
Une cinquantaine de films, une trentaine de films en avant-première, 12 en compétition pour le Prix du Public… …et cette année au Festival d’Albi les films sélectionnés sont réalisés par autant par des hommes que par des femmes ! Rencontre avec Monique Martin, co-présidente du festival Les Oeillades de Albi et à la tête du comité de sélection :
Cette année la programmation de Les Oeillades de Albi met un peu en avant une parité 50/50 avec donc une moitié de films par des femmes réalisatrices, est-ce que peut-être c’est plus facile qu’avant avec une certaine augmentation du nombre de films réalisés par une femme ?

Monique Martin : Ce constat de parité nous satisfait pleinement. Toutefois on ne s’est pas du tout dit que entre plusieurs films possibles à choisir qu’on allait plutôt sélectionner les films de femmes. Je pense qu’il y a simplement une meilleure reconnaissance du travail des femmes. Peut-être que des producteurs font enfin confiance sur leurs qualités de réalisatrices. Quand on a visionné les films avec les camarades du comité de sélection, il y a même certaines fois où nous n’avons pas regardé si c’était l’oeuvre d’un réalisateur ou d’une réalisatrice, de façon à ce qu’il n’y ait pas du tout de parti-pris. C’est sur la qualité des films que l’on a tranché, et il se trouve qu’il y a beaucoup de films de femmes. Et parmi toutes ces femmes, il y en a qui sont un peu déjà connues, et il y en a qui ne sont pas du tout connues.
Est-ce qu’il y a certaines de ces réalisatrices que vous pouvez évoquer dans cette programmation ?

Monique Martin : Je crois que la plus connue de toutes c’est Valérie Donzelli pour son film À pied d’œuvre. Il y a aussi Kaouther Ben Hania pour La voix de Hind Rajab, primée à Venise. Parmi les moins connues, on a les deux jeunes réalisatrices Lise Akoka et Romane Gueret pour leur film Ma frère. Moi j’ai fait une très belle découverte avec Les Invertueuses de la réalisatrice Chloé Aïcha Boro qui est donc présente avec nous à Albi. Son film du Burkina-Faso est hyper courageux. On a aussi le film du Québec avec Amour Apocalypse de Anne Emond et Les preuves d’amour de Alice Douard qui se suivent le même jour dans la programmation. Ce film de Alice Douard est vraiment formidable. On présente des premiers films tout aussi remarquables comme Sauvons les meubles de Catherine Cosme dont le métier de réalisatrice n’était pas son métier premier puisqu’elle une cheffe-décoratrice réputée (notamment pour L’inconnu de la Grande Arche et La fille au bracelet de Stéphane Demoustier). De même je pense à l’actrice Josephine Japy devenue réalisatrice d’un premier long-métrage avec Qui brille au combat. On reçoit à Albi la réalisatrice Gaia Gigi pour son film L’Étrangère, qui est un film très fort. Enfin, j’ai envie de tous les défendre en fait. Comme le film Les Rêveurs de Isabelle Carré : on connaissait ses talents de comédienne bien sûr, et ses talents d’autrice, et elle se révèle être une belle réalisatrice aussi. Je trouve qu’elles ont toutes leur personnalité et un univers particulier, c’est vraiment intéressant. Dans le cinéma de femmes, on note que le pathos est évité, on est dans une finesse d’écriture et d’analyse des émotions et des sentiments. Alors je dis pas que les hommes ne savent pas le faire, mais pour ces films-là , je trouve qu’il y a vraiment des belles palettes d’émotions avec beaucoup de sensibilité.
Plusieurs de ces réalisatrices sont pour certaines des actrices ayant déjà une longue filmographie, comme justement Isabelle Carré, Joséphine Japy, Hafsia Herzi…, qu’est ce qui les incites à passer derrière la caméra ?

