Cannes 2025 | Vie privée : Jodie Foster, true detective à Paris

Cannes 2025 | Vie privée : Jodie Foster, true detective à Paris

Lilian Steiner est une psychiatre reconnue. Quand elle apprend la mort de l’une de ses patientes, elle se persuade qu’il s’agit d’un meurtre. Troublée, elle décide de mener son enquête.

Jodie Foster en français dans le texte dans un film français, c’est hélas trop rare. Vie privée n’est que sa quatrième occasion pour pratiquer cette langue qu’elle maîtrise si bien. Après Moi, fleur bleue d’Éric Le Hung en 1977, Le Sang des autres de Claude Chabrol en 1984 et un petit rôle dans Un long dimanche de fiançailles de Jean-Pierre Jeunet en 2004, la star doublement oscarisée a accepté la proposition de Rebecca Zlotowski.

Il faut dire que Vie privée s’intercale parfaitement dans son parcours. L’actrice n’est jamais aussi à l’aise dans le rôle d’une femme traquée et combattive, prise au piège et entêtée. Zlotowski ne manque d’ailleurs pas de faire de multiples clins d’œil à sa filmographie.

Mais ici elle n’est ni flic, ni victime. Dans ce thriller parano et ludique, oscillant entre la comédie policière à la Pascal Bonitzer et le suspense hitchcockien à la Francis, la cinéaste lui fait mener une enquête amateur un poil farfelue en tant que psy.

Psychoses

Une investigation qui dévoile tous les secrets d’une vie « privée », la sienne (et celle de sa patiente). Une thérapie publique qui écrase subrepticement l’affaire qui sert de déclic : la mort soudaine d’une de ses plus fidèles patientes. Huit ans de divan, 32 000 euros payés sans remboursement de la sécu. Tout ça pour mettre fin à ses jours. À moins que ce ne soit un crime déguisé.

Zlotowski use de tous les artifices du genre pour nous mener en bateau et nous faire croire à un complot. Efficace tout autant que banal. Étrangement, on se laisse séduire par ce manège où l’on ne sait pas trop ce qui est en jeu. Sans doute la présence de Jodie Foster, qui surplombe tout le casting, n’y est pas pour rien. Suspicion à tous les étages, escaliers en colimaçons, maison au fond des bois, tout est conçu pour distiller les codes du genre en matière de mise en scène.

« Vacances. Fucking French! »

Malgré un rythme inégal, on s’amuse de cette atmosphère anglo-saxonne. D’autant que la présence de l’actrice américaine, qui fume, boit et baise comme une « française » vue de l’étranger, produit quelques répliques drôles sur les frenchys. Mais, entre cavale et cabale, Zlotowsky se perd un peu dans son intention. Comme si elle n’assumait pas complètement l’idée de réaliser un thriller populaire.

Aussi assiste-t-on à un mix où elle surdose de psychologie cette enquête qui cherche absolument à donner un sens à tout cela. Vie privée convoque les esprits, les débordements sentimentaux, les émotions contrôlées ou incontrôlables. Tel un cordonnier mal chaussée, la psy n’est pas la mieux placée pour analyser ses propres doutes et erreurs. Le deuil de sa patiente démontre l’impuissance de son métier et l’incapacité à gérer sa propre vie. Des transferts qui déraillent en quelque sorte. La psy n’est pas loin d’être jugée folle.

La femme qui n’en savait pas assez

Cependant, sur le fond, Vie privée est un scénario intelligent sur une femme qui a mis à l’écart son existence : loin de son pays, pas assez à l’écoute de ses clients, étrangère à son fils et à son petit-fils, séparée de son mari, qu’elle aime pourtant toujours. Dans cette pelote de laine de trahisons et de mensonges, la quête de vérité sur cette défunte – et bonne cliente – lui permet de dépasser ses peurs (comme Clarice Starling – dans Le silence des agneaux – avait besoin d’un anthropophage psychopathe pour affronter ses démons ou d’avancer dans le noir, terrifiée, pour abattre le Mal absolu).

La confrontation entre l’irrationnel et le cartésien s’empare du sujet, au point de le dévorer et d’empêcher le thriller de s’épanouir. L’hypnose, qui conduit à une forme d’Inception (qui rappelle là encore Hitchcock), engage le film dans une direction mal exploitée : faire les poubelles de son existence, déterrer le passé n’est pas sans risques, y compris pour un récit a priori balisé.

« Je crois que c’est la première fois que je te vois pleurer »

En visitant l’inconscient de son héroïne, Zlotowski fait ressurgir des vies antérieures, les traumas et l’antisémitisme de la Seconde guerre mondiale. En nous amenant aux racines de nos névroses, la cinéaste délaisse le cluedo à la Agatha Christie pour flirter davantage avec l’apôtre de la résilience, Boris Cyrulnik. Mais cela amène à un film un peu bancal, où l’on s’interroge encore sur l’intérêt réel du bel emballage. Pourtant, Jodie Foster ne faillit pas à incarner cette femme, qui entre incompréhensions et malentendus, passé non résolu et confort bourgeois des beaux quartiers, passe à côté de tout (et de tout le monde). Et on revient au motif caché du film : peu importe la résolution de l’affaire, la vérité est ailleurs. En acceptant la fatalité des choses, en consolant la part sombre du passé, la psy découvre finalement qu’il ne faut pas se priver de la vie et qu’il est essentiel d’être ancré dans le présent. « Je vous écoute. Je suis là ».

Comme toujours avec Jodie, la paix intérieure prime sur tout le reste. Mais était-il nécessaire d’avoir autant de petites sueurs froides pour une si simple introspection?

Vie privée
Cannes 2025. Hors-compétition.
1h45
En salles le 26 novembre 2025
Réalisation : Rebecca Zlotowski
Scénario : Anne Berest, Gaëlle Macé et Rebecca Zlotowski
Musique : Rob
Image : George Lechaptois
Distribution : Ad Vitam
Avec Jodie Foster, Daniel Auteuil, Virginie Efira, Luàna Bajrami, Vincent Lacoste, Mathieu Amalric, Sophie Guillemin, Frederick Wiseman, Aurore Clément, Irène Jacob, Park Ji-min...