Cannes 2025 | Woman and Child : le « Femme, vie, oppression » de Saeed Roustaee

Cannes 2025 | Woman and Child : le « Femme, vie, oppression » de Saeed Roustaee

Mahnaz, une infirmière de 45 ans, élève seule ses enfants. Alors qu’elle s’apprête à épouser son petit ami Hamid, son fils Aliyar est renvoyé de l’école. Lorsqu’un un accident tragique vient tout bouleverser, Mahnaz se lance dans une quête de justice pour obtenir réparation…

Woman and Child continue de creuser le sillon du drame moral que Saeed Roustaee a commencé il y a neuf ans avec Life and Day, son premier long. Après le splendide Leila et ses frères en 2022, injustement boudé par le palmarès cannois à l’époque, il explore un peu plus les tensions familiales que génèrent un patriarcat dominant et l’aspiration des femmes à vivre librement.

Le film est on ne peut plus « farhadien » par ses dilemmes individuels et ses enjeux sociétaux. Autour d’une mère prise dans un étau qui se resserre sur elle au fil des événements, gravitent une ribambelle de personnages et autant de facettes d’un Iran étouffant sous ses dogmes et ses traditions.

« Pour laquelle de ses bêtises vous vous excusez madame? »

Le cinéaste ne lésine pas sur l’oppression qui assomme cette jeune médecin, veuve avec deux enfants. Le scénario suit une réaction en chaîne qui se mue en spirale infernale, quitte à frôler la surdose de tragique. Ce n’est plus la charge mentale qui pèse sur les épaules de l’iranienne, ni même le jugement des autres, mais bien tout un système qui l’écrase.

Mélodrame sous tension

Dans cette société où tout s’achète, où la corruption règne en coulisses, où les règles sont interprétées à la convenance des plus puissants, où la justice privilégie l’accusation des hommes à la défense des femmes, il paraît vite évident que le sort va s’acharner sur elle, parfois avec sidération.

« J ‘ai jamais aimé les cheveux courts »

Construit comme un thriller, le film va la piéger de bout en bout, entre fatalité, vengeance, et injustice. Un peu trop sans doute, mais cela permet à l’actrice fétiche du cinéaste, Parinaz Izadyar, de révéler toute sa palette de jeu, jusqu’à devenir spectrale en affichant un visage à la Renée Falconetti dans La Passion de Jeanne d’Arc de Carl Dreyer. Bafouée, humiliée, dévastée, trahie, épuisée, flirtant avec la folie, l’abattement, l’impuissance, elle l’incarne avec naturel, sans surjouer.

Ce film autour d’une femme sacrificielle ne laisse aucun repos au spectateur. Loin d’être passif, il se retrouve à ses côtés face à ses « ennemis », dans cette intrigue où la pression familiale, le diktat de la théocratie et les réflexes machistes sont autant d’armes à double tranchant. Avec un peu moins de subtilité et davantage de manichéisme que dans son précédent film, Saeed Roustaee déroule son scénario sans qu’on puisse en échapper. Tout comme le cinéaste qui décide de suivre les rails. Il n’a pas cherché à contourner les lois de son pays pour faire son film – toutes les règles de la censure sont respectées, contrairement aux films de Panahi ou Rassoulof -, et il prend toutes les précautions nécessaires pour que chacun s’en sorte dignement. En ménageant le camp adverse, il prend ainsi le risque de ne pas atteindre ses cibles.

L’œil de Téhéran

Pourtant, incontestablement, Woman and Child réussit à dénoncer ce pouvoir archaïque et autoritaire. Il décortique au scalpel toutes les incohérences d’un système défavorable aux femmes. La mécanique de l’écriture ne souffre d’aucun grain de sable dans ses rouages. Mais ce qui impressionne davantage que l’incertitude qui entoure son issue ou le portrait de cette femme combattive est bien la mise en scène.

«  La vie, c’est pas toujours comme on voudrait. »

Saeed Roustaee récite toute la grammaire classique d’un grand film : des cadrages sans fautes, un usage symboliste des décors, un découpage qui permet un rythme soutenu et des angles justifiés. On admire le puits sans fonds de cet immeuble, où un seul être manque et tout est dépeuplé. Tout comme ce jeu de transparences et de profondeurs de cet appartement traversant, où chacun reste dans sa zone. Cela compense les quelques failles d’un film, à commencer par cette surdramatisation permanente. Comme si pour affronter l’autorité, et la critiquer, il avait du un peu trop charger la barque pour créer les émotions souhaitées.

Pourtant, il n’en avait nul besoin. Avec ses plans rapprochés, quand il fixe les visages tourmentés ou effarés, agressifs ou coupables, le cinéaste délivre toute sa maestria. Il suffit d’un champ, contre-champ, les yeux d’un homme et une fillette dans les jupes de sa mère, pour offrir une respiration après une succession de scènes intenses. Par ses jeux de regards, Woman and Child dépasse largement sa narration linéaire pour muer en un récit plus complexe, plus humaniste. Mais pas moins inquiet. Car, si le film est résolument féministe, on observe quand même, au loin, la présence d’un homme qui garde un œil sur ces femmes osant défier la masculinité toxique.

Woman and Child
Cannes 2025. Compétition.
Durée : 2h11
Réalisation et scénario : Saeed Roustayi
Image : Adib Sobhani
Distribution : Diaphana
Avec Parinaz Izadyar, Payman Maadi, Hasan Pourshirazi, Fereshteh Sadre Orafaee, Sahar Goldoost