Cannes 2025 | The Chronology of Water : portrait d’une jeune fille en feu par Kristen Stewart

Cannes 2025 | The Chronology of Water : portrait d’une jeune fille en feu par Kristen Stewart

Ayant grandi dans un environnement ravagé par la violence et l’alcool, la jeune Lidia peine à trouver sa voie. Elle parvient à fuir sa famille et entre à l’université, où elle trouve refuge dans la littérature. Peu à peu, les mots lui offrent une liberté inattendue…

Pour son premier long métrage, Kristen Stewart n’a pas choisi la facilité. Ni dans la forme, ni dans le fond. The Chronology of Water est même un film peu aimable, a priori. Mais au moins il ressemble à cette star hollywoodienne singulière, queer et curieuse.

Bien sûr, le film est trop long, souffre de nombreuses maladresses, et se noie dans son style impressionniste et sensoriel.

Mais c’est aussi, en partie, ce qui le rend touchant et même attachant. The Chronology of Water parvient à créer la sensation recherchée : un sentiment de malaise. Dans cette fuite éperdue vers une autodestruction programmée, la réalisatrice tente de traduire visuellement l’indicible et l’invisible. Soit la perte de repères d’une jeune fille, Lidia, son tempérament lunatique, voire instable. Comment l’emprise – ici celle d’un père violent, abusif, dénigrant, humiliant – traumatise? Comment naissent les névroses (et les blessures qui ne cicatrisent jamais)?

Stewart ne cherche pas le confort. Ce qu’elle a décidé de filmer c’est bien la maltraitance d’une fille, forcément bousillée, et ses conséquences sur son destin (avec les excès induits : sexe, alcool, drogue). Aussi n’hésite-t-elle pas à déranger.

« T’as même pas obtenu une bourse complète »

Le montage est parfois frénétique, la caméra mouvante. Les gros plans et le découpage hyperbolique nous font parfois suffoquer. Le récit oscille entre passé et présent, et ces allers-retours dans le temps ne sont jamais datés. Tout se confond : les mauvais souvenirs et les actes irrémédiables, les rares instants de bonheur et les échecs qui marquent. Elle appuie ce désordre cinématographique (qui correspond bien à celui de son héroïne) avec une variété d’images : super 8, cadre aux bords salis ou pas nets, micro séquences sur le vif, son amplifié, type asmr, détails zoomés, etc.

Woolf chez Sciamma

Tout accentue ce récit défragmenté, cette mise en scène exposée, à l’image du mental déséquilibré de la victime. Car, entre une mère absente, démissionnaire, et une sœur relativement épargnée par la tyrannie paternelle, Lidia encaisse tout, sans savoir que les coups la marqueront à jamais. Imogen Poots trouve ici un rôle puissant, s’abandonnant complètement à son personnage, malmené de bout en bout.

Il y a, heureusement, quelques respirations dans ce film où l’amour manque cruellement, étouffé par les conflits et la fureur. Face aux hommes violents et à la souffrance intime, Stewart oppose le corps féminin. Athlétique, sensuel et même érotique. La natation, à la fois respiration du film et rare moment d’évasion de Lidia, devient alors l’allégorie d’une quête de liberté et d’une reprise de contrôle du corps et du mental.

« Je t’aime. Tu n’es qu’une sale pute »

Mais cette liberté est fragile. Le diktat du poids, la toxicité des hommes agissent comme des obstacles à son émancipation et à son épanouissement. Comme des tâches de moisissures qui salissent son seul bonheur personnel. Il faut attendre l’épilogue pour saisir à quel point le mal est fait (par le mâle, de fait). Une réincarnation plutôt qu’une rédemption permettra de revenir à la surface de l’eau pour reprendre une bouffée d’air libératrice.

Reste que cet essai poétique et sombre, épousant les errances mentales d’une jeune femme détruite, est trop dramatisant pour nous faire aimer dans ce délire suffocant. Même les moments joyeux semblent tragiques. Il manque une distanciation, une légèreté. The Chronology of Water est ainsi « plombé » par son masochisme et sa noirceur. La répétition des scènes l’allongent souvent inutilement.

« Emmener la douleur quelque part »

De très bonnes intentions cinéphiles ne font pas un film. Poisseux, organique, le film se laisse dominer par son formalisme, souvent trop « m’as-tu-vu ». À trop forcer sur les sens, le récit est écrasé. À trop vouloir exposer les profondeurs et la complexité de Lidia, il en devient caricatural. Stewart semble mixer Naissance des pieuvres de Céline Sciamma et l’écriture de Virginia Woolf, ce flux de conscience dans lequel chaque pensée de l’orateur est racontée.

Et pourtant, malgré tout cela, on pressent une cinéaste convaincue par son talent comme par son sujet. Il y a quelque chose d’émouvant dans ce « female gaze », cette sororité avec son héroïne, entre colère et empathie; Toutes les forces créatrices sont mises au service de son actrice, formidable, de son histoire, délicate à manier. Et si on se laisser brûler par ce feu qui attise le désir de cinéma de Kristen Stewart, c’est sans aucun doute parce que The Chronology of Water transpire la sincérité de son autrice.

The Chronology of Water
Cannes 2025. Un certain regard.
2h08
En salles le 15 octobre 2025
Réalisation : Kristen Stewart
Scénario : Kristen Stewart et Andy Mingo, d'après le livre autobiographique de Lidia Yuknavitch
Image : Corey C. Waters
Musique : Paris Hurley
Distribution : Les films du Losange
Avec Imogen Poots, Thora Birch, Tom Sturridge, Kim Gordon, James Belushi