Cannes 2025 | La femme la plus riche du monde : Succession sur Seine

Cannes 2025 | La femme la plus riche du monde : Succession sur Seine

La femme la plus riche du monde : sa beauté, son intelligence, son pouvoir. Un écrivain photographe : son ambition, son insolence, sa folie. Le coup de foudre qui les emporte. Une héritière méfiante qui se bat pour être aimée. Un majordome aux aguets qui en sait plus qu’il ne dit. Des secrets de famille. Des donations astronomiques. Une guerre où tous les coups sont permis.

Thierry Klifa aime les vaudevilles familiaux, rocambolesques ou excentriques. La femme la plus riche du monde n’a pas la fantaisie de son précédent film, Les rois de la piste, mais le cinéaste a gardé cet esprit de légèreté qui contraste avec ses premiers films (d’Une vie à t’attendre en 2004 à Tout nous sépare en 2017).

Inspiré par l’affaire Bettencourt, scandale politico-financier franchouillard mêlant soupçons d’abus de faiblesse, de fraude fiscale et de financement illégal de partis politiques autour de la milliardaire Liliane Bettencourt, héritière de L’Oréal, cette « dramedy » ne brille pas forcément là où l’attend.

« Je fais ce que je veux de mon argent »

À prime abord, tout est séduisant et même élégant dans cet environnement feutré, entre hôtel particulier dans la très chic Neuilly et bureaux impersonnels d’une multinationale où l’on ne croise que les dirigeants. La musique d’Alex Beaupain, le casting cinq étoiles, quelques répliques cinglantes ou caustiques : le film savoure sa cruauté et ses quelques éclats.

Isabelle Huppert – qui n’a jamais été aussi Deneuvienne – rejoue avec Marina Foïs (elles étaient dans La syndicaliste) qui retrouve Laurent Lafitte (tous deux têtes d’affiche de la franchise Papa ou maman) qui renoue avec Huppert (un duo déjà malsain dans Elle). Le cinéma français est aussi incestueux que le microcosme des milliardaires parisiens.

« Assez de privation. Ton premier million! »

Ne boudons pas notre plaisir : Foïs est formidable en femme discrète et effacée, Lafitte parfait en homme provocateur, insolent, insupportable et méprisant (se complaisant avec délice dans ses outrances). Et mentionnons la très juste interprétation de Raphaël Personnaz, plus Delon que jamais, par qui le scandale arrive, et l’excellent choix d’André Marcoin dans le rôle du mari.

Une femme. Tellement riche qu’elle s’ennuie. « Une douleur chasse l’autre » dit-elle, lasse. Coincée dans ses conventions bourgeoises, Reine d’Angleterre de son empire de cosmétique (never explain, never complain), elle croise un artiste taquin et ambitieux. Il la bouscule et ça l’amuse. Mais tout cela réveille les rancœurs, et surtout, remet en cause le lien naturel de la filiation.

« – Je vais déverrouiller tout ce qu’il y a en vous. – C’est vous qui avez la clé. »

Le surgissement de cet élément étranger, toxique et narcissique, n’est pas sans conséquences dans une famille de la Haute Société, cete bourgeoisie qui vit comme l’aristocratie. Il y a le passé qui culpabilise et qu’on cache sous le tapis (la compromission sous Vichy, l’homosexualité refoulée de l’époux), l’insolente richesse financière qui fait des envieux (dont il faut se protéger), les bénéfices qu’il faut continuer d’encaisser, et enfin l’héritage, qui un jour, devra forcément être géré.

Le film glisse doucement d’une comédie de boulevard (assurément chic) vers un drame intime (un peu trop superficiel). Malheureusement, Klifa ne trouve jamais le bon tempo pour donner à son récit l’élan nécessaire qui nous ferait jubiler. La surdose d’ellipses empêche de comprendre le long déroulé des événements, qui se succèdent parfois trop vite et sans repères. Les années passent et les protagonistes ne semblent pas vieillir. Le scénario nous laisse un peu à l’écart de tout ce tohu-bohu. Il ronronne plus qu’il ne palpite.

