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 (C)Ecran Noir
 1996-2000

 GFX: PETSSSsss
 TXT: John Nada
 IMG: Gaumont

 Mathieu Kassovitz - Vincent Cassel - 

Ecran Noir: Comment s'est déroulé votre collaboration avec Mathieu?
Jean-Christophe Grangé: On s'est très bien entendu. J'avais fait un premier jet de l'adaptation de mon propre roman. Mathieu l'avait eu en main, mais n'avais pas trouvé complètement judicieux les passages que j'avais écartés. Du coup, on s'est mis à le retravailler. Il me montrait ce qu'il avait écrit, on en parlait... Il y a eu une atmosphère de collaboration entre l'auteur et le réalisateur très étroite. En général, le scénariste est un emmerdeur: il veut qu'on ne touche à rien, il n'est jamais d'accord...
Et puis il faut savoir que mes livres sont déjà assez proche d'une écriture cinématographique. C'est donc d'abord le réflexe du producteur de nous avoir proposé de travaillé ensemble qu'il faut saluer. Et comme c'était la première fois que Mathieu adaptait l'histoire de quelqu'un d'autre, il voulait vraiment faire les choses correctement. Il y avait un enthousiasme chez chacun, que ce soit chez les acteurs, chez Mathieu ou même chez Alain Goldman, qui avait payé ... euh... très cher (dit-il tout bas, ndr) pour obtenir les droits.

EN : Vous sentez-vous proche de la mise en scène de Mathieu? De sa vision des choses?
J-C G : Ah oui! J'y étais déjà sensible au moment ou on écrivait. On voyait bien qu'on était sur la même longueur d'onde. Et puis j'aimais bien l'idée que Mathieu n'adoucirais pas la violence -ça, je le savais dès le départ-, ce qui est un peu un penchant naturel quand on passe à l'image. C'est une chose qui m'aurait emmerdé. Et puis il était très sensible au message profond de l'histoire. Ce qui l'intéressait, c'était vraiment l'évocation de mal, de ces types qui se permettent d'annuler l'identité des gens pour en faire une race supérieure...

EN : Vincent Cassel et Jean Reno, ce sont les physiques que vous imaginiez pour vos personnages?
J-C G : J'évite vraiment de penser à des acteurs au moment de l'écriture du livre. Vos personnages viennent de votre propre expérience de la vie, ils ne viennent pas du cinéma. En revanche, une fois que j'avais construit mes personnages, j'aurais tout de suite pensé à Reno parce qu'ils ont tout les deux un côté un peu vieillissant, fort et en même temps grave. Et souvent les gens me disent: "Et alors, pour le jeune flic qui est à l'origine maghrébin, à qui aurais-tu pensé?" Et bizarrement, j'aurais aussi répondu Vincent. Parce que pour moi l'important n'est pas qu'il soit maghrébin mais qu'il soit révolté, jeune, passionné et qu'il s'investisse complètement dans son enquête. Et Vincent que j'avais vu dans La Haine en jeune rebelle, il en impose quand même pas mal.

EN : Les Rivières Pourpres n'est pas votre premier roman...
J-C G : Le premier, c'est Le Vol des cigognes. Il est ressortit dans le sillage des Rivières Pourpres et il s'est vendu quasiment aussi bien. Du coup, c'est encore Alain Goldman qui en a acheté les droits. J'ai également écrit son adaptation. C'est plutôt prévu pour ce faire en anglais avec des américains.

EN : On a entendu dire que c'est vous qui deviez le réaliser...
J-C G : C'est une rumeur infondée qui a longtemps persisté. Vraiment, là c'est une grosse confusion parce que -croyez moi- ce n'est pas le genre de scénario que l'on donne à un jeune mec qui n'a encore rien fait dans le cinéma (rires). Ca se passe dans six pays différents, il y a des cigognes partout, ... Ca va plutôt être confié à un mec très expérimenté.

EN : Vous avez un style d'écriture très découpé, très scénarisé...
J-C G : C'est vrai que les producteurs ont toujours tendance à me proposer ma propre adaptation parce que dans mon esprit, on voit déjà bien qu'il a un rythme très cinématographique.

