Cannes 2025 | Amrum : les possibilités d’une île quand les temps changent

Cannes 2025 | Amrum : les possibilités d’une île quand les temps changent

Printemps 1945, sur l’île d’Amrum, au large de l’Allemagne. Dans les derniers jours de la guerre, Nanning, 12 ans, brave une mer dangereuse pour chasser les phoques, pêche de nuit et travaille à la ferme voisine pour aider sa mère à nourrir la famille. Lorsque la paix arrive enfin, de nouveaux conflits surgissent, et Nanning doit apprendre à tracer son propre chemin dans un monde bouleversé.

Comme Robin Campillo qui réalisé le film de Laurent Cantet, décédé avant le tournage d’Enzo, Amrum annonce dès le générique : « Un film de Hark Bohm, réalisé par Fatih Akin ».

Qui est Hark Bohm ? Un cinéaste allemand incontournable du Nouveau cinéma allemand, de Hambourg, ville maintes fois filmée par son élève Fatih Akin. Proche collaborateur de Fassbinder, pour qui il a aussi été acteur (Berlin Alexanderplatz), c’est un réalisateur engagé qui a signé des œuvres sur la jeunesse et les questions sociales, comme Moritz, lieber Moritz et Yasemin. Scénariste reconnu également puisqu’il a collaboré notamment avec Wim Wenders (L’Angoisse du gardien de but au moment du penalty). Professeur à l’Académie du film de Munich, il y a formé de nombreux talents du cinéma contemporain allemand.

Amrum est donc un scénario de ce doyen du cinéma germanique et mentor d’Akin. Ils avaient déjà coécrit ensemble le scénario de In the Fade (prix d’interprétation féminine à Cannes).

Cette fois-ci l’histoire est directement issue des souvenirs d’enfance de Bohm. Il souhaitait qu’un réalisateur d’une autre génération fasse le pont entre la période de la fin de la seconde guerre mondiale et notre époque. Une forme de transmission artistique.

De fait, le film se détache de l’œuvre de Fatih Akin par la période où il se déroule, par son sujet, très éloigné des thèmes récurrents du cinéaste, comme par son style, ici bien plus classique.

Le déclin de l’empire allemand

Pourtant, le point de vue est plutôt original. Le film se déroule lors d’un basculement historique, au printemps 1945. Hitler va se suicider et l’Allemagne va entrer dans une période d’incertitude jusqu’à sa capitulation. Les partisans nazis veulent encore croire que la victoire est possible quand la majorité silencieuse espère un dénouement proche pour cette guerre interminable. En prenant à témoin le jeune Nanning, 12 ans, il fait le lien entre ces deux camps. Le garçon, issu de la bourgeoisie hambourgeoise, a été éduqué dans la fidélité à Hitler. En l’absence du père, parti sur le front, il soutient sa mère, la plus hitlérienne de tous, sa tante, pragmatique, son frère et sa sœur, avec de petits boulots, glanés auprès d’anti-nazis.

Sur cette île sablonneuse d’Amrum, perdue au sud du Danemark, en pleine mer du nord, reliée à l’île de Föhr par une randonnée périlleuse à marée basse, le chaos du monde est un bruit lointain. Il se rappelle aux quelques centaines de ruraux par des avions les survolant, un cadavre échoué sur la plage, un groupe de jeunes affamés revenus des camps…

Allemagne, avant l’année zéro

Un lieu isolé et singulier, un moment de l’histoire qui bouscule les convictions de chacun, le regard d’un pré-ado qui doit gérer ses émotions et digérer ses expériences pour finalement trouver sa propre voie. Dans cette Allemagne peu glorieuse, où tout manque, Fatih Akin ne juge personne. Il esquisse un tableau presque naturaliste, aidé par la splendeur des paysages, pour comprendre les conséquences d’un conflit en perdition sur chacun. Tout est affaire de circonstances. Pour Nanning, il s’agit de faire les bons choix, par lui-même, au travers d’épreuves anodines, brutales ou intimes.

Le réalisateur n’essaie jamais de transcender son drame : il laisse sa caméra filmer les événements, s’offrant ici et là quelques instants de poésie ou, a contrario, de tragédie. Sublimé par la photo, brillante et douce, Amrum n’a rien des œuvres âpres et sombres d’Akin. La candeur de son personnage, transporté par cette idée fixe de vouloir répondre au caprice culinaire de sa mère, contraste avec les situations traumatisantes qu’il vit en dehors de chez lui.

Telle cette chasse au phoque, splendide, qui fait écho au livre Moby Dick que Nanning offre à son meilleur ami. Confronté à la mort, à la nature, dans toute sa sauvagerie, le garçon perd peu à peu son innocence pour construire sa propre conscience des choses, loin de l’influence de son éducation, de cette masculinité violente et toxique que veut lui transmettre sa mère. « – Je ne suis pas responsable des fautes de mes parents. (…) – Mais tu dois faire avec. »

Bohm et Akin ont cherché sur cette île battue par les vents la possibilité d’une réconciliation, d’une pacification à travers une jeunesse source d’espoir et de promesses. Encore faut-il passé le temps de la honte. Ils signent un beau film, simple, sans doute naïf, mais humaniste et sans dogmatisme.

Amrum
Festival de Cannes 2025. Cannes Première.
1h33
En salles le 25 décembre 2025.
Réalisation : Fatih Akin
Scénario : Fatih Akın, Hark Bohm
Image : Karl Walter Lindenlaub
Distribution : Dulac
Avec Jasper Billerbeck, Laura Tonke, Diane Kruger, Kian Köppke, Lisa Hagmeister