Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Kan chen ren de qi yue (Un père à Pékin)


Chine / 2004

22.02.06
 



MON PERE, CET ANTIHEROS





"Tu ne m'avais pas dit que vous aviez divorcé ?"

An Zhanjun est à l'aise avec l'exercice du portrait. Il lui suffit de quelques plans pour poser ses personnages de manière sensible : le père débonnaire et altruiste, la petite amie volontaire, le fils rêveur. La fragilité des liens qui les unissent est perceptible dès la première scène : chez le photographe, Du Hongjun et Song font prendre par avance leur portrait de mariés. L'homme leur demande de prendre des poses compliquées et n'en finit plus d'ajuster un mouvement de bras ou de buste. La réaction de chacun est révélatrice de son tempérament et des actes qu'il commettra pendant le film : Du Hongjun s'exécute, tout à son bonheur. Song s'énerve, gênée. Xiaoyu, lui, les observe en silence, la mine renfrognée et les bras ballants.

La situation est classique, et la première partie du film la décrit assez sereinement. En marge du remariage programmé, il y a la routine - familiale, scolaire, professionnelle - qui donne lieu à de petites scènes légères et cocasses. Xiaoyu livre des fleurs à une femme en la présence de son mari, Song et Du Hongjun sont condamnés à l'abstinence sexuelle pour cause de lit qui grince, Du Hongjun s'endort sur le manuel de fleuriste qu'il lit pour faire plaisir à Song…

Pour autant, d'emblée, tout n'est pas rose. An Zhanjun distille pudiquement les indices d'une vie matériellement dure. On découvre au détour d’une scène le dénuement du logement de Du Hongjun, puis son travail usant. Plus tard, c’est Xiaoyu qui a de grosses difficultés scolaires et se trouve rejeté à cause de ses origines modestes. Pourtant, cette réalité sociale est tellement occultée par la bonne humeur du père qu'elle semble secondaire, anecdotique.

Un seul événement suffit toutefois à renverser cette impression. La sortie de prison de Liu San, le mari de Song, est au premier abord présentée sous un jour burlesque. Un peu comme un mari sorti du placard, il réapparaît dans la vie des deux amoureux alors que ceux-ci viennent juste de recevoir leurs nouveaux meubles (dont un lit parfaitement silencieux). Là s'arrête le vaudeville. Liu San est un homme violent, méchant, mauvais, qui commence par casser la vitrine de la boutique de Song avant de menacer son rival puis de frapper la jeune femme. Fini de rire, la suite du film ne sera que déconvenue sur déconvenue pour Du Hongjun qui perd tour à tour tout ce qui donnait du sens à sa vie. Cette descente aux enfers est rapide et implacable, les incidents (le vol des meubles, le départ de Song, l'arrestation de Xiaoyu, son licenciement …) se succédant à une vitesse terrible.

Chemin de croix sacrificiel et misérabiliste
Seule et unique cause de tous ces malheurs : Liu San , figure diabolique du salaud que rien n'arrête et qui fait le mal par plaisir. Du Hongjun, lui, est son antithèse quasi christique : non-violent, conciliant, généreux. L'homme bon dans toute sa splendeur qui tend l'autre joue lorsqu'on le gifle. Le mal que Liu San lui fait ne l'atteint pas et il le supporte en silence. C'est à peine si, à l'écran, cela se traduit par un affaissement des épaules, une lourdeur dans la démarche. Fan Wai est absolument formidable de détresse muette et de dignité bafouée. Lorsque vient le moment du sacrifice (car s'il accepte qu'on s'en prenne à lui, Du Hongjun est prêt à tout pour protéger son fils), il n'est plus que douleur. Le réalisateur ne s'y trompe pas, qui multiplie les plans rapprochés sur le visage impassible de l'acteur, dont seuls les yeux semblent encore vivants. Performance tout en nuances et en intériorité.

Et, quelque part, Fan Wai a du mérite à rester aussi sobre, car le scénario ne lui épargne pas grand chose. Du conte de fées moderne du début, on tombe dans un chemin de croix sacrificiel et misérabiliste. Tant d'injustices s'acharnant sur le même homme (la moitié de ces catastrophes auraient suffi à mettre à terre n'importe qui) s'avèrent difficilement soutenables.

An Zhanjun donne sans retenue dans le mélo flamboyant, faisant de la vie de ses personnages un fragile château de carte susceptible de s'écrouler en un instant, sans que personne - ni amante, ni collègues, ni même famille ou justice – ne puisse (n'essaye ?) y faire quoi que ce soit. Le trait est gros, l'émotion un peu forcée, la caricature n'est pas loin. Indéniablement, le destin tragique de Du Hongjun est écrit sur mesure pour arracher des flots de larmes aux spectateurs et, comme si cela ne suffisait pas, une musique grandiloquente vient ponctuer les moments les plus pathétiques. Ces artifices grossiers ne parviennent pas à gommer l'humanité des personnages, mais ils entament dommageablement le capital sympathie du film.
 
MpM

 
 
 
 

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