
Probablement difficile de faire un sujet plus tarte à la crème que la Nouvelle vague, sur laquelle tout a été dit et redit. Cette époque de haute créativité du cinéma français a quelque chose de l’ordre de la mythologie, avec ses Dieux et ses Déesses, ses récits héroïques, ses adorateurs convaincus, et bien sûr ses exégèses. Godard, Truffaut et les autres sont devenus à leur tour des personnages de fiction, documentaires, thèses et autres études analytiques. Rencontrez des cinéphiles, et notamment des critiques du monde entier, dites leur que vous êtes français, et comptez combien de temps se passe avant que l’un des grands noms de la Nouvelle vague n’arrive sur le tapis. Spoiler : en général, c’est rapide.
Richard Linklater, pour sa part, ne se présente pas tout à fait dans cet état d’esprit. Chez lui, l’admiration – sans doute bien présente – ne donne pas lieu à un panégyrique à la gloire de Godard. Elle n’utilise pas non plus le prétexte de la comédie pour une sorte de règlement de compte tournant en ridicule le cinéaste, comme c’était le cas du Redoutable de Michel Hazanavicius. Animé par une démarche toute différente, il trouve la juste distance et nous immerge (avec délice) dans le milieu du jeune cinéma français des années 60, caractérisé par une légèreté et une énergie qu’il rend communicative.
Feel good movie

Godard, Truffaut, Belmondo… à l’écran, ils ne sont pas des stars figées par leur postérité à venir, mais des jeunes gens pleins de vie et de fougue, des passionnés qui croient en ce qu’ils font, mais exigent aussi de la vie qu’elle soit sans cesse surprenante et amusante. C’est cette énergie de la jeunesse, avec ce qu’elle comporte de provocation et d’arrogance, qui les pousse à inventer et expérimenter, quitte à faire n’importe quoi, du moment que personne ne l’ait jamais fait avant eux.
Richard Linklater livre ainsi un feel good movie désarmant, qui trouve le rythme idéal entre la chronique relâchée et la comédie frénétique. Le cinéaste nous a habitués à son sens aigu de la narration, aérienne et jamais conventionnelle. Ici, il utilise un procédé simple (le décompte des jours de tournage) qui lui permet de ne pas surscénariser outre mesure son récit. On a donc littéralement l’impression de virevolter d’une séquence à l’autre, en toute liberté, en osmose avec les personnages eux-mêmes, passant de la pure anecdote à des bribes de théorie du cinéma, de moments de tournage devenu iconiques à des blagues potaches assumées. C’est cette fluidité dans l’écriture qui permet à l’ensemble de tenir sans tomber dans le catalogue d’aphorismes ou le name dropping gratuit.
Esprit de bande

Le film propose d’ailleurs une incroyable galerie de personnages, croqués parfois en un ou deux plans, interprétés avec un naturel saisissant par une brochette de jeunes comédiens tous excellents, qui ne se laissent pas intimider par les célébrités qu’ils campent, et qui – chose assez rare dans le cinéma américain pour le préciser – jouent en français. À chaque fois qu’un nom s’affiche pour identifier qui apparaît à l’écran, comme c’est le cas dans le documentaire, il se passe quelque chose de quasiment magique : la sensation de voir tout un pan de l’histoire du cinéma se rejouer sous nos yeux.
Mais cette sensation va bien au-delà du fond du film. On sent que Richard Linklater tente d’appliquer au projet certaines des idées développées par ses personnages, notamment cette quête d’instantané et de hasard, cette exigence de pas de côté qui lui donne sa vivacité formelle, cette impression que le montage vient sans cesse dynamiser le récit, et le transcender. Tout au moins parvient-il à le faire croire, tel un illusionniste. Il capte ainsi quelque chose d’intangible, ce fameux art en construction que revendique Godard, mais aussi l’esprit de bande qui l’accompagne, et les visions créatives qui en jaillissent. C’est à cela, avant tout, que rend hommage le cinéaste. Et ce faisant, il ne salue pas juste la mémoire d’un homme ou d’une équipe, mais proclame son amour immodéré pour le cinéma, et s’inscrit dans la droite ligne de tous ceux qui, avant lui, avant la Nouvelle vague – et pour encore longtemps on l’espère – en ont fait le principal moteur de leur existence.
Fiche technique
Nouvelle vague de Richard Linklater (2025)
Avec Guillaume Marbeck, Zoey Deutch, Aubry Dullin...
Sortie française : 8 octobre 2025
Distribution : ARP sélection