
Le monstre de Frankestein est une figure mythique de la littérature, devenue icone étrange du cinéma. Un siècle après sa publication, le 7e art s’est emparé de ce Prométhée moderne. Ainsi, depuis le court-métrage de J. Searle Dawley, on ne compte plus le nombre d’adaptations et de déclinaisons du livre culte de Mary Shelley, parmi lesquelles celles de James Whale, Terence Fisher, Mel Brooks, Roger Corman, Kenneth Branagh ou Tim Burton. On doit ainsi à une autrice l’émergence du récit gothique de science-fiction, 70 ans avant que Bram Stocker publie Dracula.
Monstre et mythologie, c’est bien évidement le cœur des la plupart des films de Guillermo Del Toro. Son plus récent film, Pinocchio, est aussi une histoire défiant les lois de la création humaine. Il semblait évident que le maestro du fantastique réalise sa propre version d’une histoire souvent caricaturée.

Son projet remonte à une quinzaine d’années Les aléas de l’industrie cinématographique font que le film trouve enfin son financement avec la plateforme Netflix. On regrette évidemment que le film soit diffusé en streaming plutôt qu’en salles. D’autant plus que ce Frankestein de Guillermo Del Toro a été réalisé pour de grands écrans.
Retour au roman originel
Le film débute par un prélude en 1857 avec un bateau coincé dans les glaces du pôle nord. L’équipage remarque qu’il y a là un homme blessé qu’ils vont secourir, mais derrière arrive une sorte de monstre qui attaque : même sous les tirs de fusils, il ne meurt pas…
L’homme secouru va raconter au capitaine du bateau son histoire : il s’appelle Victor Frankestein. Car, n’oublions jamais que Frankenstein est le nom du créateur, pas de la créature.

L’histoire commence avec son enfance favorisée dans un riche château : son père est un chiurgien estimé et sévère qui lui enseigne déjà les fonctions vitales du corps humain, période où sa mère va mourir en accouchant de son petit-frère. À son jeune âge, Victor Frankestein a du mal à surmonter cette mort, et reproche à son père de ne pas avoir pu empêcher ce drame. Mais qui peut vaincre la mort ? Adulte, Victor Frankestein (Oscar Isaac) présente de manière exaltée ses recherches devant l’Académie de médecine : il est possible de ralentir la mort et même de la stopper. Une stimulation électrique qui fait bouger un bras mort greffé au cerveau d’un cadavre. Une abomination contre-nature et contre l’ordre naturel de Dieu. Mais dans l’assistance, un homme fortuné qui lui propose de largement financer la suite de ses recherches. La clé serait dans le système lymphatique… Victor Frankestein installe un laboratoire dans un manoir isolé et se procure des cadavres sur un champs de bataille. Il prélève des morceaux de corps humain pour ‘reconstruire’ un individu en vue de le faire vivre…
Si tout le monde connaît à peu près cette partie de l’histoire avec la création d’un « monstre », Del Toro choisit de souligner toutes les questions éthiques soulevées par cette opération. D’une part, croire en quelque chose ne le rend pas vrai. D’autre part, dominer et manipuler la nature n’est pas forcément souhaitable. Enfin, une créature artificielle peut-elle coexister avec les humains (questions qu’on peut étendre aux mutants, superhéros, marginaux, freaks etc…) ? Car, est-ce que ce corps rapiécé pourrait être considéré comme un homme, voir comme un nouvel Adam ?
Questions existentielles

