SOPHIE MARCEAU

ENTREVUE

Comme beaucoup d'actrices françaises, Sophie Marceau est peu disposée à parler de sa vie personnelle, en profondeur. C'est presqu'incompréhensible une fois que vous avez réalisé qu'elle a passé plus de la moitié de ses 30 ans devant les caméras. Son premier film, le succès international de 1980, La Boum, l'a rendu célèbre à 14 ans. Comme elle grandissait sur l'écran, son image publique a évolué de la petite poupée du cinéma français à l'adorable séductrice; aidée en partie par une séries d'articles presqu'annuels sur elle dans le magazine Paris Match et par sa sensualité très sexy que sa jeunesse lui a apporté, Marceau s'est retrouvée fréquemment en tête des sondages où l'on demandait aux hommes français avec qui ils souhaiteraient dormir. "Je n'ai plus de secrets" dit-elle à propos de sa vie très médiatique. "Ils savent tout de moi".
En dehors de la France, Marceau a juste commencé à gouter à la célébrité qui l'avait enthousiasmée dans son pays....mais peut-être faut il commencer par le début.
Elle est née de parents de milieu modeste, a grandi dans une succession de villes de la banlieue de Paris. Son nom de naissance est Sophie Maupu (et quand on lui demande comment prononcer son nom, elle répond simplement Sophie); pour des raisons professionnelles, elle a changé son nom en Marceau, bien qu'elle n'aime pas l'art du mime homonyme, et que beaucoup croit être son père. Elle a un enfant de deux ans, Vincent, de son mari, le réalisateur polonais de 54 ans, Andrzesj Zulawski, qui l'a fait tourné dans L'Amour Braque (84), Mes nuits sont plus belles que vos jours (89) et La Note bleue (91).
Au début des années 90, Marceau a décidé de s'engager sur une route internationale, laissant l'industrie du cinéma français derrière. Ce choix l'a conduit à un plus large succès: en 1995 elle a été la vedette du film italien Par de là les nuages de Michelangelo Antonioni, mais surtout son apparition fut remarquée en Princesse Isabelle dans BraveHeart de Mel Gibson. Bien que toujours domiciliée entre Paris et Varsovie, Marceau est devenue bien plus visible à Hollywood. Premièrement, elle sera l'héroine de Anna Karenine d'après Leo Tolstoy (produit par Mel Gibson); après cela, elle sera la star du drame romantique, Firelight, qui devrait être en salles cet automne sous l'étiquette Disney.

Marceau parle
par Kim Williamson (Mister Showbiz)
1er avril 97

    KW ~ Vous avez grandi dans les banlieues de Paris. Quelle petite fille étiez-vous?
    SM ~ Comment j'étais? Je n'étais pas très différente de ce que je suis maintenant. Maintenant je suis peut-être un tout petit peu plus confiante en moi, parce que je vieillis et que j'en sais un peu plus sur moi-même, et peut-être parce que je sais un peu plus ce que je veux, et ce que je ne veux pas.
    Quand tu es plus jeune... je pense que c'était difficile pour moi de faire des choix et de savoir quoi continuer, parce que je n'ai pas beaucoup appris de la vie. Ou peu-être trop de la vie, mais pas assez de toutes les possibilités pour s'en échapper. Mais je ne me sens pas très différente.

    KW ~ Voici une couverture de vous dans Paris Match, en 1982. Que pensez vous de la jeune femme que vous étiez alors en la voyant?
    SM ~ C'était il y a longtemps. Je n'aime pas vraiment le passé. J'ai écris un livre (Menteuse) et j'ai écrit une phrase de ce style, que je n'aimais pas vraiment le passé. Je ne veux pas en parler.

    KW ~ Pourquoi cela?
    SM ~ Je ne sais pas, je ne sais pas. Je suis très interessée par le passé, et nous sommes tous influencés par ce qui nous est arrivé et d'où nous venons et qui nous sommes, etc... Mais je veux continuer, je veux bouger, j'ai besoin de choses - j'aime les choses quand ça bouge. De toute façon, ça bouge tout le temps! Mais j'ai besoin de centir le mouvement. Et pour moi, le passé c'est comme, whoosh, revenir à quelquechose, ce qui est idiot, vous avez? Et pour moi, le plus important c'est vraiment demain. Comment je vais me préparer pour demain?

