Des stars de la K-Pop qui bottent des démons entre deux refrains entêtants ? C’est le phénomène de l’année. KPop Demon Hunters a pulvérisé plusieurs marqueurs : record historique de visionnage sur Netflix, longévité exceptionnelle dans le Top 10 mondial de la plateforme, et bande-originale événement avec plusieurs titres entrés simultanément dans le Top 10 américain. Le single “Golden” a décroché la première place aux États-Unis—une première pour un girl group K-pop, même s’il est fictionnel—et s’est hissé en tête au Royaume-Uni. Toujours classé dans le Top 10 en France, le single a reçu une certification Diamant. L’album est toujours la 2e meilleure vente cette semaine en France, après 13 semaines dans le Top 10. Porté par ce raz-de-marée, le film a même connu un second souffle en salles aux Etats-Unis avec des séances sing-along qui l’ont propulsé en tête du box-office lors d’un week-end spécial (24M$ de recettes en bonus). Bref : phénomène de plateforme, carton musical, et une suite déjà annoncée pour 2029.
Toutes en scène
Derrière le gloss, il y a un « musical » animé qui fout un petit coup de vieux aux princesses Disney. On se rapproche davantage de la franchise Universal/MacGuff, Tous en scène et sa suite (1,1 milliard de dollars de recettes dans le monde). Mais ici, la pop n’illustre pas l’action ou ne traduit pas l’émotion : elle la déclenche.
On voit bien ce qui séduit : c’est facile à regarder, chaque séquence musicale est un clip en soi, découpable idéalement pour des formats vidéos viraux. L’aspect pop, très proche de l’animation chinoise ou des séries animées pour ados, héritées des animes japonais, permet d’en faire une œuvre consensuelle (pas de sexe, une violence irréelle) et familiale (comprendre transgénérationnelle. Les couleurs très flashys et néons, les chorégraphies millimétrées comme un concert de Taylor Swift ou Katy Perry, un montage obéissant à un métronome (quasiment aucune séquence ne dépasse les deux minutes) produisent un effet sucré-acidulé qu’on peut voir et revoir, si on se laisse ensorceller.
Maggie Kang (scénariste canadienne d’origine sud-coréenne qui a travaillé sur Lego Ninjago, le film et Kung-fu Panda 3) et Chris Appelhans (illustrateur américain qui a collaboré sur Monster House, Coraline, Fantastic Mr Fox et qui a réalisé Le dragon-génie) ont réussi un gros coup. Ils se sont croisés sur Le chat potté et Les Cinq légendes. Nul ne pouvait se douter qu’une histoire de chanteuses – chasseuses de démons allaient leur apporter une telle notoriété.
Un film conceptuel
Malins, ils ont construit un univers riche et pensé pour les fans, notamment avec de multiples petits détails cachés et des références plus visibles. Tout est fait pour que ce film soit ludique et décliné en merchandising divers (à quand une tournée de stades avec des hologrames?).
Un bon produit ne fait pas forcément un bon film. La mise en scène n’a rien d’original à offrir, ni dans les plans, ni dans les mouvements. Les chorégraphies sont assez banales (et reposent davantage sur des effets spectaculaires, comme souvent désormais dans les concerts gigantesques). L’alternance binaire – et finalement monotone – des performances musicales et de la chasse aux démons, à laquelle s’ajoute un scénario basique et prévisible, rendent l’ensemble assez convenu.
Mais pas fade. KPDH est divertissant. On s’imagine déjà forcer sur les aigüs dans un karaoké au son de « Soda Pop ». Ou attendre un improbable cross-over avec Zombillénium (soyons dingues).

Reste qu’en matière d’animation, on est très en deça des modèles du moment. Ce qui est tolérable à domicile, mais qui aurait été jugé médiocre sur grand écran. Passons outre les goûts et les couleurs, subjectifs, proposés par les auteurs (après tout autant être pop sans limites), l’image et la 3D texturée ont des allures d’affiches de concert, avec une typo claquante et clinquant, des effets de lumières proches du jeu vidéo et une esthétique de clip pour musique électro. La palette chromatique, du « rose bonbon » au bleu nocturne, girly à souhait, n’est utilisée que de manière simpliste pour décrire des humeurs, décrypter des émotions (euphorie : pleine lumière ; backstage : davantage d’ombres ; intimité personnele : nuit dominante). Et on a beau nous ajouter une créature (proche du plagiat tant on pourrait croire à un Totoro de Miyazaki), rien dans le récit ne justifie le choix de l’animation (versus un film en prises de vues réelles).
