Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Coming Apart


USA / 1969

14.07.04
 



SEXE, MENSONGES... ET MEGALO





« Tu fais aux femmes ce que les castratrices font aux hommes ! Mais les femmes on les castre pas ! On les stérilise ! »

Tests son. L’image apparaît. Voilà Joe, en gros plan, un homme sous influences occupé à régler sa caméra. Seul, affrontant l’objectif pour la première fois, il confie ses peurs. Décor : un divan ; derrière, deux fauteuils, un miroir, plusieurs sculptures et autres objets d’arts. En arrière plan : New York et ses buildings cadrés aux travers de la baie vitrée panoramique. Bienvenue chez Joe ! Introduction à son psycho trip analytique. Droit, sincère, curieux ? Investigateur ? Exhibitionniste ? Qu’est-il vraiment ? Sa volonté d’absolu crève l’écran. Au spectateur-inquisiteur de découvrir. D’où vient Joe ? Où va-t-il ? Que cherche-t-il ? Lui-même se le demande. Seul le « ici et maintenant » capté par sa caméra pourront y répondre. Mais, dans son mal être, Joe semble avoir éclipsé un point essentiel : son dispositif fait de lui un comédien, un metteur en scène de sa propre personne. Dès lors, quelles vérités pourraient bien en sortir ? Sa vie sexuelle révèlera son instabilité ; son impossible satisfaction le conduira à la déchéance. Ses partenaires féminines le renverront à ses propres incapacités. Sa caméra, par-là même devenu une obsession, immortalisera sa dégénérescence. Réactions en chaînes : Joe, lui-même, marquera au fer rouge sa propre destruction, incapable de mettre terme à cet examen filmé. Une spirale façon Videodrome… De dissections intimes en révélations psychotiques, Coming Apart est un film bouillonnant d’une originalité stupéfiante. Un dialogue en huis clos entre personnage, spectateur et cinéma (la caméra protagoniste), matérialisé à chaque niveau de conception. Un voyage intérieur tant organique que psychologique, évidemment indissociable des dimensions autobiographiques du projet. Au résultat, il apparaît clairement que Milton Moses Ginsberg s’est auto-décortiqué. Auto-mutilé, même. Il lui a sans doute fallu un brin de masochisme pour réaliser ce film. Mais surtout quantité d’efforts, d’énergie, de réflexions humaines et explorations cinématographiques. Résultats : de la première image au générique final, le scénariste-réalisateur nous laisse béats.
Entre cinéma expérimental, fresque pop art, chronique underground psychosociologique et auto-pamphlet, Coming Apart est, en tous points, hors du commun. 1h51 de prises de vue sous un angle quasi-unique : redondances hyper cadencées, contrepoints inattendus, temporalité volubile, … Visuellement parlant, et contre toute attente, Coming Apart ne possède pas une once de statisme. Bien au contraire : l’image est totalement sur-active. Invariable, elle est génératrice de reliefs esthétiques, scénaristiques, narratifs, et devient très vite la fenêtre - l’unique fenêtre - derrière laquelle le spectateur témoin (puis spectateur voyeur) est installé. Quoi de plus productif en matière de proximité et partage d’expérience ! Coming Apart dépasse les traditionnels effets de caméra subjective. Jeux champ/hors-champs, ambiances en décalages, du cocasse à l’érotisme, de la retenue à la débauche, dialogues et silence aiguisée, du repos à la cacophonie, rock psychédélique enivrant, références visuelles et sonores à la matière cinématographique même (chutes de pellicules, bruits de camera), crescendos émotionnels, situations proliférantes, conjonctures toniques : Coming Apart est un surprenant patchwork où chaque élément fourmille et profite activement à l’ensemble. Efficacité et entrain du spectateur garanti !
Notre ami Joe suit la cadence. Confidences en regards caméra, pauses d’enregistrement induisant le montage du film, tests et réglages de sa machine : Milton Moses Ginsberg remporte haut la main le défi qu’il s’était lancé : dès les premières séquences, la caméra s’impose tel un arbitre entre personnage et spectateur. Tel un protagoniste à part entière, activant en permanence l’intrigue, les actes, ressentis et conversions de Joe puis, ainsi même, les réactions de ses partenaires. Membres actives du harem : sa maîtresse officielle exacerbée, une romantique trop fleur bleue, une nympho masochiste, une jeune maman allumeuse, une patiente paumée, … Réprimandé, agacé, dépassé, remballée, harcelé, Joe cherche à en voir de toutes les couleurs, sa caméra cachée le confortant. Conversations sur la vie ordinaire, fantasmes, mensonges, manipulations, dérives, ébats amoureux, orgies : sa déchéance prend forme, d’abord en catimini puis concrètement, pour mieux exploser au dénouement. Joe s’égare, entre sa caméra, ses miroirs et son entourage reflet de sa personnalité. D’abord physiquement puis psychologiquement. Son comportement schizoïde lui fait perdre tous repères jusqu’à démasculinisation. Seul bémol : une mise en parallèle quelques peu maladroite avec l’homosexualité, ici définitivement collée au travestisme, stéréotypée, voire ridiculisée. Le sujet est à replacer dans son contexte, bien sur ; le film date de 1969. Revendication sympathisante ? Raillerie ? Difficile ici de cerner les intentions du réalisateur. Un peu dommage. Tout ce que l’on sait : Joe, lui-même, s’abuse, devenu prisonnier de son propre jeu. Alors on peut tout imaginer. Ses ambitions de départ étaient de s’analyser, se comprendre et ainsi recaler sa vie à l’endroit. Il cour tête baissée en direction opposée. Dissolution du temps, espace écrasé par les décors et angles de prises de vue, frustration matérialisée : Milton Moses Ginsberg met en abîme la psychose de son personnage de manière franche et organiquement palpable. Persuadé d’avoir tous les éléments en poche, le spectateur examine Joe avec assurance, convaincu qu’il connaît chaque détail de sa vie. Comment son film-vérité pourrait-il nous tromper ? Réponse au dénouement.
Tous les honneurs reviennent à Rip Torn. A son jeu, audacieux, volontaire, juste et prenant à chaque seconde. Mal être, amertume, faiblesse, provocation, engouement, crudité, déchéance : le comédien qui, rappelons-le à l’époque triomphait au théâtre, excelle dans chaque registre. Il revenait à Ginsberg de saisir toute cette richesse de style. C’est chose faite. Les influences artistiques, expériences et aspirations intimes du réalisateur ont fait le reste. Finalement, malgré ses lourdes tonalités, Coming Apart, aborde des choses plutôt usuelles, fumées et symptomatiques de nos sociétés contemporaines. Une certaine préfiguration des visées cinématographiques actuelles du réalisateur. Appartenance, reconnaissance affective, volonté d’affranchissement, maîtrise, dépassement de soi d’un point de vue physique comme moral, désirs et craintes en matière d’engagement : Milton Moses Ginsberg joue sur le réel, l’imaginaire, le conscient, l’inconscient. Bref, ces fameux lieux psychanalytiques toujours féconds en matière de novations artistiques. Images hybrides, réalisme psychologique brillamment édifié : forme et fond suscitent en permanence l’anticipation du spectateur. Placés en position de témoin véritablement actif, on ne peut qu’être stupéfait par cette chronique qui, de surcroît, nous propose un vrai discours sur la nature même du cinéma.
 
sabrina

 
 
 
 

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