    KW ~ Parlons du cinéma français et de la production de films à Hollywood. Une fois vous avez décrit le cinéma français comme: "trois personnes sont assises à un café, tombent follement amoureux chacun de l'autre, et le font partager au public". Cela me rappelle Un coeur en hiver de Claude Sautet que j'ai trouvé fabuleux. Puis vous avez dit que les français "condamnait l'impérialisme d'Hollywood pour justifier l'état de notre industrie, mais le problème est que le cinéma français n'a plus rien à dire. Nous avons besoin de rendre nos personnages et nos histoires plus universelles, et pas seulement moi moi moi". Et une autre fois vous avez dit, "en France, nous nous introspectons plus, ce qui est parfois ennuyant et égoiste". Des paroles de ce genre sonnent dures pour le cinéma français. N'y a t-il aucun points positifs pour compenser les négatifs?
    SM ~ Coté moins, ils sont allés si loin que je ne vais plus au cinéma. Donc je ne suis plus une bonne juge, parce que je ne vois plus de films. J'ai toujours ressenti ça, okay, j'ai vu ça de nombreuses fois, et je sais que je ne serais pas surprise, je n'apprendrais rien de ça, c'est devenu trop "local". Cela ne signifie pas que ça doit être okay pour le reste du monde, vous savez. Pourquoi un indien devrait-il comprendre? Et pourquoi pas? Tout le monde est capable de comprendre Anna Karenine dans le monde entier - et pourtant c'est très russe, et ça appartient à une réalité très russe, et c'est très précisément situé en Russie, à cette époque là.
    Tout le monde peut comprendre ça. Le problème avec le cinéma français est que personne ne peut comprendre un film français. Pourquoi? Parce qu'ils ne parlent pas à propos des êtres humains. Ils parlent de - je ne sais pas, je ne comprend vraiment pas de quoi ils parlent. Je ne pense pas que avons une culture stupide; je ne pense pas nous soyons un pays stupide ou des gens stupides. Nous avons de l'éducation, nous avons une Histoire, nous avions l'habitude d'avoir une merveilleuse culture partout dans le monde. Nous étions très influents. Nous ne le sommes plus. Pourquoi? Peut-être nous devrions nous poser des questions sur nous-même, être un petit peu plus conscients de ce qu'il se passe, plutôt que d'être si confiants et si sûr d'être les meilleurs. Et essayer de mettre des quotas pour éviter aux films américains de venir en France, parce que nous ne voulons pas que les gens regardent des films américains, c'est de la censure! Nous sommes supposés être un pays très libre, et nous ne voulons pas que les gens voient des films américains?!
    La France va de plus en plus dans ce sens, elle censure tout maintenant. C'est réellement effrayant. Et je ne suis pas optimiste, je pense que cela va de mal en pis! (petit rire) Et parfois (elle baisse le ton) ils sont fous envers moi, parce qu'ils pensent, "Maintenant, elle fait des films américains!" J'ai toujours été comme ça - je l'ai toujours dit aussi. Je suis désolée, mais je n'ai pas lu un bon script français pendant des mois et des mois et des années.

    KW ~ Ne voyez vous aucun Plus dans les films français?
    SM ~ Il y en a quelques un de bons, heureusement. Nous n'en avons pas beaucoup. Claude Sautet, je pense qu'il est le meilleur. Il est un des derniers dinosaures, et le dernier bon réalisateur que nous ayons en France. Parce que ses scripts sont vraiment bons, et je pense réellement qu'il parle de quelquechose d'universel, et c'est très français en même temps. Donc je n'ai rien contre ça, vous savez, le style français. Au contraire, si vous faites un film français, faites le très français. Mais parlez d'histoires universelles, parlez d'êtres humains. Et c'est ce que fait Sautet. Ses films font vraiment français. cela se passe dans un restaurant, les gens mangent tout le temps, ils parlent toujours au téléphone, ils conduisent toujours leur voiture - c'est très français. Il m'apprend beaucoup sur la manière dont les Français vivent., et c'est très vrai. Mais il parle d'amour - ils parlent tous d'amour et de sexe tout le temps, et sont tous ennuyants. mais lui il parle des angoisses humaines, de questions humaines générales, de choix que nous avons tous, que nous devons faire, auxquels nous pensons tous.

