Cannes 2025 | Avec Sound of falling, Mascha Schilinski ausculte le cycle des violences faites aux femmes

Cannes 2025 | Avec Sound of falling, Mascha Schilinski ausculte le cycle des violences faites aux femmes

Dès les premières séquence de Sound of falling, tout semble étouffant, empêché, quasi figé : format 4:3 qui resserre les plans autour des corps et des visages, scènes filmées à travers une serrure, personnages surcadrés et confinés dans des couloirs ou des embrasures de porte… Rien ne respire, rien ne s’épanouit. Les vivants payent tribu aux morts, bien conscients de déjà leur ressembler un peu.

La narration, elle, s’autorise une certaine confusion. Tout est flou : la temporalité, les liens entre les personnages, les situations. Le film nous met sur de fausses pistes (une femme unijambiste, une assemblée de fantômes) et s’amuse à nous perdre dans son dédale de récits gigognes et de monologues dont on ignore qui les prononce.  Majoritairement, ce sont des femmes, reliées entre elles par une maison du Nord de l’Allemagne qui traverse des décennies.

Quatre modestes héroïnes du début du XXe au début du XXIe, dont les destins sont, comme les corps, contraints et abîmés. Aux entraves créées par la mise en scène répondent en effet les entraves sociales. Celles-ci ne sont jamais nommées, mais il n’est pas difficile de les reconnaître : domination masculine, exploitation de classe, rigorisme patriarcal… qui se traduisent par des viols à répétition, une culture de l’inceste, un mal-être permanent lié au sentiment d’être une perpétuelle proie.

Jeux d’écho et associations d’idées

Un cycle de violences qui se répète, à peine réinventé, de génération en génération, venant uniformément teinter les différentes époques, jusqu’à ce qu’elle se confondent à l’écran. Cette porosité contribue à la sensation d’un cercle infini que rien ne semble pouvoir briser. D’autant que ces violences se transmettent de mère en fille, de femme en femme, et font peser sur les jeunes héroïnes de la période moderne un poids qu’elles ne parviennent pas à s’expliquer, et qui les conduit irrémédiablement à un mal-être insoutenable.

Mascha Schilinski travaille par bribes, par esquisses, et son récit peut avoir quelque chose d’opaque et de mystérieux, guidé par des jeux d’écho, des associations d’idées, des lignes poétiques diffuses et sensorielles qui imitent les méandres de la pensée. C’est notamment parce que la plupart des scènes sont prises en charge par le point de vue particulier de l’une des héroïnes, qui en livre une vision issue de sa pure subjectivité. Cela peut créer une certaine forme de distance salutaire, lorsque c’est la petite Alma qui raconte, sans les comprendre vraiment, les sévices que subit Trudi, la domestique – puis sa propre sœur. Cela apporte un éclairage déchirant quand c’est Angelika, la jeune fille de RDA, qui parle de sa mère et de ses traumatismes du passé – mais ne met jamais de mots sur ses propres douleurs. 

Si le film perd parfois le spectateur, c’est probablement pour cela, parce qu’il épouse les sinuosités de l’esprit et s’intéresse plus aux correspondances qu’à la logique narrative. Comme par un jeu de décalque et de superposition, la réalisatrice mêle avec virtuosité les temporalités et les personnages, formant un kaléidoscope d’histoires personnelles qui, par cet effet, en deviennent collectives. 

Le titre original, en allemand, est In Die Sonne schauen. Pas d’idée de chute ici (le titre anglais semblant étonnamment littéral et programmatique), mais un sentiment plus complexe. Littéralement, c’est regarder dans le soleil. Quelque chose d’à la fois merveilleusement beau et insoutenable. Comme peut parfois l’être la vie, si lumineuse lorsqu’on la considère dans les plus petits détails, et pouvant malgré tout occasionner des brûlures irrémédiables.

Fiche technique
The Sound of falling de Mascha Schilinski (2025)
Avec Luise Heyer, Lena Urzendowsky, Claudia Geisler-Bading, Lea Drinda, Hanna Heckt, Lucas Prisor, Laeni Geiseler... 2h29