Cannes 2025 | 5 choses à savoir sur Lynne Ramsay

Cannes 2025 | 5 choses à savoir sur Lynne Ramsay

Révélation cannoise

En 1996, Lynne Ramsay réalise son premier court-métrage, Small Deaths. Ce film de fin d’études à la National Film and Television School du Royaume-Uni – une série de trois vignettes mettant en scène des enfants confrontés aux réalités familiales et aux conséquences de leurs actes – remporte le Prix du Jury du court-métrage au Festival de Cannes 1996. Son troisième court, Gasman (1998), l’histoire d’un frère et d’une sœur qui assistent à une fête de Noël avec leur père lui vaut un nouveau Prix du Jury à Cannes.

Habituée de la Croisette

Membre du jury en 2013, tous ses longs métrages ont été projetés à Cannes, sans exception. Son premier long, Ratcatcher (1999), est découvert à Un certain regard. James est un garçon de 12 ans vivant dans un quartier délabré de Glasgow en 1973, en pleine crise sociale et urbaine. Tandis que la ville reloge ses habitants, lui et sa famille attendent leur tour dans un environnement insalubre et oppressant… Ramsay recevra l’année suivant eun BAFTA du meilleur nouveau cinéaste.

En 2002, Morvern Callar fait son avant-première à la Quinzaine. Morven Callar est une jeune employée de supermarché en Écosse, qui découvre le suicide de son compagnon et décide de s’approprier son roman inédit, qu’elle envoie à un éditeur sous son propre nom. Sans jamais révéler la vérité, elle enterre le corps, part en Espagne, encaisse une avance de 100 000 £, et poursuit sa route seule, hantée par ce qu’elle a laissé derrière elle.

Elle fait ses premiers pas dans la compétition dès son troisième long en 2011, le saisissant et glaçant We need to talk about Kevin, avec Tilda Swinton. Injustement oublié au palmarès, mais pas aux British Independent Film Awards ni au National Board of Review, le film raconte l’histoire d’Eva, une mère rongée par la culpabilité après que son fils, Kevin, ait commis une tuerie de masse dans son lycée. À travers des allers-retours entre passé et présent, le film explore la relation toxique entre Eva et son fils, et interroge la responsabilité parentale face au mal.

You Were Never Really Here

Le mal, on le rencontre encore dans son film suivant, You Were Never Really Here. De nouveau en compétition à Cannes, en 2017, il repart avec le prix du scénario et le prix d’interprétation masculine (pour Joaquin Phoenix). Double accolade pour un thriller aux allures de film noir autour de Joe, un vétéran traumatisé devenu justicier brutal, chargé de sauver une adolescente victime de trafic sexuel. Sa violence intérieure, sa culpabilité, et sa lente descente dans un monde de corruption et de douleur démontre là encore tout le talent de la réalisatrice à contourner les codes avec un style qui lui est propre.

Elle revient cette année en compétition avec Die, my Love, film événement avec Jennifer Lawrence et Robert Pattinson (Hunger Games x Twilight). Ramsay nous entraîne dans la lente dérive mentale d’une femme vivant dans une maison isolée à la campagne, écrasée par la maternité, le désir, et la frustration, entre fantasmes violents et dépression muette.

We need to talk about Kevin

Des personnages inquiétants et troubles

Il y a souvent des enfants ou des jeunes gens autour desquels ses films gravitent. Mais le véritable fil conducteur est bien celui de personnages dérangés (dans le sens où leur destin dévie à cause d’un trauma ou d’une rencontre). Avec une mise en scène où la profondeur de champs est réduite et la narration est déstructurée chronologiquement, elle souligne leur psyché bousculée, proche de l’aléination ou clairement hantée par une tragédie ou une paranoïa.

Sensorielle, elliptique et profondément visuelle, Lynne Ramsay insiste sur les textures, les sons et les détails fragmentés d’un récit qui ne veut pas être classique. Elle explore la psychologie de gens ordinaires, plongés dans une situation extraordinaire, à travers des images chargées de tension émotionnelle, souvent silencieuses, où le non-dit prend plus de poids que les dialogues.

