Cannes 2021 | Jodie Foster, désignée géniale

Cannes 2021 | Jodie Foster, désignée géniale

Généralement, les bios abusent des superlatifs. Jodie Foster ne peut pas faire exception dans ce domaine : depuis cinq décennies, on loue son intelligence, on fait l’éloge de son talent, on la nomme femme idéale, on attend l’actrice devenue rare, on salue la militante discrète…
Bilingue, universitaire, oscarisée (deux fois), à la fois glamour et normale, glorifiée et modeste… elle a tout fait avant l’âge requis: la publicité coppertone (3 ans) et crest (du dentifrice), une prostituée chez Scorcese avec Palme d’or à la clé (14 ans), un Oscar de la meilleure actrice (26 ans)…
Les qualificatifs sont nombreux pour définir cette extra-terrestre (donc venue de nulle part, si ce n’est d’ailleurs): génie, surdouée, instinctive, inoubliable dans Taxi Driver, Les accusés, Little Man Tate, Le silence des agneaux, Inside Man, Panic Room

Date de Naissance
 - 19 novembre 1962 ; Scorpion ascendant Vierge ; 1m61
 Lieu de Naissance
 - Los Angeles, Californie, Etats-Unis
 Nom de Naissance
 - Alicia Christian Foster, (dîte Load)

Familles

Jodie Foster est énigmatique. Elle a été très peu mariée au cinéma : dans Sommersby, elle ne fait que récupérer l’usurpateur, dans le Jeunet, son mari l’oblige à le cocufier ou dans Carnage. Elle a plutôt tendance à se mesurer d’égale à égal avec les hommes (Maverick côté intransigeante, Anna et le roi côté romantique) et même à apprendre à vivre sans eux en devenant combattive (Panic Room, Flightplan). Sinon, le plus souvent, elle est divorcée, seule, femme puissante n’ayant besoin de personne.

Elle se plaît en solitaire, de Nell au Silence des Agneaux, en passant par Désigné coupable, optant ainsi pour des introspections vertigineuses… Lorsqu’elle s’octroie une famille, elle est souvent monoparentale, à l’image de la sienne. Son outing en recevant le Cecil B. De Mille Award aux Golden Globes en 2013, n’a fait que donné une cohérence à ses choix féministes et indépendants. Elle est là pour protéger ses marmots contre la violence du monde. Ou, depuis quelques années, jouer les justicières (cyniques ou morales).


La famille est aussi son thème de prédilection en tant que réalisatrice. Elle aime les relations humaines: entre amis, avec des parents, autour d’enfants (Little Man Tate, Home for Holidays, Le complexe du castor). Les histoires de gamins l’ont fascinées étant jeune. Câlineuse mais pas trop. Après avoir échoué à monter Flora Plum (dans le milieu du cirque), elle aura mis quinze ans à revenir derrière la caméra (pour le cinéma), avec son « ami » Mel Gibson, pour Le complexe du castor (présenté à Cannes), avant de se tourner vers un thriller médiatique, Money Monster, avec George Clooney et Julia Roberts (lui permettant de revenir à Cannes une nouvelle fois). Plus que tout, c’est le rapport avec les émotions qui l’intrigue et la guide. Malgré une éducation élitiste, un esprit d’analyse indéniable, elle est très attachée aux désirs et aux sens. L’intellectuel, chez elle, explique l’émotionnel. Ceci explique sans doute son attachement au personnage du Dr Eleanor Arroway dans Contact : une scientifique perturbée par la puissance d’un voyage spatio-temporel ultra-émotionnel.

Faits divers:
- 1976, première visite à Cannes pour présenter Taxi Driver et Bugsy Malone.
- 1977, parle le Français couramment (et tourne dans la langue locale Moi, Fleur bleue).
- 1980, John F. Hincley Jr. tente d'assassiner le Président Ronald Reagan pour impressionner l'actrice.
- 1983, arrestation à Boston, à son retour d'Europe, pour possession d'un gramme de cocaïne.
- 1990, création d'Egg Pictures, compagnie de production, qu'elle possède et co-préside.
- 1998, 20 juillet. Donne naissance à son fils Charles.
- 2001, 29 septembre. Donne naissance à son second fils, Kit.
 Met fin aux activités de Egg Pictures pour se consacrer entièrement à ses enfants.
- 2002, elle fait partie de la liste des 50 plus belles stars de l'année selon People. 
- 2021, elle reçoit de Pedro Almodocar une Palme d'or d'honneur.