    KW ~ J'ai aussi vu une photo de vous devant une peinture murale dépeignant les vieilles stars hollywoodiennes: Clark Gable, Katharine Hepburn, Charlie Chaplin. Comment ressentez vous le fait de travailler là où ces grands ont travaillé? SM ~ Vous savez le cinéma c'est la moitié de ma vie. Donc je me suis toujours senti, très naturellement, appartenir à cette famille. Et j'ai toujours senti que j'appartenais absolument pas à une quelconque generation, exceptée la mienne. Alors je suis toujours entre ces deux sentiments. Je fais du cinéma et c'est d'accord, j'admire cette période du cinéma - Charlie Chaplin, Marylin Monroe et Orson Welles. Mais je ressens aussi que ma génération n'a rien à faire de ça. J'ai toujours eu ce sentiment d'appartenir à cette famille du cinéma, mais d'un autre coté le cinéma n'est plus le même. Et pour moi, le commencement de la fin fut mes débuts (rires) - c'était quand, il ya 17 ans.? Le cinéma a changé. Il n'est plus le même. Le cinéma n'a pas la même nécessité aujourd'hui. Et je peux dire la différence, parce que je vois les films - je ne vais pas au Cinéma, mais je les vois à la maison, ce qui est déjà une énorme différence.
    Et c'est comme ça que les gens voient de plus en plus de films. Avant les gens allaient dans les salles et ils étaient assis en face des ces gigantesques écrans, ce qui arrive encore maintenant, beaucoup. Mais de plus en plus de gens sont plus grands que l'écran, et ils choisissent ce qu'ils veulent voir, ce qui est une grosse différence, vous savez. Je ne peux pas comparer les films de Fellini, Welles, ou Chaplin avec ce que je vois maintenant. Ce que je vois maintenant est superbement fait, les scripts sont parfois très bien écrits. C'est très solide, très élégant, mais ce n'est pas la même chose. Pour moi, je vais voir un film comme j'aurais besoin de manger quelquechose. Je ne vais plus au cinéma maintenant pour penser. C'est juste pour oublier et se distraire.

    KW ~ Vous ne pensez pas que c'est négatif? SM ~ Non. Lucide. (rires)

    KW ~ Vous avez écrit un roman appelé Menteuse (Liar) qui a été publié en 1996. A-t-il été traduit en anglais? SM ~ Je ne pense pas. je crois que c'était en projet, mais je ne pense pas que cela arrivera.

    KW ~ Pourquoi avoir écrit un livre? Vous avez dit que la litterature était une passion secrète. Que vous étiez capable d'exprimer sur une page quelquechose que vous étiez incapable de faire sur écran. SM ~ Oh c'est différent. C'est différent, et pareil, mais la manière de l'exprimer est différente. Et les deux exercices sont très interessants. Cependant, je n'ai jamais pensé comparer les deux manières de m'exprimer. Y a-t-il une quelconque similitude, différence - est-ce la même chose? Je ne sais pas. Je le ressens dans la litterature, avec les mots, vous pouvez exprimer tellement plus.
    Tout est possible, tout! Vous pouvez faire ce que vous voulez avec votre stylo et une page blanche. Tout le reste est plus limité, même joué. C'est plus limité parce que nous ne pouvons être plus que ce que nous sommes - câest impossible. En littérature, si vous décidez de faire disparaitre un personnage comme ça (elle claque ses doigts), il disparait comme ça. Je ne peux pas en tant qu'actrice. Donc c'est bien plus libre, vous pouvez aller bien plus loin, très, très loin.

    KW ~ Allez vous continuer à écrire? SM ~ Ce livre m'a pris 4 ans. 4 années remplies de travail. Je n'ai pas écrit tous les jours pendant les 4 années, mais c'était 3 périodes de 4 ou 5 mois de ma vie, tous les jours, à écrire. Ecrire est si difficile. La seule peur que j'ai, c'est "Mon Dieu, J'espère que ce n'est pas le seul".

    KW ~ Parlons plus des films. Vous avez dit que "Hollywood ne se souciait pas de vos états d'âmes". SM ~ Oh, la ville. La ville.

