Cannes 2025 | Eddington : Ari Aster dissèque l’Amérique contemporaine dans une satire sociale plus potache que politique

Cannes 2025 | Eddington : Ari Aster dissèque l’Amérique contemporaine dans une satire sociale plus potache que politique

Enfant prodige du cinéma américain indépendant, Ari Aster n’aime rien tant qu’ausculter son époque, quitte à verser de la chaux vive directement sur les plaies ouvertes pour s’assurer que son message soit bien compris. Son quatrième long métrage ne fonctionne pas autrement, qui nous offre une satire sociale version XXL, double supplément marteau-piqueur. Le propos, observer l’Amérique contemporaine divisée entre complotistes de tout poil et militants teubés rongés par la culpabilité – quand ils ne font pas semblants de défendre une cause juste par intérêt personnel – appelait sans doute une certaine forme d’outrance et de manichéisme.

Généreux, le cinéaste double les doses, et emplit son récit de références tirées de l’actualité contemporaine, du combat des anti-masques durant le Covid aux manifestations à la mémoire de George Floyd en passant par les mouvements sectaires, la course effrénée au profit et le suprématisme blanc. Un monde qui est donc post et pré-Trump à la fois, peuplé de bouffons et de fantoches, d’hypocrites et d’opportunistes – et de gens qui vont mal de manière générale.

Ari Aster pose sa caméra dans une petite bourgade (fictive) du Nouveau-Mexique, Eddington, placée sous la double jurisprudence de l’état fédéral et du peuple natif qui en est originaire, ce qui permet d’innombrables « gags » sur l’antagonisme entre les représentants de l’ordre des deux camps. Il y ajoute une rivalité larvée entre le shérif et le maire, et des personnages secondaires qui ont tous leur propre agenda, et fait d’Eddington le parfait laboratoire d’expériences pour observer à la loupe la décomposition avancée de l’Amérique. Ici, il n’y a pas vraiment un personnage pour rattraper les autres, et le spectateur peut se préparer psychologiquement à passer 2 h 25 avec une belle brochettes de crétins décérébrés ou veules, quand ce n’est pas les deux à la fois.

Bonne conscience et hypocrisie

Pour présenter la plupart des protagonistes, Ari Aster recourt à des scènes (sur)dialoguées durant lesquelles les convictions de chacun sont abondamment verbalisées. Cette première partie du film est donc un (long) calvaire verbeux. Les discours anti-masques vous avaient manqué ? Le réalisateur vous aide à vous les remémorer.  Vous n’êtes pas au courant des derniers complots à la mode ? Le film propose une belle mise à jour des plus débiles. Et ainsi de suite, sur la majorité des grands sujets contemporains, convoqués les uns à la file des autres comme dans un catalogue de vente par correspondances. 

Parfois, tout de même, le réalisateur fait mouche, comme lorsqu’il se moque de la bonne conscience de la jeunesse bourgeoise blanche manifestant en mémoire de George Floyd tout en clamant qu’elle n’en a pas la légitimité. Ou lorsqu’il fustige l’hypocrisie d’une mère qui dénonce en permanance des « complots » imaginaires mais couvre un inceste sur sa propre fille. Le reste du temps, tout est si appuyé que c’en est épuisant. 

Heureusement, après un temps (qui peut paraître assez long), le film bascule dans un autre registre, et trouve un nouveau souffle. Le cinéma de genre est la partition préférée d’Ari Aster, et cela se sent. Tout à coup, libéré de son incessante logorrhée, le récit décolle pour tenter de raconter comment une situation peut basculer dans le chaos en un rien de temps, que cela soit au niveau individuel comme au niveau collectif. Le risque d’une perte de contrôle générale, filmée ici avec outrance et un ton grand-guignol probablement censés faire rire le spectateur, il ne faut surtout pas le sous-estimer, nous dit Ari Aster. Là, à l’échelle d’une ville. Demain, à l’échelle d’un pays (cette probabilité semble probablement moins fantaisiste qu’au moment de l’écriture du scénario,). Et bientôt, à l’échelle du monde.

Un film dépassé par l’actualité ?

Et pour enfoncer le clou (sans ménager le nombre de coups de marteau), le cinéaste développe dans son épilogue l’idée que quelles que soient les conséquences du chaos, certains y trouveront toujours l’occasion d’en tirer profit ; la violence, la peur et la haine étant les meilleurs combustibles pour alimenter le grand fourneau du capitalisme. De la même manière, le film ne laisse planer aucun doute sur le fait que, lorsqu’il s’agit de sauver leur peau, les plus cyniques n’ont aucun problème à s’associer ensemble au détriment du reste du monde.

La démonstration est évidemment juste – à défaut d’être révolutionnaire. Mais surtout, avait-elle besoin d’être si pompière ? Ari Aster veut évoquer tellement de sujets que cela craque de partout, à commencer par les nerfs du spectateur qui, à un certain point, ne comprend plus vraiment qui essaye de tuer qui, ou pourquoi. Et surtout, s’en fiche royalement. Sans doute y a-t-il par ailleurs une autre limite à la portée du film : il a été dépassé par l’actualité. Car ce que dénonce Ari Aster est presque devenu anecdotique face aux dangers, aux absurdités et aux horreurs qui ont émergé depuis le début de l’année 2025. Le cynisme affirmé du cinéaste tombe à plat, faisant office de blague potache à côté des événements récents. Un peu comme s’il nous mettait en garde contre une situation qui – aujourd’hui – nous semble presque appréciable en comparaison avec celle que nous voyons arriver. La différence, sans doute, entre la précédente ère Trump et celle qui s’annonce.

Fiche technique
Addington d'Ari Aster (2025)
Avec Joaquin Phoenix, Pedro Pascal, Emma Stone, Austin Butler, Luke Grimes... 2h25
Sortie française : 16 juillet 2025