Cannes 2025 | Trois question à Félix Dufour-Laperrière pour La Mort n’existe pas

Cannes 2025 | Trois question à Félix Dufour-Laperrière pour La Mort n’existe pas

La mort n’existe pas, le 4e long métrage du cinéaste québécois Félix Dufour-Laperrière, aborde frontalement la question de l’engagement politique, et plus spécifiquement du recours à la violence. Une question impossible, traitée avec beaucoup de subtilité et de justesse dans un film mental à la beauté saisissante qui suit une jeune fille, Hélène, alors qu’elle vient d’abandonner ses amis au cours d’une action armée.

Alors que le film venait d’être projeté pour la première fois à la Quinzaine des cinéastes, nous avons eu la chance de nous entretenir avec le cinéaste, fraîchement arrivé de Montréal. L’occasion de parler engagement, violence et animation.

EN : C’est un film que vous portez depuis longtemps. Comment a-t-il évolué au gré de l’actualité, au fur et à mesure qu’il devenait de plus en plus ancré dans le contemporain ?

Félix Dufour-Laperrière : Le film est d’actualité, heureusement et malheureusement, mais pour des raisons qui échappent à notre contrôle. Ses thèmes et ses impossibilités sont effectivement d’actualité… Mais il a beaucoup évolué depuis son écriture. À l’origine, il y avait quelque chose de plus abstrait, de plus pessimiste, d’assez sombre. De Faustien ! Mais avec le temps, avec la paternité… En fait, ce qui m’a étonné, c’est que la violence a repris ses droits, ou est redevenue visible à plusieurs endroits. En Occident, on est sorti d’une sorte de statu quo qui était totalement impossible, délétère. Ça m’a fait réfléchir plus concrètement. C’était tout à coup beaucoup moins abstrait. J’ai décidé de rendre le film plus lumineux, plus amoureux, plus amical. De trouver aussi des réponses dans le lien aux autres, mais de préserver également les questionnements assez durs qui le traversent. Pour moi, chaque personnage a sa part de vérité. C’est un film qui a sa brutalité, mais aussi ses nuances, je l’espère. 

Le film a acquis une concrétude qu’il n’avait pas avant. Paradoxalement, ce qui me semblait quelque chose de très lointain au tout début de l’écriture, me semblait plus plausible et plus immédiat en cours de route. J’ai donc dû revisiter certains partis pris et certains choix narratifs. Dans des versions de travail, certains ressorts du scénario étaient différents, certaines décisions des personnages étaient différentes… Le fait que ce soit moins abstrait, que ça se rapproche de nous, ça m’a forcé à revoir mes réflexions. 

EN : L’idée de la violence est romantique quand elle est à distance…

Félix Dufour-Laperrière : Il y a un peu de ça. L’engagement en général, c’est romantique à distance, mais de près, c’est très concret. On sert des mains, on va dans des sous-sols. Ce sont des mécaniques précises. Des sacrifices, aussi. Je pense que ce qui demeure immédiat, c’est la colère des personnages. Elle, elle n’est pas abstraite. Et le fait qu’il y ait un état du monde qui est intenable, c’est très réel. Je vis au Québec dans une société très paisible. Mais l’actualité nous rattrape. La question de la responsabilité nous rattrape toujours. On a cru, surtout en Occident, qu’on n’était plus responsable du monde, qu’on pouvait en tirer profit et l’utiliser, l’épuiser à certains égards. En réalité, je crois qu’on en est toujours responsable. On voit ce que deviennent nos sociétés… En Europe, il y a beaucoup d’extrême-droite, mais chez nous ça commence aussi. Des discours sur l’immigration qui se développent et se désinhibent. Il faut être très prudent et réaffirmer ce qui rend le monde habitable. Une certaine décence, un ensemble d’efforts et de responsabilités qui rendent le monde habitable. Après ça, la question de la violence est difficile. Elle est même impossible. Mais elle est déjà présente dans le monde. 

EN : Avec quoi voudriez-vous que le spectateur ressorte du film ?

Félix Dufour-Laperrière : Je voudrais qu’il en ressorte avec une tension. La tension entre la responsabilité et l’urgence de préserver un monde décent et habitable, que l’on partage collectivement, et la douceur qui fait que ce monde-là est habitable, justement : l’amitié, l’amour, le lien, le fait de prendre soin des autres, la famille, les enfants… Quelque chose de très doux mais qui est insuffisant. Mais ce qui est très dur est insuffisant aussi. D’où cette tension, qui me semble être un paradoxe irrésolu. J’aimerais que les spectateurs ressortent habités de ce paradoxe-là, qui moi m’habite. C’est aussi une mise en scène spécifiquement liée à l’image animée, qui s’appuie sur ses spécificités, son utilisation de la couleur… et j’aimerais qu’il y ait un plaisir formel, lié à la mise en scène. Je suis très attaché à l’idée de décloisonner le cinéma d’naimation. Le sortir d’un espace familial et enfantin pour l’amener à un autre public.