À la fois scénariste, réalisatrice et parfois directrice photo, elle assume la provocation que le cinéma peut permettre dans le débat entre l’inné et l’acquis, sans y apporter une réponse tranchée. D’où ce mélange d’improvisation en amont de la production et de perfectionnisme tout au long du reste de la chaîne. Elle se laisse conduire de manière instinctive dans son histoire avant de fixer définitivement le cadre technique.

En cela, la forme cinématographique fusionne parfaitement avec l’intimité et l’intérirorité de ses personnages déviant de leur destinée, au risque de se perdre.

Die, my Love

Des films sans lendemains

Evidemment, on lui colle une réputation de réalisatrice difficile. C’est une femme, pensez donc! Elle ose dire non. Ainsi, plusieurs projets n’ont pas aboutit. Ce qui explique des hiatus de plusieurs années entre ses films.

Ainsi, après Morvern Callar, elle était pressentie pour réaliser Lovely Bones. Lais son approche personnelle du récit a été rejetée sous la pression commerciale croissante liée au succès du livre, et elle fut finalement remplacée par Peter Jackson. Ce revers professionnel, aggravé par la perte de son père et de sa co-scénariste Liana Dognini, a profondément affecté Ramsay et sa confiance en elle. Il faudra attendre sept ans pour la retrouver derrière la caméra.

Juste après We need to talk about Kevin, Lynne Ramsay a développé Mobius, une adaptation de Moby Dick transposée dans l’espace, centrée sur la psychologie, la claustrophobie et un capitaine Achab vu comme un monstre. Cependant, elle reporte le projet. Elle réalise entre temps un court métrage pour les J.O. de Londres en 2012, Swimmer (Bafta du court métrage au passage).

Puis Lynne Ramsay doit réaliser le western Jane Got a Gun avec Natalie Portman et Jude Law. Mais elle quitte brutalement le projet en 2013 à cause de désaccords créatifs, notamment sur le « happy end » imposé par les producteurs. Law s’en va par la même occasion. Elle est poursuivie en justice pour rupture de contrat, accusations qu’elle nie, et le conflit se règle à l’amiable un an plus tard, non sans nuire à sa réputation. Dans la foulée, Ramsay met fin à son mariage, s’exile à Santorin, écrit You Were Never Really Here et donne naissance à sa fille à Athènes (avec pour parrain John C. Reilly et pour marraine Tilda Swinton, le couple à l’écran de We need to talk aboit Kevin).

Lynne Ramsay a développé d’autres projets comme Call Black Horse, un film sur la guerre de Sécession avec Casey Affleck, ainsi qu’un scénario d’horreur environnementale épique. En 2020, la presse professionnelle l’annonce à la réalisation de The Girl Who Loved Tom Gordon, adaptation du roman de Stephen King. L’année précédente, elle a signé Brigitte, un court documentaire sur la photographe Brigitte Lacombe, réalisé pour la série Women’s Tales de Miu Miu (encore Cannes).

En 2021, elle révèle un nouveau projet, Polaris, avec Joaquin Phoenix et Rooney Mara, qu’elle décrit plus tard comme « Rosemary’s Baby dans l’Arctique ». Le film est toujours en développement.

En 2022, elle annonce vouloir adapter Stone Mattress de Margaret Atwood, un projet soutenu par Amazon Studios, avec Julianne Moore, qu’elle juge d’une actualité brûlante dans le contexte anti-avortement qui se propage aux Etats-Unis et ailleurs.

Deux versions pour un clip

En 2005, elle a réalisé un clip pour la chanson Black and White Town du groupe Doves (gros hit du groupe). Mais là encore des divergences artistiques l’opposent à la maison de disque, qui décide de remonter le clip dans une version assez différente de celle que Ramsay avait conçue. Résultat, face à la demande, les deux versions existent : celle diffusée pour la promo et une version Director’s Cut, disponible sur dvd. On peut remarquer son style – plans rapprochés, arrière plan flou, jeunesse en PLS, banlieue d’ennui. Bref du grand Ramsay.