Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Deux jours à tuer


France / 2008

30.04.2008
 



« ARRÊTE DE M’AIMER » SI TU PEUX





«- On lui a retiré le permis.
- Pourquoi ?
- Il avait trop bu.
- En même temps il est excusé en vivant avec ta mère.
»

Jean Becker change de décor, de genre, de famille même. Enfin presque. Car cette histoire noire et cruelle va quand même retrouver le chemin des sentiers battus : un décor bucolique, une œuvre sentimentale, un vieux loup de mer amateur de pêche. Mais reconnaissons qu’on n’avait pas aimé à ce point un film de Becker depuis Elisa, et surtout L’été meurtrier avec lequel il flirte par intermittence.
Malin comme un singe, il nous livre deux films que l’on peut aimer distinctement. Malheureusement, la transition de la chronique très critique du monde contemporain vers la fable presque nostalgique sur la quête des racines n’est pas assez habile pour nous emporter. On devine même le « twist » final qui va nous faire aimer le personnage détestable. Décidément, après Claudel et Rouve, on se dit que le cinéma français a du mal à filmer des monstres.
Porté par un Dupontel majestueux, c'est-à-dire aussi ignoble que touchant, délirant à ravir sur un monologue à la Cyrano, mais substituant le yoghurt au nez, Deux jours à tuer suit l’itinéraire d’un enfant gâté qui a une (bonne ?) raison de casser tous ses jouets. La crise du quadra, les éclairs de lucidité à propos des bourgeois, il y a quelque chose d’American Beauty au début du film, qui séduit. Mais paradoxalement, si on peut se régaler du cynisme du personnage principal, une fois connue la fin, on s’interroge sur sa motivation. Avec ses questions sans réponses réelles autres qu’interprétatives, le film nous laissera sur notre faim, ne résolvant pas la plus grande énigme de notre monde moderne : nous pouvons nous confesser à de parfaits inconnus, virtuellement, et nous sommes incapables de communiquer avec nos proches. Pire, on le prend pour un malade mental, à force de tout juger sans comprendre, et tous passent à côté de la vérité, ne la cherchant pas. Ce film aurait pu brillamment aborder l’obscurantisme et la perte de valeurs humaines, il ne fait que les dénoncer assez facilement.
L’hypocrisie, les mensonges, l’égoïsme, les névroses nous rongent et finalement nous abiment. Becker, grand conteur, parvient presque à nous séduire avec ces défauts. Grâce à une astuce d’un dialogue, au début du film, ce fameux malentendu qui entraîne la réaction en chaîne, il captive le spectateur jusqu’au bout : « Tu te trompes. – Tu me trompes. » Tout l’effet final réside dans ces deux petites phrases échangées par les deux époux.
A la manière d’un extravagant Monsieur Deeds, Dupontel, blasé et mordant, joue les miroirs pour des congénères dont leur image s’est déformée avec le temps et les compromissions. Becker règle ainsi ses comptes avec les soixante-huitards qui se sont fait dictés leur action par le fric en oubliant la pensée. « Dis-nous ce qui ne va pas au lieu d’agresser tout le monde » dit un ami. Mais justement ce qui ne va pas c’est l’agression de ce monde où chacun se complaît. On comprend ainsi pourquoi Becker a tant filmé la quiétude provinciale, la désuétude atemporelle des petits plaisirs, la valeur des relations amicales.
Entre (auto)destruction et dépression, il s’amuse, caméra à l’épaule, à bousculer nos préjugés sur son cinéma. Le carnage de l’anniversaire, assez réussi, loin d’un Haneke, d’un Mingu ou d’un Vinterberg, s’avère quand même jouissif.
Cependant, en n’assumant pas jusqu’à son paroxysme l’horreur de cette solitude urbaine et des maux qui la fragilisent, en laissant Dupontel en roue libre parfois, face à des seconds rôles aussi désemparés que transparents, il ne permet pas à cette première partie d’exister, de se donner la consistance nécessaire pour nous marquer durablement. Et c’est bien la seconde partie, huis-clos au grand air irlandais, où s’affrontent le père et le fils, le vieux schnock bourru et le « malade » perdu, qui redonnent du lustre à la mise en scène de Becker, beaucoup plus à l’aise les pieds dans une rivière ou les mains dans un atelier qu’au milieu de bureaux de bétons et de pavillons de banlieue.
A l’instar d’un livre de Marc Levy, il fait l’éloge du carpe diem (« J’ai oublié de vivre »), tout en survolant l’inégalité sociale, la précarité, le stress. L’Irlande ensoleillée accueille un film devenu naturaliste et humaniste. Plus personne ne crie vraiment, trop occuper à panser les blessures de l’âme et sécher les larmes.
De manière flagrante, le cinéaste aime filmer ces hommes qui retrouvent leurs racines, thème majeur du cinéma populaire depuis trente ans, et communient avec la nature. Mais cela n’explique toujours pas pourquoi le personnage principal a préféré se fâcher avec tout son entourage, et ainsi couper les ponts, alors qu’il aurait pu au contraire se réconcilier. Ce ne sera jamais expliqué. Ultime cruauté ?
Becker voulait remuer nos certitudes mais il y ajoute la confusion. La provocation semble alors inutile et rend bancal l’ensemble de l’œuvre, trop inégale dans ses excès. On assiste ainsi à la rédemption du père, en laissant en plan la frustration de l’épouse. C’est le problème chez le réalisateur : depuis Adjani et Paradis, il n’a jamais trouvé le sujet charismatique où une comédienne aurait pu s’émanciper. A filmer trop la masculinité, il perd les qualités de con cinéma, sensible et ondulant. Sans être exceptionnel, Deux jours à tuer reste le meilleur film de Becker depuis 15 ans.
 
vincy

 
 
 
 

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