Pour elle, ne pas exprimer ses sentiments serait être emprisonnée. Et on comprend mieux ainsi ses rôles: cette jeune fille qui se fait violée parce qu’elle s’amuse un peu trop, ou encore cette enquêtrice qui cherche à comprendre le sens de sa vie, avec un psychopathe, ou cette mère piégée dans son immense maison et qui doit lutter pour la survie de sa fille, ou encore cette animatrice radio traumatisée qui se mue en serial-killer…
Evidemment, Nell souligne le mieux cette silhouette sans paroles, où tout geste est un mot, où la pensée se dessine avec le regard, le toucher…Jodie Foster a récemment avoué que le métier d’acteur était avant tout physique, instinctif… Bien la peine d’avoir fait Harvard!

Frayeurs
Intelligents, émouvants, seuls : ces personnages sont aussi déterminés, volontaires, courageux, forts. Tantôt agressés, tantôt agressifs. Capables de remuer terre et mer pour aller au bout de leur quête, qu’elle soit néfaste ou bénéfique. Elle est perpétuellement attaquée: par la morale (Sommersby), par la spiritualité (Contact), par la société (Nell), par les hommes (Les Accusés), par la morale (Inside man, formidable), par le passé et les psychoses qui y sont liés (Le Silence des agneaux, A vif), par des voleurs (Panic room, à son sommet), des terroristes (Flightplan), des rebelles (Elysium), etc. Ses rôles sont ceux de femmes sous pression, cherchant à se libérer comme dans Anna et le Roi ou à conserver sa liberté (Désigné coupable) De Little Man Tate à Taxi Driver, elle est toujours menacée dans son équilibre, dans son bonheur, parfois précaire. Dans Contact, c’est son père qui la hante mais la pousse à avancer dans sa quête stellaire.

Finalement, bien avant #MeToo et la notion de patriarcat dominant, l’homme est souvent mal traité aux côtés de Jodie. Lâche, absent, mort, malheureux ou traitre.

Elle n’a rien d’un service en porcelaine. Et là, nous touchons à la quintessence de son jeu. Le corps fin et le visage expressif affrontent tout ce qui s’oppose à elle, envers et contre tout, peu importe qu’elle soit dans le bon ou le mauvais camp. Comme elle va au front lors de la sortie de ses films: le soldat Foster se plie au jeu hollywoodien, par pur professionnalisme. Ou cannois, par pur passion du cinéma : une Palme d’or d’honneur lui est remise en 2021 pour ses bons et loyaux services à la planète du 7e art.

Car si l’on regarde bien ses rôles les plus marquants ou disons populaires – hormis le léger Maverick où elle a remplacé Meg Ryan au pied levé (comme elle a remplacé Nicole Kidman sur Panic Room) – Jodie Foster reste cohérente : une femme agressée jusque dans son intimité (qui peut-être un viol sexuel, une maison ou son mental). Et en contre-attaque, elle réplique. Comme un homme.

Au coeur de sa manière d’être à l’écran il y a une femme qui court, esquive, frappe, retient son souffle, perd haleine, crispe ses joues, explose de colère, se concentre, calcule, ouvre grand ses yeux de terreur, exprime de la compassion ou sait être impitoyable en un mouvement de visage… Les yeux sont parfois en larmes, mais elles coulent rarement. Elle craque différemment, en tuant, en cognant, en gueulant avec autorité, en serrant les poings, en rentrant sa colère froide. Les nerfs sont à fleur de peau. Elle n’a pas peur mais joue à se faire peur. Comme une enfant. Ses angoisses se répercutent d’abord sur des leurres, des besoins de sécurité démesurée, de vengeance stérile. Elle doit se confronter à la peur du risque, à cette vie remplie d’aléatoire et de hasards. Dans ses films, l’ennemi est davantage dans la glace qu’en face de soi. Jodie Foster c’est l’art de savoir conjurer ses cauchemars et assumer une autonomie assumée, désirée.

Française
Cela l’empêche parfois de monter des projets ambitieux ou de s’intéresser aux cinémas d’ailleurs (et ce depuis son enfance), d’apprendre la réalisation avec des épisodes de séries TV cultes comme Orange is the New Black, House of Cards, Tales from the Loop ou Black Mirror.