Monique Martin : Il se trouve que pour le film Qui brille au combat de Joséphine Japy c’est un peu son histoire familiale personnelle qu’elle a écrite en scénario. Il semble qu’elle n’avait jamais pensé à la réalisation, surtout pas en traitant de ce sujet, et que petit à petit quand elle a été vraiment sur le point de prendre la décision de se mettre à la réalisation elle a tout de suite pensé que c’était ce sujet-là qu’elle voulait traiter en premier. On peut supposer qu’après avoir été dirigée dans de nombreux films, une actrice se dise peut-être qu’elle aurait fait comme ci ou comme ça. Obéir, dans le sens noble du terme, à la direction de quelqu’un ça peut déclencher une envie de faire autrement. Mais devenir réalisatrice ne veut pas dire abandonner le métier d’actrice, elles continuent les deux métiers en fait, comme par exemple Hafzia Herzi, j’ai l’impression qu’elles tiennent autant à jouer que à réaliser.
C’est la 29ème édition des Oeillades de Albi, et mis à part cette plus large part de femmes réalisatrices, qu’est-ce qui évolue dans la préparation du Festival ?

Monique Martin : On a beaucoup appris sur l’organisation au fil des années, et puis Albi est devenu plus reconnu et c’est plus facile d’obtenir des films en avant-première. La plupart des films qu’on présente ont une sortie en salles pour début 2026. On essaye de faire les choses le mieux possible, de bien accueillir les gens, de mettre en valeur les films. Les distributeurs nous font confiance. On a beaucoup plus de facilités à avoir au Festival les films qu’on souhaite vraiment, à quelques exceptions près où on nous dit ‘non’ pour divers motifs de circuit de promotion. Le plus difficile, peut-être, dans notre contexte de programmation c’est qu’on dispose principalement de trois salles de tailles différentes, et parfois certains distributeurs veulent négocier pour avoir la projection dans le salle la plus grande ou la plus prestigieuse. Quelque chose qui devient peut-être plus compliqué c’est de faire venir des acteurs et des actrices très-très célèbres, car ils sont souvent hyper-sollicités ou en tournage. Par contre, nous à Albi, on aime bien qu’il y ait aussi d’autres membres de l’équipe, par exemple les chefs op, les monteurs, les compositeurs, enfin, ceux qui ont vraiment un rôle important dans la finalisation de la création. Cette année, on a avec nous le compositeur de musique Michel Petrossian et le directeur de la photographie et cadreur Jérémie Attard qui vient accompagner les films La petite dernière de Hafsia Herzi et aussi Mektoub my love: canto due de Abdellatif Kechiche pour notre clôture.
Quelle personnalité invitée à Albi vous a le plus impressionnée ?
Monique Martin : Parmi ceux qui m’ont incroyablement marquée, je dirais Bertrand Tavernier et Jean-Louis Trintignant, pour leur générosité et leur simplicité. Fanny Ardant m’a beaucoup marquée aussi. Certains ont l’impression qu’elle est distante alors que pas du tout. J’ai rencontrée une femme très humaine avec qui il était très facile de parler. Je n’avais jamais rencontré quelqu’un comme Bertrand Tavernier, qui parle de cinéma d’une façon aussi passionnée et vivante. Jean-Louis Trintignant était déjà un monsieur âgé mais il a beaucoup partagé, notamment envers les jeunes du public. En l’écoutant on retrouvait le Trintignant plus jeune avec la même voix, le même sourire, le même oeil malicieux, c’était incroyable d’émotions.
L’année prochaine ça sera le 30ème anniversaire du Festival de Albi, quelque chose de symbolique se prépare ?

Monique Martin : C’est encore trop tôt, même si on pense à plusieurs choses comme peut-être revenir sur quelques films marquants passés par Albi. Il y aura surtout une envie de faire revenir des gens qui sont déjà venus au festival et qu’on aurait très envie de retrouver. Je pense par exemple à Sergi Lopez venus plusieurs fois avec qui on a eu de très bons contacts. On aurait envie de retrouver Sandrine Kiberlain et d’inviter des acteurs et actrices qui ne sont jamais venus à Albi mais dont on aime beaucoup leurs parcours, comme Swann Arlaud ou Adèle Exarchopoulos, des artistes que l’on sent sincères. On va réfléchir à une nouvelle initiative. Cette année, on essaye de faire une petite nuit du cinéma, alors peut-être une soirée avec plus d’art vivant comme de la danse ou quelque chose de festif…
