Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Les chiens errants (Jiao you)


/ 2013

12.03.2014
 



CORPS PATIENTS





"Quand finira le chagrin des sujets de l’Empire ?"

Depuis ses débuts, Tsai Ming-Liang rend au cinéma sa dimension d’art de / dans la durée. Chez lui, le temps est une dimension essentielle du récit : le temps que dure une action et celui que l’on prend à la regarder, sans accélération ni ralenti. Poussée à son paroxysme, cette notion de durée habite à nouveau Les chiens errants, et en fait une autre forme de film en trois dimensions : image, son et durée. D’un point de vue cinématographique, cela passe par de longs plans quasi fixes qui scrutent une réalité du récit : Hsiao Kang, le personnage principal, en train de brandir un panneau publicitaire sous une pluie battante, au milieu des voitures en mouvement. Un repas familial au-dessus d’une sortie de parking. Un homme comme perdu en lui-même dont on ne voit qu’une portion de visage, et dont on ne sait pas ce qui accapare le regard…

Le spectateur ressent la lenteur, voire la longueur de ces (non)-actions. Il peut s’ennuyer. Mais là est justement le propos du cinéaste : placer l’individu face à la réalité du temps qui s’égrène inlassablement et lui redonner à ressentir presque physiquement la durée de chaque chose. Manger. Se laver. Dormir. Travailler. Bien sûr, c’est une tâche fastidieuse que le réalisateur s’est fixée. Difficilement appréhendable par tout le monde. Voire insupportable pour certains.

Pourtant, en s’éloignant de toute narration au sens classique du terme, le film va vers un langage plus instinctif et plus sensoriel qui provoque des émotions plus fortes, car justement non verbales. On est bouleversé face à certains plans des Chiens errants et sans doute est-on bien en peine d’expliquer pourquoi. Il y a bien sûr la précarité miséreuse dans laquelle évolue le personnage principal, ainsi que la vie marginale et désespérée qu’il impose à ses enfants. Mais on ne peut pas dire que Tsai Ming-Liang exploite ce contexte social, tenu à distance par l’épure de sa mise en scène et l’aridité de son scénario. Non, si l’émotion surgit, elle n’est pas artificielle, provoquée par la vision d’enfants pauvres vivants dans des taudis, mais plus profonde, plus intérieure, induite par l’humanité qui est la leur et qui fait écho à la nôtre.

Deux séquences se démarquent ainsi du reste du récit. La première montre Hsiao Kang (incarné dans la moindre fibre de son corps par l’exceptionnel Lee Kang-sheng, acteur fétiche de Tsai Ming-Liang depuis vingt ans), découvrant le lit familial vide après le départ de ses enfants. Seul un chou, grimé en poupée par sa fille, demeure sous les couvertures. L’homme commence alors à l’étouffer sous un oreiller, puis l’embrasse goulument avant de le dévorer, jusqu’à l’écœurement. Les larmes qui coulent sur son visage n’ont pas besoin d’être expliquées : ce sont les mêmes que celles qui coulent sur le visage du spectateur.

L’autre séquence montre un homme et une femme, debout l’un derrière l’autre, et plongés dans la contemplation de quelque chose que l’on ne voit pas. Une scène qui dure 14 minutes et qu’il est tout simplement impossible de raconter. On assiste, médusé, à une séquence de cinéma pur s’affranchissant de toute notion de narration, d’intrigue ou même d’action. Mais ce qui se passe sur le visage et dans le corps des deux personnages, durant ces 14 minutes à l’intensité édifiante, crée une relation forte, intime et indélébile entre le spectateur et le cinéaste qui a choisi de la lui montrer. Comme un cadeau inestimable d’être humain à être humain, dépouillé de toute convention et de tout artifice.

Peu importe, alors, que l’on ait le sentiment de "ne pas avoir compris" l’histoire racontée par le film. Tsai Ming-Liang ne cache pas son désir de faire du cinéma un espace d’interprétation qui renvoie le spectateur à lui-même, et doit pour cela lui tendre un miroir exigeant et complexe. Cela fait certes des Chiens errants une œuvre radicale et âpre, d’apparence élitiste, mais en réalité accessible à tous ceux qui ont le désir de s’y plonger. Car s’il n’est jamais facile d’entrer en soi-même, chacun a les capacités en lui pour tenter l’expérience.
 
MpM

 
 
 
 

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