
Au cœur de l’été 1987 à Tokyo, une fillette excentrique et sensible de 11 ans, Fuki, entre en contact avec le monde des adultes à travers ses journées avec son père, lequel se bat contre la maladie en phase terminale d’un cancer, et sa mère stressée, laquelle se prépare à la mort de son mari, alors qu’elle est surchargée de travail. Chacun d’eux recherche désespérément des interactions humaines.
Sélectionnée à la Cinéefondation en 2014 pour son court-métrage Niagara, mention spéciale à la Caméra d’or il y a trois ans pour Plan 75, Chie Hayakawa revient avec Renoir, son deuxième long métrage, et entre en compétition.
Renoir est un titre trompeur. Ici, il s’agit du coup de foudre d’une enfant pour le tableau du maître, « La petite Irène » (ou « La fille au ruban bleu »), dont le modèle Irène Cahen d’Anvers était âgée de 8 ans. Là s’arrêterait presque la référence au tableau réaliste-impressionniste si le film n’était pas lui même une œuvre alliant divers styles, du réalisme au fantastique, en passant par une dose d’onirisme.
Ici, il s’agit d’affronter la mort. Celle du père. Doit-on l’apprivoiser? La nier? La fantasmer? La subir? L’épouse tente de garder les pieds sur terre, tout en se laissant aller à une passade romantique avec un autre. Mais c’est la petite fille du couple qui est au centre du film.

L’été de Fuki n’a rien à voir avec celui de Kikujiro (de Takeshi Kitano, 1999). Fuki accepte plutôt bien la situation, en apparence. Si ce n’est que sa rédaction scolaire détaille un horrible fait divers, qu’elle se prend de passion pour la magie, la télépathie et l’hypnose, qu’elle écoute des annonces téléphoniques de gens seuls, au point de rencontrer un bel étudiant aux intentions troubles ou qu’elle s’amuse à être détecteuriste. La mort rode partout, à l’hôpital évidemment, mais aussi dans les actualités, dans son foyer et la jeune Fuki semble la conjurer de façon insouciante. Elle ne cherche qu’à assouvir sa curiosité pour le surnaturel ou à défier le sentiment de solitude avec des rencontres iconoclastes.
Fausses pistes
Chie Hayakawa peint ce tableau comme s’il s’agissait d’une œuvre pointilliste. Par petites touches. Difficile de distinguer ce qui est réel de ce qui ne l’est pas tant l’imaginaire de sa jeune protagoniste semble riche et ouvert. À l’instar du prologue, par exemple, véritable « trompe l’oeil » narratif. Mais la vue d’ensemble qui se dessine, avec pour perspective principale le déclin du père, est celle d’une enfant qui vit pleinement cet été pas comme les autres et qui a décidé de ne pas pleurer.

Ainsi, quand on lui demande ce qui l’a marquée durant cette période estivale, elle répond spontanément « le camps de vacances », où elle y a joué, chanté et dansé. Les funérailles paternelles, évènement crucial pour les adultes, passe en second plan. Elle se souviendra surtout de cet après midi avec lui, à se balader, manger une glace ou lui tenir la main. De l’odeur de ses affaires, de sa manière de se raser. C’est dans ces instants là que Renoir nous atteint le mieux.
« – Si tu revoyais ton père, tu lui dirais quoi? – Ça fait un bail ! »
La cinéaste livre ainsi une œuvre légèrement bancale, qui manque de basculer dans le vide. Si elle penche plutôt en faveur de la fille, la fiction n’oublie pas la mère. Car c’est bien là que réside le cœur du réacteur. La relation entre les deux femmes, qui vont devoir cohabiter sans la présence de l’homme, est l’enjeu principal. Et si on perd souvent cette ligne d’horizon, en arrière plan, c’est aussi parce que Chie Hayakawa se perd dans les nombreuses digressions et détours de son histoire. Certes, la réalisation est soignée et il y a de belles idées dans le scénario. Mais à mesure que le temps passe, tout semble de plus en plus opaque, et même abstrait.
Touchant et sensible, Renoir doit beaucoup à Fuki, attachante et singulière, prêt à faire les 400 coups. Malheureusement, le film s’empêche de nous bouleverser. La succession de moments plus ou moins anecdotiques ressemble davantage à une chronique ou un journal intime, sans réel fil conducteur et rempli de trop de détails. De tout cela, on regrette que l’émotion reste en surface. Rejetant tout élan mélodramatique, la réalisatrice a cherché une issue plus sobre, plus simple, en reconnectant entre elles la veuve et l’orpheline. Si la résilience les apaise, c’est bien le pouvoir thérapeutique de l’imagination qui les sauve de la douleur. Quitte à rêver d’une fête sur un yacht avec des influenceurs…
Renoir
Cannes 2025. Compétition.
Durée : 1h56
En salles : 17 septembre 2025
Réalisation et scénario : Chie Hayakawa
Photographie : Hideo Urata
Musique : Rémi Boubal
Distribution : Eurozoom
Avec Yui Suzuki, Lily Franky, Hikari Ishida, Ayumu Nakajima, Yumi Kawai, Bando Ryota