Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Sophie Dulac Distrib.  



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El Cielito


France-Argentine / 2005

08.06.05
 



PRENDRE UN ENFANT PAR LA MAIN





"- Où sont tes parents ?
- Je ne les ai pas connus. Tu as des frères et soeurs ?
- Non, j'avais une grand-mère, elle est morte. Tu es seul au monde?
- Oui."


Voilà un vrai film de femme, tout en pudeurs, silences, sensibilités et douces couleurs. La réalisatrice argentine Maria Victoria Menis nous livre une bien jolie histoire humaine, bien filmée et impeccablement interprétée, avec un sujet simple : la solitude et la misère. Un vagabond (Félix), trouve gîte et couvert chez un couple au chômage (Roberto et Mercedes) qui vit d'expédients, la vente de confitures et de conserves maison, se déchirant en silence. Au milieu un bébé : Chango, qui va tisser avec Felix une histoire d'amour paternel. Le tout dans un décor de détresses et de solitudes. Car dans ce film tout est misères, abandons, errances, recherches et rencontres. Solitudes de tous les personnages d'abord. Dès les premières minutes on sait que pour Felix, vingt ans, la vie n'est pas rose et il échappe au contrôleur du train dans lequel il a pris place en sautant en marche. C'est ainsi qu'on se retrouve au fin fond de l'Argentine, dans un endroit improbable avec une gare presque désaffectée, où une espèce de bistrot qu'on dirait improvisé tient lieu de réunion pour quelques poivrots. Solitude de Roberto, au comptoir avec déjà plusieurs bières au compteur. Un poste de télévision où l'on passe un match de boxe lui tient compagnie. Maria Victoria Menis sait créer une ambiance, une atmosphère à coups de plans fixes où l'on voit un vieux ventilateur tourner au milieu d'une salle vide, on pourrait presque en palper l'air épais, ou bien encore le mur délabré d'une maison avec un bout de cour où la pluie trouble des flaques sales ; le tout magnifiquement servi par une lumière orangé, brûlante qui accentue la sensation d'étouffement. Comme si une fois arrivé dans cet endroit on ne pouvait plus en sortir. A ce niveau, on pense aux films sociaux de Granier Deferre (Le chat par exemple dans lequel on trouve cette ambiance crée par le même procédé) dans les années 70. On rencontre aussi l'isolement de Mercedes. Elle parle peu, toutes ses paroles sont dans les regards. Une expression du visage traduisant une grande souffrance intérieure et qui semble lancer un appel au secours chaque fois qu'elle lève la tête. Une femme seule, délaissée par un mari presque toujours au bar, qui boit pour oublier la misère et le chômage.

On converse peu dans ce film : Felix doit prononcer en tout et pour tout une cinquantaine de phrases ce qui permet de saluer la performance de ce jeune acteur de 25 ans Léonardo Ramirez. Comédien convaincant, solide et qui a de l'avenir. Le film est lent, au rythme de la vie des gens du coin : un montage simple et doux avec de belles images de fleuve ou de campagne, de ciel bleu délavé (El cielito veut dire «petit ciel » en espagnol) dont se sert la réalisatrice pour adoucir un contenu parfois violent. Car nous ne sommes pas dans une comédie, c'est clair. Comme par exemple dans cette scène où Roberto tue le chien parce qu'il était dans la maison. Peu de dialogues là aussi mais l'extrême violence est suggérée (elle n'en est que plus forte) par le cri déchirant de l'animal, les éclats de voix du mari et les visages terrifiés de Mercedes et Chango. Un bébé au milieu de la tourmente qui va rencontrer peu à peu le regard de Felix, premier moment clé du film. Notons d'ailleurs que si dès le début on pensait qu'il y aurait une histoire d'amour entre le vagabond et la femme abandonnée, Maria Victoria Menis évite ce lieu commun en nous prenant à contre-pied : ce premier regard, ce premier sourire et presque ce premier signe d'humanité Félix le réserve au gamin. Solitude du bébé dont sa mère ne s'occupe guère tant elle a envie de partir et y pense en permanence ; quand à son père le moindre cri de l'enfant le met dans tout ses états parce qu'il ne peut écouter en paix ses émissions de télévision. Peu à peu Mercedes va comprendre deux choses : qu'il ne se passera rien avec le vagabond et qu'elle peut partir, il s'occupera de Chango. Le très jeune Rodrigo Silva est le bébé idéal pour le film tant on voit l'osmose se faire avec son protecteur, surtout que l'on est gratifiés d'images rares saisies presque au vol par la caméra : un sourire, un regard, un geste. Seconde partie de ce moment clé : la fuite de Mercedes. Le mari va alors sombrer dans un désespoir encore plus profond et sa violence n'en sera que plus forte. Une nuit, Felix file à l'anglaise avec Chango. Sur une chanson magnifique de Jaime Davalos, ce mini road movie vers Buenos Aires nous donne à voir des plans superbes de cet homme et de ce bébé seuls au monde et qui ont joints leurs deux solitudes. Une très beau moment.

Commence alors un autre film, en milieu urbain cette fois puisque l'on se retrouve en plein Buenos Aires. L'appartement qu'arrive à louer Felix se remplit peu à peu d'objets enfantins comme des hochets, des jouets, ou autres biberons. Les deux êtres renaissent à la vie. Maria Victoria Menis nous dépeignait l'errance, l'échec social et la solitude à la campagne, elle le fait ici en ville, avec des images plus fortes, plus dures mais avec un temps qui ne passe pas plus vite. Deuxième moment clé du film : encore une rencontre. Cette fois avec un jeune de banlieue, Cadillac, vivant avec sa sour de petits larcins et qui vont héberger les deux hommes chez eux, taudis minable d'un bidonville de la capitale argentine. Voilà une histoire de vie filmée avec justesse par une femme. La misère et la détresse n'en sont pas moins dures et émouvantes mais plus sensibles, montrées sous un jour inattendu celui du quotidien qui passe, jour après jour. Un long métrage qui s'inscrit dans ce que l'on appelle « la nouvelle vague » du cinéma argentin, ce qui nous promet d'autres ouvres aussi belles et intéressantes. Le film a été bien accueilli en Argentine et a été sélectionné au Festival de San Sébastian en 2004, ce qui n'est que justice car peu d'ouvres cinématographiques sud-américaines ont montré de manière si évidente, si crue et sans complaisance l'état de la société. Bouleversant.
 
Olivier

 
 
 
 

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