Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Le pressentiment


France / 2005

04.10.2006
 



DANS LA PEAU DE CHARLES BENESTEAU





"Vous vous trompez, Monsieur, je suis un locataire comme tout le monde."

Il y a des plans qui ne trompent pas : le premier du film, un cadre serré sur le visage sévère d’un homme barbu en costume strict, présage d’une longue introspection sur les mœurs édifiantes d’un bourgeois contemporain décidé à changer de vie. A vue de nez : rébarbatif, lent et ennuyeux. Sauf que cette plongée dans la tête de Charles Benesteau, avocat de la haute bourgeoisie qui a tout quitté pour vivre anonyme dans un quartier populaire, est un leurre. Parce qu’en vérité, bien malin celui qui se targue de connaître les pensées de cet homme. Ses actes, et surtout ses sentiments, nous restent le plus souvent opaques. Même la voix-off, censée dévoiler son intériorité, se garde d’y apporter un éclairage trop cru. Au final, Benesteau nous semble changeant, trouble, secret. Un individu besogneux qui avance dans la vie comme dans un rêve. Seul dans sa bulle, tentant par tous les moyens d'atteindre ses semblables mais incapable au final de les toucher. Peu de gens parviennent alors à le percer à jour et à voir en lui l'homme qu'il est réellement… ou celui qu'il aimerait être.

Darroussin livre des clefs, tout de même, en révélant certaines pensées en apparence anodines du héros ("ce n’est pas si désagréable de se faire arnaquer" pense-t-il lorsqu’un voisin lui extorque de l’argent) qui dévoilent la lucidité dont il fait preuve envers lui-même. Il n’est dupe ni de son apparente bonne volonté ("qui donne l'illusion dangereuse d'être le bien lui-même", observe-t-il) ni de sa générosité sèche et étriquée. Se rendant compte qu’il ne donne rien de lui-même, si ce n’est des éléments matériels (un toit, de l’argent, de la nourriture), il rectifie le tir. Peu à peu, sa sollicitude se mue en réelle générosité de l'âme, plus profonde.

Mais en donnant un aspect brouillé et irréel à la dernière partie du film, le réalisateur introduit le doute et le trouble. Quelle est la part de fantasme dans les mésaventures du personnage ? Quelles séquences sont au contraire réelles ? Sabrina et sa mère existent-elles vraiment ? Parviennent-elles effectivement à voir Benesteau tel qu'il est ou s'illusionne-t-il sur leurs capacités à le comprendre ? Et au fond, y a-t-il quelque chose à comprendre, ou cette bonté débordante n’est-elle, elle aussi, qu’illusion ?

Cette sensation de flou, de fantasmagorie, est renforcée par Charles Benesteau lui-même. Avec son visage, sa silhouette et même ses manières dignes de la IIIe République, il semble perpétuellement transplanté, décalé, d’un autre âge. On pourrait croire ici à une maladresse d’adaptation, un manque de cohérence du scénario, qui transporte le personnage original presque tel quel dans un décor du XXIe siècle. Mais cet aspect suranné, légèrement désuet, sert incontestablement le film. Dès le départ, par sa simple apparence, Charles Benesteau tranche sur le reste du monde. Et à défaut d’être "de son temps", il s’avère parfaitement ancré dans son environnement géographique. On le suit à plusieurs reprises dans les rues ou dans les stations de métro parisiennes. Dans ces séquences, la ville est grouillante et animée, contrastant efficacement avec l'impassibilité de Benesteau. Le symbole est transparent d’un homme qui cherche sa place dans le monde et veut juste qu'on lui fiche la paix.

Jusque-là, rien que de très classique. Avec son rythme lent, sa mise en scène conventionnelle et son intrigue décousue, Le pressentiment s’inscrit dans la droite ligne des adaptations sages et académiques de romans passés de mode. Ca et là, toutefois, des étincelles de vie viennent relancer le récit, notamment lorsque Jean-Pierre Darroussin insuffle du suspense, de la tension, quasiment du mystère, au milieu de séquences anodines. Dans ces trop rares moments, il dépoussière avec brio une œuvre massive et purement cérébrale, y introduisant avec bonheur un peu de chair, de tendresse, presque d'émotion.
 
MpM

 
 
 
 

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