Elle défendra ainsi La Haine lors de sa sortie aux USA, et s’offrira des « retraites » de trois à cinq ans entre deu films. Privilège rare, quand on sait qu’elle n’a jamais eu autant la cote (d’un point de vue financier) au début des années 2000.

Libre et souvent disponible, elle se permet de choisir ses projets. Mais consciente qu’elle doit toujours confirmer son statut, son talent, sa popularité, elle réussit à choisir des scénarios où elle ne se renie pas, ne sent pas « exploitée« , et au contraire a le sentiment de se renouveler plus facilement. On pourrait hélas se plaindre qu’elle fait, cliniquement, mécaniquement, ce métier.

Trop raisonnée? Se plaignant de cette industrialisation dans le même temps. Soldat discipliné, élevé avec rigueur dans l’audiovisuel des années 1970, il en reste sûrement quelque chose. Cependant, la rêveuse qu’elle doit être, la curieuse qu’elle est, a envie de se confronter à des auteurs. Après le désir de tourner en France – que Jeunet assouvira avec la séquence « chaude » du Long Dimanche de Fiançailles, autrement dit loin du puritanisme hollywoodien et des personnages froids et secs de l’actrice – elle accepte de jouer chez Spike Lee. Le métissage des cultures peut être son prochain défi, après une décennie en tête d’affiche dans des thrillers paranoïaques. Jodie Foster a débuté avec Sergio Citti, Eric Le Hung, Adrian Lyne, Claude Chabrol… un itinéraire éclectique qui se poursuivra avec Woody Allen et Roman Polanski.

Pourtant, sa filmographie, outre Martin Scorsese, se révèle très contemporaine Jonathan Demme, Richard Donner, Robert Zemeckis, David Fincher, Neil Jordan, Neill Blomkamp, Kevin Macdonald… Passant du thriller à la science-fiction, elle enchaîne les drames de haute facture, n’hésitant pas à préférer un second-rôle à la tête d’affiche.

Flegme
Il y a Jodie qui joue et Foster qui vit. Qui travaille. Car pour elle, le travail est vital. Quel qu’il soit. Même si son œuvre doit forcément s’inspirer de ses expériences, même si ses enfants ont pris le dessus dans sa vie. « J’ai l’impression qu’on me voit assez souvent. C’est vrai que petite je faisais des films à la chaîne. Aujourd’hui j’ai des enfants et une vie très remplie. Il faut donc qu’un scénario me touche pour m’enlever tout ça. Je lis tout et j’attends. Ça peut arriver tous les ans, tous les trois ans ou tous les dix ans.« 

Si la comédienne privilégie les films de genre, la cinéaste a choisi des comédies mélancoliques et intimistes, des séries et des films sur les relations humaines dans un monde déshumanisées. Un regard subtil sur les gens et leurs gestes. Mais ne vous fiez pas à sa parfaite maîtrise de son métier. Jodie Foster, fan des Rolling Stones et de U2, est rock et glam, californienne et francophile. Séduisante, vénéneuse, féministe, elle inspire autant d’admiration qu’une Katharine Hepburn, par son aplomb et sa manière de se confronter aux acquis ou aux tabous. Elle sait faire preuve d’autorité comme elle sait jouer « à l’ancienne », avec subtilité et une vraie recherche dans le ton, les mouvements, les transformations physiques. Entre dureté et douceur, ce caméléon s’amuse des illusions qu’elle nous envoie.

Celle qui fut une enfant-star avant d’être une actrice prodige puis une mère loin des spotlights croise ainsi toutes ses vies devant et derrière la caméra. Jodie Foster ne parle finalement que d’abus, de domination, de quête de liberté. Pointant du doigt le rôle de sa mère dans sa propre existence, où longtemps Jodie Foster n’a décidé de rien, elle rappelle que « Vouloir que son enfant ait une vie différente de la sienne, avec de multiples opportunités et une estime de soi, est une jolie idée. Mais, il y a aussi dans la démarche quelque chose de désespéré et presque louche, ayant à voir avec la culpabilité, la névrose et la folie de vouloir exister par procuration. » Un résumé parfait de sa galerie de personnages. Ou tout simplement l’essence même de son métier.