Au XIXe siècle, la religion est toujours pregnante et sert de code moral. Shelley écrit son livre en 1818 et les travaux de Darwin sur l’évolution des espèces ne seront édités que quarante ans plus tard. Dieu reste le seul grand créateur. Or, cette ‘créature’ de Frankestein a visiblement des émotions, mais a-t-elle une forme d’intelligence voir une âme ? La question se pose tout autant dans d’autres romans SF quand il s’agit de robots ou d’intelligences artificielles. On comprend que Del Toro ne s’est pas emparé de ce vieux conte fantastique sans y voir une parabole moderne.
Lors d’une visite du frère cadet Frankestein et de sa fiancée, l’hérétique Victor est déjà très avancé dans l’étude de son expérience, avec quelques scrupules (« en cherchant la vie j’ai créé la mort« ) : son monstre peut apprendre des mots et il est doté d’une sorte force surhumaine, qui le rend dangereux.
Après cette première partie familière, le film bascule vers un nouveau chapitre qui alors fait toute la richesse de cette version réalisée par Guillermo Del Toro : le suite de l’histoire sera racontée par la voix du monstre lui-même (Jacob Elordi) avec son point de vue à lui. Cette narration par le monstre est aussi dans le roman original.
La créature échappe à son créateur, et même va se retourner contre lui.

Le monstre assemblé de multiples parties de chairs mortes est bien vivant, et il va se frotter au monde extérieur avec une certaine innocence : une expérience avec des loups va lui apprendre la violence des hommes qui rejettent et tuent ce qui est différent. Un différence qui est fortement marquée par la structure même du film.
Le POV du monstre
Cette seconde partie est un changement de paradigme impactant. La première moitié du film est racontée par le scientifique et on devient de plus en plus sidéré par la folie de son expérience, tandis que l’autre moitié nous fait ressentir le point de vue opposé du monstre. Et les spectateurs vont s’identifier davantage à l’état d’esprit du monstre qu’à celui de l’Homme. C’est bien du Del Toro. Il nous fait éprouver de l’empathie pour celui qui est rejeté (fil conducteur de sa filmo).
Ainsi, le monstre, qui sait qu’il est constitué de morceaux de cadavres, s’interroge sur son identité. Partout où le monstre passe, il y a une réaction de peur, de rejet ou de haine. Il y a de quoi souffrir de solitude : « je ne peux pas mourir, je ne peux pas vivre seul. » L’importance de l’aspect physique sera souligné quand la première personne qui va l’accueillir chaleureusement sans crainte est en fait aveugle. Celle qui aura de la compassion au delà de sa vilaine apparence est une jeune femme qui idéalise l’amour.
Guillermo Del Toro réussi parfaitement à illustrer la cruauté de cette fable. Le véritable monstre n’est pas la créature mais tous ceux qui le définissent comme un monstre, à commencer par son créateur.

Le slogan marketing du film affiche la couleur : « Only monsters play God » (« seuls les monstres se rêvent tout puissant« ). Les monstres ce sont ceux qui jouent avec la nature et déjouent ses lois. Ce Frankestein est rempli des thèmes que le cinéaste mexicain explore depuis plusieurs films : la bonté pour la bête (dans Hellboy, La forme de l’eau, Pinocchio) versus la véritable monstruosité des dominants.
Peu importe ce que l’on imagine déjà connaître du célèbre Frankenstein, on (re)découvre ici cette histoire sous un autre angle, que le réalisateur magnifie avec son grand sens du spectaculaire. Les talents de conteur de Del Toro, mélangeant l’abominable et le merveilleux, font qu’on reste évidemment fasciné de bout en bout, malgré quelques lourdeurs.
La diffusion de Frankenstein sur Netflix est prévue pour le 7 novembre (et dans certains pays le film sortira quand-même de manière limitée sur grand écran en salles de cinéma à partir du 17 octobre).
Frankenstein
Venise 2025. en Compétition.
2h29
Réalisation : Guillermo Del Toro
Scénario : Guillermo Del Toro (adaptation du roman 'Frankenstein ou le Prométhée moderne' de Mary Shelley)
Avec : Oscar Isaac, Jacob Elordi, Christoph Waltz, Mia Goth, Felix Kammerer, Charles Dance, David Bradley, Lars Mikkelsen, Christian Convery