Venise 2025 | The voice of Hind Rajab de Kaouther ben Hania : une tragédie palestinienne sans issue de secours

Venise 2025 | The voice of Hind Rajab de Kaouther ben Hania : une tragédie palestinienne sans issue de secours

29 janvier 2024. Des volontaires du Croissant-Rouge reçoivent un appel d’urgence. Une fillette de 6 ans est coincée dans une voiture sous les tirs à Gaza et implore les secours. Tout en essayant de la maintenir en ligne, ils font tout leur possible pour qu’une ambulance lui parvienne. Elle s’appelait Hind Rajab.
Le film est basé sur des faits réels et des appels d’urgence enregistrés par le Croissant-Rouge Palestinien, les voix au téléphone sont réelles.

The voice of Hind Rajab est un huis-clos dans le bureau d’un centre d’appel du Croissant-Rouge palestinien (une antenne locale de la Croix-Rouge) dont la mission est à priori simple : répondre à chaque appel aux secours, et, quand c’est possible, l’envoi d’une ambulance. Leur travail est en réalité beaucoup plus difficile. Il s’agit d’identifier la personne qui appelle, localiser la victime, juger de la gravité ou de l’urgence de son cas, l’aider au mieux, coordonner si besoin et si possible l’envoi d’une équipe pour prendre en charge la victime. La journée est déjà tendue quand arrive un nouvel appel. Une petite fille de six ans qui se retrouve seule dans une voiture, prise comme cible par des tirs. Il semble que sa famille (oncle, tante, cousins) soit morte dans cette voiture. Elle serait donc la seule survivante. Une ambulance peut-elle se risquer dans une zone où les tirs continuent…

L’appel à l’aide de la petite fille est métaphoriquement aussi l’appel à l’aide de la Palestine.

« Ils sont tous morts… »

La cinéaste Kaouther ben Hania (Les filles d’Olfa, quatre prix à Cannes et un César du meilleur documentaire) utilise les enregistrements audio des véritables appels téléphoniques entre les secours et la petite fille Hind Rajab : c’est sa voix que l’on entend. Toujours dans ce mélange entre reconstitution et réalité, qui avait fait le succès de son précédent film, elle dirige un groupe d’acteurs jouant les rôles des véritables secouristes, avec, en grande partie, leurs propres mots. À partir ce ce long enregistrement de conversations téléphoniques comme source documentaire, elle restitue (et resitue) le réel dans une forme de fiction.

Brad Pitt, Joaquin Phoenix, Jonathan Glazer, Alfonso Cuaron en producteurs

Nul doute que The voice of Hind Rajab est par sa nature et par le contexte géopolitique actuel à la fois un soutien à Gaza et une dénonciation des évènements qui se produisent dans les territoires palestiniens depuis qu’Israël a décidé de bombarder sans relâche cette minuscule bande de terre pour éradiquer les responsables du massacre du 7 octobre 2023 (cette année, le nombre de films sur ce conflit est exponentiel dans des genres très variés).

Notons aussi que The Voice of Hind Rajab dispose d’un générique de fin singulier, le prédisposant à un Oscar dans quelques mois : il comporte des dizaines de noms en tant que ‘executive producers’ dont Brad Pitt (et ses partenaires de Plan B Entertainment, filiale du groupe français Mediawan), Jonathan Glazer (La zone d’intérêt), Alfonso Cuaron, Joaquin Phoenix et Rooney Mara (tout deux venus à Venise pour soutenir le film).

À travers cette implication, ces personnalités de Hollywood expriment une certaine solidarité avec le conflit palestinen, guest-star de la Mostra. Pas un jour sans qu’on demande aux personnalités leur point de vue, qu’on prenne position, qu’on manifeste avec des drapeaux palestiniens, alors que la direction du festival souhaitait rester neutre.

Crime de guerre

Mais comment être indifférent? Déjà à Cannes, le monde du cinéma commençait à se révolter ouvertement. Les sélections cannoises comprenaient des films tels Once Upon a Time in Gaza, I’m Glad You’re Dead Now, Put Your Soul on Your Hand and Walk et Oui.