    KW ~ Mais certains se plaignent que tous les studios d'Hollywood font maintenant ce que nous appelons "popocorn movies". Cette années, 4 des 5 nominés pour l'Oscar du Meilleur Film étaient des indépendants. SM ~ Je suis très impressionnée de ce qu'il se passe ici. Parce que pour moi "Film hollywoodien" ne veut rien dire. Tout est possible ici. Vous pouvez tout faire. Vous pouvez même produire Anna Karenine. Soyons clairs, j'aurais pu imaginer que les Français produisent Anna Karenine, parce que cela semble plus proche de notre culture. Mais non, cela a été fait ici. Donc tout est possible dans ce pays. Et je le ressens réellement ici. Quand je dis qu'Hollywood ne se soucie pas de notre état d'esprit, de notre conscience, c'est la ville, le Business entier. Mais aucune ville que je connaisse ne fait attention à votre conscience. Et aucun autre business non plus. Mais les affaires sont conduites par des gens , et dépendantes des gens que vous rencontrez, et c'est ce qui est le plus important: vous pouvez avoir une grande relation, une bonne compréhension avec quelqu'un qui portera attention à votre âme.

    KW ~ Mais n'avez-vous pas dit, "Je hais Hollywood. Si vous travaillez sur un film, ils vous sucent le sang"? SM ~ Je n'ai jamais dit que je haissais Hollywood. Je n'aurais jamais fait ça, dit ça. J'ai pu dire que j'avais passé de terribles moments ici. Bien que je n'ai eu qu'un terrible moment ici. Mais c'est génial lorsque vous y travaillez et que vous avez quelquechose à y faire. Mais si vous ne travaillez pas et que vous attendez quelquechose, c'est une ville très, très dure pour y vivre.

    KW ~ Quel était ce "terrible moment"? SM ~ Et bien, j'ai pensé, "Je devrais aller là bas pendant quinze jours, juste pour y être, et savoir ce qu'il s'y passe". Oh! Ça c'était terrible. C'était ma pensée. Je veux dire que vous devez faire les choses avec détermination.

    KW ~ Sous cet éclairage, quâest ce qui vous a conduit à Anna Karenine, et comment voyez-vous sa vie, et son personnage?
    SM ~ Comment je la vois? Je la vois comme une femme très normale à qui quelquechose de tragique arrive, et elle ne peut pas vraiment assumer cela. Parce que nous - et quand je dis "nous" c'est à propos de nous tous, êtres humains - nous ne savons pas réellement comment négocier parfois ce qui nous arrive dans la vie, quand ce sont des accidents. Et je pense que c'est vrai de dire qu'il s'agit d'une histoire tragique, ce qui n'est pas toujours amusant. Cela ne signifie pas que ce n'est pas interessant, ni que ce n'est pas fascinant à regarder, ou à ressentir. Je pense que la vie d'Anna, même s'il s'agit d'une vie tragique, vous transporte. Parce qu'avec toutes les histoires, avec tous les personnages, cela montre comment les gens se battent contre la fatalité et les choix d'une vie. Comment faire le bon choix? Quel est le bon choix? Comment accepter que nous ayons des cotés mauvais et d'autres bons? C'est toutes ces questions. Et durant le film, vous pouvez voir 3 personnages - la femme, le mari, et l'amant - qui souffrent de ce qu'il se passe. Et cela me rend compatissante avec eux. Je les aime, je veux les aider. Parce que cela peut m'arriver - et c'est pour ça que c'est bien de voir ça, d'entendre ça. C'est mieux que cela leur arrive à eux qu'à moi - ce qui est aussi un bon point quand vous allez voir un film! Mais Anna Karenine est une bonne leçon à propos de la vie, et comment se comporter si quelquechose de terrible arrive dans votre vie. Et pas quelquechose de si terrible que soudainement le monde s'arrête de tourner. Non c'est juste un accident - vous tombez amoureuse de quelqu'un et toute votre vie s'en retrouve déchirée. Et comment il vous faut assumer ça, qu'est-ce que vous pouvez faire? Vous savez, c'est difficile -"Non je ne veux pas être amoureuse, non je suis une sainte". Non, nous ne sommes pas des saints. Mais qu'est ce que nous pouvons y faire? Est-ce que nous allons blesser notre mari qui vous aime et que vous aimez, allez-vous accepter d'être séparée de votre enfant, allez vous tout oublier et revenir à la maison, avec votre coeur encore attaché à votre amant? C'est très dur. Pour moi, oui, parfois c'est difficile, parfois c'est cruel. Mais c'est notre vie. Ce n'est rien d'autre. Il n'est pas bon d'être tout le temps aveuglé et penser que les choses sont parfaites. Mais je ne pense pas qu'Anna Karenine soit pessimiste. Je pense que c'est juste ce qui arrive. C'est très proche de la vérité, notre vérité. Rien de plus, rien de moins.

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