Les Femmes et les enfants d’abord de Pierre Dugowson : fragments d’une société absurde

Les Femmes et les enfants d’abord de Pierre Dugowson : fragments d’une société absurde

Ce programme de courts-métrages de 50 minutes est comme un recueil de petites fables, un manifeste destiné à tous, un regard porté sur notre époque. Les sujets abordés pourraient être l’énième titre d’un JT mais deviennent, devant la caméra acérée de Pierre Dugowson, des discours humoristiques et militants. Dans une économie de moyens et d’acteurs, avec notamment Ophélia Kolb, Nicole Ferroni ou encore Théo Cholbi qui reviennent d’un court métrage à un autre, l’ensemble des films dessine une société absurde, inégalitaire et qui semble parfois au bord du gouffre, mais où il est possible de trouver de la poésie. 

Les Femmes et les enfants d’abord se présente à nous comme une collection de tableaux que nous pouvons considérer aussi bien individuellement que dans leur ensemble. Chacun des courts-métrages explore en effet un thème sociétal différent, Pierre Dugowson prenant plaisir à faire varier la forme du récit et l’esthétique du film. Mais lorsqu’on les découvre les uns à la suite des autres, la cohérence du programme est frappante, allant vers une surenchère quelque peu pessimiste mais toujours caustique. 

Les possibilités du langage

Emprunt d’une grande théâtralité, les scènes explorent les possibilités du langage. Dans Plastic Shoper, par exemple, l’étudiante et militante pour le climat Mona Grill déroule frontalement à la caméra, telle une influenceuse sur les réseaux sociaux, un inventaire des articles du supermarché : « plastique goût eau », « plastique recouvert de plastique », « plastique, plastique, plastique »… La sonorité du mot et le ton monotone de la jeune femme donnent un rythme saccadé au monologue qui finit par nous hypnotiser telles les pièces absurdes de Ionesco.

Ces saynètes ne sont pour autant pas du théâtre filmé car Pierre Dugowson travaille le médium cinématographique dans sa forme même. Le montage, le noir et blanc, la lumière sont autant d’outils qu’emploie le cinéaste pour se détacher d’une fonction purement utilitaire et militante de son pamphlet. Au contraire, grâce à la caméra, il produit des images fortes et poétiques qui résonnent avec les enjeux sociaux et écologiques actuels. Accompagnant l’émergence de nouveaux discours, il s’inscrit dans cette culture et élève les débats politiques à un rang artistique. 

Contraste et suspense

Comme le titre du programme l’indique, ces courts métrages laissent de la place aux femmes et aux enfants. Le regard insouciant de ces derniers sur le monde permet d’ailleurs de produire des situations à la fois tendres et humoristiques. D’une grande simplicité, l’action d’un film comme Dinosaure n’en demeure pas moins redoutablement efficace : une fillette gonfle un énorme ballon accompagné d’un bruitage de trombone grotesque. Un petit garçon la regarde faire, tenant dans sa main un clou. Avant même qu’il puisse s’élancer pour réduire à néant les efforts de la petite, la mère de cette dernière intervient et le sermonne dans un grand discours aux accents politiques. C’est par le contraste et le suspense que Pierre Dugowson nous happe, à l’image des formats courts et percutants des réseaux sociaux.

Sans identification, grandes émotions ni leçons de vie, ses films nous invitent à nous questionner sur l’absurdité de la société. En restant en dehors de l’action, le cinéaste nous rappelle notre position de spectateur passif, jusqu’à nous interpeller dans Stuck option ou pourquoi la redistribution des richesses n’aura pas lieu : « Attends, il y a quelqu’un qui nous regarde je crois ». Face au regard caméra, il est impossible de ne pas se sentir pris à partie, et de rester indifférent aux maux de notre époque.

Alice Dollon

Fiche technique
Les Femmes et les enfants d'abord de Pierre Dugowson (2014/2023)
55 minutes (10 courts-métrages)
Couleur et noir et blanc
Distribution : Malavida