Kaouther Ben Hania creuse ce sillon. Elle fait bien plus que suggérer la pratique d’attaques en ‘double tap’ par Israël (frapper deux fois la même cible, la deuxième fois justement pour empêcher l’arrivée des secours), une pratique qui constitue un crime de guerre. En optant pour un huis-clos où l’évolution des évènements provoque un suspens de plus en plus haletant et où les personnages sont de plus en plus sous tension (et qui peut rappeler The Guilty de Gustav Möller), elle démontre aussi qu’un sujet aussi engagé politiquement qu’il soit peut aboutir à un film réussi et captivant.

Kaouther Ben Hania a ce talent de savoir raconter des histoires sous la forme de témoignages sur les désordres du monde. Elle dénonce à travers la parole. Cette réalité documentée, source de ses documentaires comme de ses fictions (la frontière est mince dans son cinéma), n’entrave jamais la force de son récit et de la dramaturgie qui en découle.

« Venez me chercher. J’ai peur… »

L’art du découpage n’y est pas étranger. La voix de la petite fille et celles des secouristes construisent une longue conversation au fil des appels : ça coupe, ça rappelle, ça raccroche, ça sonne de nouveau… C’est un petit groupe de secouristes déjà fatigués qui, tour à tour et ensemble, va gérer cette situation hélas ordinaire dans leur quotidien.

Haute tension

Le stress va monter. La fillette en détresse panique parfois. Ils vont entendre autour d’elle des rafales de tirs. Ils lui ont promis qu’une ambulance va bientôt arriver pour la secourir. Mais dans leur bureau, coordonner l’envoi de l’ambulance s’avère plus complexe : il faut établir un trajet et demander des autorisations pour qu’elle soit autorisée à passer. « No green light, no ambulance ». Le danger est très concret. L’ambulance peut aussi être prise pour cible. Sur un mur du bureau du centre d’appel, on voit une feuille avec les visages des chauffeurs et secouristes qui ont déjà été tués lors de ce type de mission… Risquer la vie de secouristes pour tenter de sauver une enfant ? Le dilemme va faire s’échauffer les esprits dans le centre d’appel, et parallèlement créer de l’angoisse chez le spectateur.

Comme souvent, le cinéma s’empare d’un sujet tragiquement idéal pour remuer les consciences. Mais il est important de rappeler qu’il y a des dizaines de cas comme celui d’Hind Rajab chaque semaine. Que des enfants meurrent chaque jour dans divers conflits dans le monde (Ukraine, Ethiopie, Liban, Congo, Soudan, Yemen …). Que rien ne justifie de tels crimes. Par ailleurs 663 personnels d’aide humanitaire ont perdu la vie en 2023 et 2024 dans le monde. Alors, oui, la voix de Hind Rajab ne doit pas être oubliée, tout comme celles de ceux qui veulent la sauver…

« Je voulais me concentrer sur l’invisible : l’attente, la peur, le bruit insupportable du silence quand aucune aide n’arrive. Parfois, ce que l’on ne voit pas est plus dévastateur que ce que l’on voit », explique la cinéaste

Ce film de Kaouther ben Hania est déjà sélectionné dans les grands festivals de l’automne : il est attendu au Toronto International Film Festival, au BFI London Film Festival, au San Sebastian International Film Festival. En compétition à ce Festival de Venise, The voice of Hind Rajab a visiblement secoué la salle avec une standing-ovation de 24 minutes, en attendant de le voir récompensé dans quelques jours par le jury… Un Lion d’or semble presque évident. Ce serait la première fois qu’un film du continent africain recevrait cette récompense.

The voice of Hind Rajab
Venise 2025. en Compétition.
1h30
Réalisation : Kaouther ben Hania
Scénario : Kaouther ben Hania
Avec : Saja Kilani, Motaz Malhees, Clara Khoury, Amer Hlehel