Hit-girls
Même si rien n’est réel, cela ressemble à furieux film d’action musical teinté de chamanisme qui démontre que le soft-power sud-coréen est puissant (bouffe comprise). L’usine à tubes créée pour le film en est une preuve supplémentaire. Au moins, même sans l’IA Sono, on constate qu’il n’est pas compliqué d’écrire un hit (et d’en faire une performance publique en quelques jours).
Pour le reste, KPDH exploite sans vergogne la mythologie autour de l’industrie musicale. La musique existe pour adoucir les mœurs, réunir les peuples, et oublier les soucis. Les idoles n’en sont pas moins des êtres comme les autres, rongées par leurs propres démons et usées jusqu’à la corde par leur succès. Sans compter la difficulté à rester au top, par tous les moyens. Et c’est sans doute là qu’on aurait aimer voir un regard critique sur la pression et le diktat d’une industrie qui formatent des corps et contrôlent à l’excès l’image des artistes (au point que certains se suicident).
Si la psychologie du trio féminin est déjà vue, que dire des antagonistes, stylés, slims et stéréotypés. Ces twinks ne sont pas sauvés par une écriture assez paresseuse. La rivalité est manichéenne. Les gags ont une durée de vie éphémère. Et les arcs secondaires ne sont pas assez exploités. Trop court, trop rapide, trop superficiel, KPDH se repose trop sur son rythme que sur son expérience visuelle et narrative.
Tout va trop vite. Les manigances sont très vite éclipsées. Les battles sont expédiées. La sororité est mise à mal mais on reste sur un duel filles (empowerment classique) contre garçons (assexués). L’humour est ras-la-scène. L’absence de suspense enferme l’action. Et que dire de nos trois héroïnes lunatiques dont les opinions ou les sentiments changent plus vite qu’une tenue entre deux chansons.
Antidépresseur
Cependant, le concept mérite un coup d’œil si vos oreilles le supportent. L’intérêt de cet anime américain est d’être piloté comme un concert filmé : le storyboard est pensé comme une setlist (chaque chanson produit l’action plutôt que de l’illustrer), le mixage destiné à écouter le film avec un casque, et les effets de lumière peuvent très bien servir de fond d’écran lors d’une soirée. Les paroles collent parfaitement à l’esprit de notre époque. Quant au « message », il est assez simple : soyons nous-mêmes (quand on est du côté des bons en tout cas).
Fun plus que dramatique, lucide sans être réaliste, sensoriel pour ceux qui y sont sensible, KPop Demon Hunters est le reflet d’une société avide de positivité, quitte à oublier la face cachée (ou sombre) de la société.
À défaut d’être un grand film d’animation, cet opéra pop urbain contemporain reflète bien l’envie de s’évader dans une bulle « fantasy ». Plusieurs cultures se cognent entre elles : la Kpop, l’animation asiatique, la création mondialisée, la lissitude des icones / influenceurs ou influenceuses, et bien entendu le phénomène de fandom qui soutient tout cela. Un nouveau genre est né? Le mix, sur le papier, est audacieux. Le résultat un peu moins.
KPop Demon Hunters
1h35
Le 20 juin 2025 sur Netflix
Réalisation : Maggie Kang et Chris Appelhans
Scénario : Hannah McMechan, Danya Jimenez, Maggie Kang et Chris Appelhans
Musique : Marcelo Zarvos
Chansons écrites par Danny Chung, Ido, Vince, Kush, Ejae, Jenna Andrews, Stephen Kirk, Lindgren, Mark Sonnenblick et Daniel Rojas
Direction artistique : Ami Thompson
Sociétés de production : Sony Pictures Animation
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