« Si cet argent est sale, pourquoi l’acceptez-vous? »

On se raccroche donc à une autre branche. Ce n’est pas la dame bourgeoise qui s’encanaille avec l’artiste opportuniste qui nous attire mais la femme dépourvue d’amour maternel. C’est cette fille en souffrance affective qui nous intrigue. Elles divergent sur leur vision du monde et de l’argent. L’une est joueuse, et s’avère fantaisiste, l’autre est pragmatique, presque trop rationnelle. Elles ne conçoivent pas non plus leur rôle maternel de la même façon. C’est cette distinction entre l’indifférence et l’égoïsme de l’une et le manque d’amour de l’autre qui produit les meilleures scènes. Leur détestation mutuelle devient alors le déclencheur d’une belle tension dramatique.

« Qu’est-ce que tu veux que je te dise? Que je t’aime? Mais je ne sais pas si je t’aime »

Mais ne croyons pas qu’Huppert ne joue, une fois de plus, un monstre. Au contact de ce photographe détestable et charmeur, elle revit, elle s’émancipe tel un papillon sortant de sa chrysalide. Certes cet escroc la dupe. Mais elle y trouve une liberté au milieu d’une routine domestique (à défaut de réellement comprendre comment elle travaille et qui elle fréquente). Les origines et les enjeux de cette emprise exercée par un artiste médiocre sont limpides ; tout comme on devine l’influence d’une femme puissante (et un brin perverse) qui se soucie peu des sentiments de chacun.

Sa petite crise de la soixantaine ne nous fascine pas. Mais grâce à Huppert, qui la rend presque sympathique, ou en tout cas humaine, cette « pauvre petite fille riche » (pardon, fortunée) parvient à transcender une histoire qui manque d’aspérités. On est davantage touché par le portrait de sa fille écrasée par son héritage financier et généalogique. La rivalité entre les deux femmes s’avère être le seul terrain de jeu (et de je) qui rend ce récit plus universel. On peut même y voir du Phèdre.

« Elle peut t’avoir aux sentiments, sentiments qu’elle n’a pas. »

Bien plus que l’aspect sociologique, ou de ce rapport hors-sol que ces gens ont par rapport au quotidien et à la vie, c’est dans le rapport mère / fille, dominante / héritière que La femme la plus riche du monde trouve sa plus belle intention dramatique.

Dommage que le scénario ne pousse pas dans cette direction tragique. Pourtant les armes ne manquent pas. La guerre est ouvertement déclarée entre mère et fille et permet à Isabelle Huppert fait ce qu’elle sait le mieux jouer : du Isabelle Huppert, tragédienne piégée par son isolement et ses névroses. Increvable mais seule, Riche mais dépossédée.

« Si les femmes mariées n’ont pas d’amant, qui en a alors? »

Chabrolien dans l’âme, il manque malgré tout au film ce p’tit truc en plus qui le sort de sa zone de confort. Une banale escroquerie (quoique) et des motivations floues ne suffisent pas à nous passionner pour ce marivaudage un peu artificiel autour d’une caste endormie dans son formol.

On regrette alors que la critique sociale soit relativement inexistante et que le scandale serve plutôt de prétexte (mineur). Le film défaille sans doute parce qu’il n’ose pas trahir les faits réels tout en ne cherchant aucune autre vérité que celle de deux femmes aux désirs contrariés. Ni politique, ni critique, il n’impose pas plus une conclusion fictive, absurde ou fatale, qui aurait livré un point de vue plus personnel et un ton moins consensuel.

Reste le plaisir de voir cette troupe se régaler à interpréter ce soap-opéra people.

La femme la plus riche du monde
Cannes 2025. Hors-compétition
2h03
En salles le 29 octobre 2025
Réalisation : Thierry Klifa
Scénario : Cédric Anger, Jacques Fieschi et Thierry Klifa
Musique : Alex Beaupain
Image : Hichame Alaouié
Distribution : Haut et Court
Avec isabelle Huppert, laurent Lafitte, marina Foïs, Raphaël Personnaz, André Marcoin, Mathieu Demy, Micha Lescot, Anne Brochet, Joseph Olivennes...