EN : C'est une caractéristique que l'on trouvait déjà dans votre premier roman?
J-C G : Oui. D'ailleurs, s'il n'avait pas marché auprès du public au moment de sa sortie, il avait déjà été très remarqué auprès des producteurs qui, à partir de ce moment là, m'ont proposé d'écrire directement pour le cinéma. C'est une chose à laquelle je n'avais pas pensé et puis je me suis retrouvé un peu happé. Mais j'ai maintenant complètement changé ma position: je ne ferais plus rien directement pour le cinéma. J'ai écris pour Pitof le scénario de Vidocq qui est un vrai scénario original pour le cinéma et ça me suffit.

EN : Pourquoi? Parce que c'est plus laborieux? Plus difficile?
J-C G : Un scénario reste beaucoup plus facile à faire. C'est la moitié du travail du roman. Mais malheureusement, il ne s'agit pas que de ça. Quand un scénario est écrit, il est ensuite proposé à un metteur en scène. Celui-ci va automatiquement demander à ce qu'on le réécrive en fonction de sa personnalité, et puis six mois après, c'est un autre réalisateur qui est parfois pressentit. On vient alors nous chercher pour réécrire à nouveau. Mais à ce moment là, on a complètement oublié ce travail là et il faut se remettre au boulot alors qu'on a autre chose en tête. Et ça peut prendre comme ça des années. Alors que pour les Rivières Pourpres, c'est un miracle de rapidité. C'est pour ces raisons que je n'en ai plus envie. Mais même en tenant compte de tous ça, le travail sur un roman reste beaucoup plus long qu'un scénario. Vous vous rendez compte ? Le scénario n'est qu'une esquisse à comparer! Le gros bouleau n'intervient qu'au moment du tournage. Alors que dans le roman, vous décrivez les décors, vous insufflez toutes les pensées des personnages,... Lorsque j'écrivais mon premier livre, je tirais plutôt mon inspiration du cinéma. Et donc, le fait que le cinéma fasse finalement appel à moi ne m'a pas surpris outre mesure. C'est probablement que mon univers lui est proche. Et mon écriture aussi.

EN : Justement, par rapport à votre dernier roman, Le Concile de pierre, on a vraiment l'impression de revoir des images très précises liées au cinéma. Je pense notamment au final qui fait penser à un croisement improbable entre Le Bon, la brute et le truand et Highlander...
J-C G : (Sourires) Oui-oui, complètement. Highlander pas trop, mais sinon c'est tout à fait ça. Ma plus grande influence, c'est probablement Le Bon, la brute et le truand.

EN : Comme la scène d'autopsie en 3D, toujours dans votre dernier roman, qui ressemble furieusement à la disparition couche par couche de Kevin Bacon dans Hollow Man. En même temps, vous ne pouviez pas déjà avoir vu le film...
J-C G : Je ne l'ai d'ailleurs toujours pas vu. Non, je l'ai décrit comme ça à cause d'un reportage que j'avais fait sur ces techniques qui permettent maintenant de mettre une momie dans un scanner et de faire son autopsie sans y toucher. J'ai été Grand Reporter pendant dix ans et toutes les choses que j'ai connues et vécues à travers les enquêtes que j'ai menées constituent ma principale source d'inspiration.

EN : Vos références cinématographiques ultimes...?
J-C G : Des chef d'œuvres absolus comme Marathon Man. J'adore L'Année du Dragon par exemple. C'est un film par-fait!

EN : Vous êtes très dur avec vos personnages masculins, spécialement dans votre dernier roman, mais là aussi, avec Les Rivières Pourpres, où ce sont les hommes qui se font trucider...
J-C G : J'aime bien que les héroïnes soient plus forte que les mecs, qu'elles triomphent là où ils échouent. C'est vrai que c'est plutôt le cas dans le dernier livre, mais c'est aussi vrai que -sans faire de grandes phrases- dans la vie, c'est souvent comme ça que ça se passe. J'ai toujours été très très épaté, dans la vie quotidienne, par la force des femmes et comme j'essaye avant tout de retranscrire ce que je connais...

Propos recueuillis par John Nada