profonde, le rejet social. Il y a tout cela que ma mère ressentait différemment puisqu'elle venait d'ailleurs, d'Allemagne, et ne parlait pas un mot de français. Ma langue maternelle a été l'allemand. Mais pour mon père, l'arabe était une langue qu'il n'assumait plus, qui pouvait peut-être, dans son esprit, gêner notre intégration à nous les enfants. Mon frère et moi, nous avons une espèce d'allergie à l'injustice, à l'exclusion, à la discrimination et nous avons des réactions parfois impulsives.

    Vous aviez lu des extraits des Versets de Salman Rushdie en recevant l'un de vos quatre César. Avez-vous pensé à lui pour le jury?
    IA: "Gilles Jacob ne souhaitait pas avoir de personnes trop politiquement engagées parce que si moi je m'écoutais, j'aurais demandé Khalida Messaoudi (Algérienne, militante pour les droits de la femme, mathématicienne - "Une Algérienne debout", entretiens avec Elisabeth Schemla), Salman Rushdie...Des êtres si extraordinaires, si courageux, seraient en péril et pourraient aussi mettre en péril un événement qui est tellement médiatisé, tellement surexposé. Il n'est dans l'intérêt de personne d'être à la merci d'actes terroristes.

    Vous avez souvent déménagé. Maintenant vous habitez en Suisse? Y avez-vous trouvé des racines?
    IA: "Je suis nomade d'origine. Mes parents sont des immigrés. Ils ont toujours vécu comme des gens à peine posés, comme s'ils vivaient dans une vie dont les fondations étaient en préfabriqué. Je dis toujours que j'ai des racines flottantes. En Suisse, je suis tranquille mais je voyage beaucoup. Je ne pourrais jamais être enracinée là-bas. J'appartiens au monde. Je crois que quand on vit seule comme moi, quand on est une mère célibataire, il est bien quand on reprend sa liberté, de ne pas décider qu'on est installé une bonne fois pour toutes. C'est la vie qui décidera.

    Vous allez retrouver Luc Besson avec lequel vous avez tourné "Subway", êtes-vous restés en contact?
    IA: "Bien sûr, ça va être drôle de le retrouver. Il m'a proposé d'être mon chevalier servant pour la montée des marches si je n'en trouvais pas un. Je lui ai dit:"je ne sais pas si tu présentes assez bien (elle rit). On est copains."

    Et dans la vie, avez-vous un chevalier servant?
    IA: "Eh bien non. C'est marrant, on dit toujours que c'est quand on ne se préoccupe plus de la personne qui manque à vos côtés qu'on la rencontre. Je m'en suis beaucoup préoccupée, par rapport à mon enfant aussi, et maintenant je ne m'en préoccupe plus du tout. Tout va très bien comme ça.

    Comment concilier vie privée et vie professionnelle?
    IA: "Je ne pourrai jamais sacrifier ma vie privée à ma vie professionnelle, même si j'ai tort. Si quelque chose dans ma vie me semble plus important, quelles que soient les possibilités extraordinaires que m'offre ma carrière, je choisirai ma vie. Il faut toujours faire des choix qui vous ressemblent, même quand je sais que je n'ai pas tout à fait raison.

    Elever un petit enfant vous a apporté la sérénité?
    IA: "C'est tellement éblouissant. J'éprouve beaucoup de reconnaissance devant le miracle de la vie et je dis merci à la vie. Je suis très concernée par les enfants. Je dis toujours que je m'en occuperai de façon active quand j'arrêterai le cinéma, pas pour une présidence d'honneur. J'ai toujours su que je le ferai. Il se trouve que le destin m'a joué des tours. C'est devenu moi devant les autres et, pas comme je le voulais, les autres avant moi. Mais le moment viendra et, le moment venu, je serai prête. Ce sera le jour où j'arrêterai le cinéma. Plus tard, ne vous inquiétez pas" (elle rit).

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