Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Incendies


Canada / 2010

12.01.2011
 



COMMENT ON A TUÉ NOTRE MÈRE

Le livre Bye Bye Bahia



«- L’enfance est un couteau plongé dans la gorge. On ne le retire pas facilement. »

Avec un titre pareil, Incendies, l’œuvre pouvait être carbonisée par son ambition comme elle pouvait nous enflammer. Incendies c’est une série de carnages dans la vie d’une femme (fille et mère) sous forme de flash back qui mènent à la « mère de tranquillité ». Denis Villeneuve livre d’ailleurs une oeuvre presque calme compte tenu des horreurs qui nous sont infligées. Le film est dramatique, flirtant avec la tragédie, jamais mélancolique. Il est aussi didactique dans le sens où il dicte notre regard : voyez comme cette souffrance est absurde dès ses racines. Un règlement de compte stupide qui va engranger une succession de ressentiments, de rancœurs, de haines, d’humiliations, de privations, d’horreurs. Les erreurs de l’Histoire qui conduiront à une vérité effroyable.

Il n’y aucune innocence dans Incendies. Le cinéaste est dans une quête : celle de l’apaisement. Il faut que la colère finisse de gronder pour que les enfants abandonnés retrouvent leur équilibre. En quelques plans, Villeneuve nous ensorcelle pour nous promettre une histoire inattendue. Les jumeaux ont le regard dur. Le notaire est paternel. La mère est morte. Cela débute par un testament mais ce n’est que le commencement. Trop de secrets ne peuvent être enfouis du vivant sans être enterrés à la va vite.

Tout sur notre mère

Il faut donc raconter deux récits. Celui de la mère, qui s’étale des années 70 à nos jours, et celui des enfants. Un pays du Proche-Orient en guerre et des jumeaux issus de l’immigration au Canada. Un arbre peut prendre feu, mais les racines peuvent survivre. En procédant à une enquête, le scénario fait le pont entre l’histoire familiale et l’histoire du pays d’origine. L’ensemble est découpé par chapitres, annoncés avec de grosses lettres rouges envahissant l’écran, dramatisant ce qui va survenir.

Or il n’y aura aucun choc. Le film fonctionne plutôt par petites secousses. La spirale infernale dans laquelle la mère va être entrainée est ponctuée par le présent beaucoup plus calme. La dureté du passé est atténuée par la lenteur de l’investigation. Villeneuve a voulu un film sinueux. Il l’est en tout point. Dans ces virages qui épousent les paysages montagnards, dans ces dédales urbains. Sinueux aussi dans les sentiments puisque chaque personnage va évoluer doucement au fil de révélations ou d’actes déterminés ou subis. Et sinueux enfin parce que la quête de la mère avance à petits pas, se heurtent aux murs des déflagrations et aux murmures des survivants, à tous ceux qui refusent de parler alors que toute cette odyssée est là pour libérer la parole.
Chaque étape de ce parcours fait voyager géographiquement, nous renvoie dans les méandres de l’Histoire, mais ne parvient pas à faire éclater la vérité, qui est, finalement, la composition d’un puzzle complexe. Ce puzzle est une image fusionnée : il y avait deux lettres au départ, deux personnes à trouver. Cela ne peut être que monstrueux quand on juxtapose deux images antagonistes. Villeneuve aurait pu "suraccentuer" la catharsis, il préfère la filmer humblement, sans effets, de manière si épurée que l’on comprend les sentiments des jumeaux, affligés mais pas effondrés, apaisés mais hantés, lucides mais bouleversés.

1+1=1

En déterrant ces racines, les bourgeons peuvent désormais éclore. La jumelle (Mélissa Désormaux-Poulin, excellente et subtile) est une mathématicienne, cartésienne paumée dans ce pays qui lui est si étranger. Elle était encore la fille d’une mère dont elle ignorait tout quand, à la mort de celle-ci, elle doit affronter l’âge adulte. Or, cette nouvelle phase de sa vie n’est qu’une succession de problèmes insolubles, à la complexité puissante. « On ne commence jamais par la variable inconnue de l’équation».

Film intelligent, œuvre puissante, réalisation la plus authentique possible, Incendies lisse ainsi ses défauts (le vieillissement de la merveilleuse Lubna Azabal, la mécanique des allers-retours dans le temps) par une construction implacable qui saisira même les plus blasés, un sens du cadre et de la perspective qui séduira les plus gronchons. La cruauté qui embrase le film (la séquence du bus brûlé est saisissante) est à peine embellie par la beauté du message. Quand on lui assène que « Parfois, il ne faut mieux pas tout savoir. » la jeune fille lui répond que « de toute façon je vis avec ». La haine en héritage ? C’est épique, émouvant, transportant. La beauté et la laideur ne font plus qu’un, à l’instar de cette image réaliste qui pourtant laisse des traces dans nos mémoires. Incendies est comme un feu : magnifique à voir, mais dangereux pour qui s’en approche.
 
vincy

 
 
 
 

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