Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Les soeurs de Gion (Gion No Shimai)


Japon / 1936

19.03.2008
 



LES FLEURS DE GION





« - Je suis une geisha. Si je ne disais que la vérité, je ne pourrais pas travailler. »

Ce qu’il y a peut-être de plus fascinant chez les personnages de Mizoguchi, c’est la façon dont ils sont des thèses et à quel point, dans un mouvement inverse, ils y échappent complètement pour atteindre une humanité inédite. Regardez Omocha, la cadette manipulatrice des Sœurs de Gion. Le récit la révèle par strates successives qui sont autant de masques qu’on lui ôte – qu’on lui arrache.

Omocha, la guerrière
Filmée devant son miroir, Omocha se maquille et se coiffe comme d’autres prennent les armes et passent un casque. Ce faisant, elle crie à sa sœur sa haine de leur condition – être l’esclave des hommes. À l’interprète d’Omocha, la grande Isuzu Yamada, Mizoguchi donnera d’ailleurs quelques années plus tard, le rôle de la guerrière de L’Epée de Bijomaru (1945). Mais l’arme d’Omocha n’est pas l’épée, ni même son corps parfait de geisha, c’est le langage ; d’où la douceur apparente de cadres lointains montrant Omocha assise face à ses interlocuteurs. Entre deux tentures, Omocha minaude, le sourire aux lèvres. Au cœur de ces plans larges, se joue pourtant une autre réalité : Mizoguchi scrute la prison que la société a si joliment construite aux femmes. Alors Omocha se bat. Elle séduit un commis pour qu’il lui donne un kimono – Umekichi, sa sœur aînée, pourra ainsi participer à la parade. Elle raccompagne chez lui un riche homme d’affaires ivre et le convainc qu’il pourrait devenir le protecteur de sa sœur. Puis, pour son propre compte cette fois, elle demande au patron du commis amoureux de devenir son protecteur. La mise en scène de Mizoguchi est d’une théâtralité et d’une limpidité remarquables. Omocha face au patron lui dit qu’elle n’aime pas le commis. Puis, Omocha se lève, change d’espace telle une actrice qui change de rôle, tourne le dos, attend que le patron vienne la rejoindre. Enfin, sur cette nouvelle scène, elle se fait serpentine tandis qu’il se laisse prendre au piège : la caméra s’approche des visages comme pour montrer l’emprise de la geisha. La toile de la machiavélique Omocha se referme.

Omocha, la victime
Peindre ce personnage apparemment négatif n’aurait pas d’intérêt sans une dialectique qui ne tarde pas, tel un couperet, à tomber. On pourrait croire en effet, dans un effort de naïveté, qu’Omocha représente la femme avide alors qu’Umekichi serait la geisha amoureuse. Les deux sœurs sont d’abord dans un jeu d’opposition frontal. Face à face, elles se parlent comme devant un miroir. Puis Omocha se prépare au premier plan tandis qu’au fond, telle une ombre – ses vêtements sont sombres, ceux d’Omocha sont immaculés – Umekichi est assise, résignée. Plus tard, au moment de la – brève – victoire d’Omocha, les costumes sont inversés : toujours au premier plan, Omocha jubile, vêtue de noir. Mais les pions qu’Omocha a mis en place s’écroulent un à un. La cruauté de Mizoguchi – qui ne veut rien tant que rendre celle du réel – est d’inverser les scènes de la conquête. Pour chaque coup donné, Omocha en prendra le double. Les hommes ne lui pardonneront pas d’avoir voulu jouer dans leur cour. Séductrice et dominante dans le taxi au début, Omocha devient donc prisonnière à l’arrière de la voiture : sa seule liberté est celle de sauter. Femme d’action, elle est blessée, transportée dans un lit. Et même sa perruque d’apparat se transforme en bandage qui enserre son visage – symbole final d’un asservissement total.

Si tous les films de Mizoguchi sont des variations autour d’une même révolte, Les Sœurs de Gion porte en étendard sa perfection formelle et une cruauté poussée à son paroxysme. Sa concision – le film fait à peine plus d’un heure – en fait un conte particulièrement tranchant. Il faut se souvenir du premier plan du film : l’histoire des sœurs de Gion commence sans elles… Un travelling latéral traverse une maison en train d’être vendue, meuble après meuble. Des mains d’hommes se lèvent en sens inverse du travelling comme une violence faite à l’image. On passe alors une porte pour s’arrêter dans une pièce reculée – un homme ruiné est assis. Une femme apparaît enfin, la sienne. C’est à elle qu’appartenait l’argent. Elle se plaint et on la comprend – l’homme a notamment dépensé l’argent en geishas. Mais cette femme, qu’on ne reverra plus, s’agite, un enfant dans les bras, marche au fond du cadre, derrière une autre porte. En une scène, Mizoguchi montre comment la femme est délaissée au fond du plan – et de la maison. Avant même l’apparition de l’héroïne, ses tentatives sont donc déjà condamnées, repoussées dans les tréfonds d’un impossible récit. Quant à l’amour, cette douce illusion, et c’est peut-être le plus moderne des aspects d’un film qui l’est tout entier, il est voué à devenir haine – le commis vengeur – ou à être lâchement oublié – le marchand ruiné qui se fait entretenir par Umekichi la quitte quand sa femme a de nouveau de l’argent. Non, décidément, il n’y a aucune place pour le sentiment dans un monde dominé par l’argent.
 
Martin

 
 
 
 

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