Pour les enfants, les grandes vacances sont toujours le temps d’un précieux ennui. Pour Yamashita, Yayoi et Kiyama, trois copains inséparables et malicieux, c’est aussi le temps des grandes découvertes et des questionnements : qu’est-ce que la mort ? Comment vivre avec son passé ? Qu’est-ce qu’être un adulte ? Avec eux, on apprend à retrouver un regard insouciant et irrévérencieux qui enchante le monde. La réalité, sa beauté comme sa dureté, se mêle au merveilleux dans un conte aussi doux qu’important. Le film du cinéaste japonais Shinji Somai sorti en 1994 a fait l’objet d’une restauration en 2024 et est ressorti il y a quelque semaines sur nos écrans. On savoure alors la délicatesse de la pellicule et on s’imprègne de la lumière estivale avant d’entrer, à notre tour, dans l’été.

Poésie caniculaire
Shinji Somai travaille l’image dans un répertoire éminemment sensoriel. La matérialité de la pellicule nous imprègne d’une lumière unique et de couleurs plus vives les unes que les autres. Cette plasticité de l’image rend palpable la chaleur qui fait goutteler la sueur sur les peaux dorées. Elle engage non seulement notre mémoire de la belle saison mais aussi notre corps dans cette expérience des sens. La scène d’introduction sous la pluie installe d’emblée cette esthétique forte. De jeunes garçons s’entraînent au football devant l’oeil assidu de leur entraîneur. Telles des taches de peinture directement sortie du tube, les maillots jaunes contrastent avec un parapluie rouge. Notre attention est immédiatement captée par la saturation de ces primaires qui ressortent sur le fond terne de la pluie et du sol terreux. Cette grande formalité s’offre au spectateur comme une porte d’entrée dans le film alors qu’elle nous fait partager des sensations communes, réveille nos sens et s’adresse à l’enfant en nous, qui s’émerveille de la beauté des choses avec simplicité.

Aussi, une fois exposé cet univers onirique, la dynamique du trio, jouant, discutant, s’ennuyant, laisse place à une réflexion d’une grande finesse sur l’existence. Les dialogues, tantôt absurdes, tantôt philosophiques rythment le récit et nous font progresser, avec les personnages, dans notre compréhension de la vie. La rencontre d’une image quasiment picturale et de ce discours sensible donne naissance à des moments de poésie suspendus. Dans un wagon de métro qui survole la ville de Kobe, les trois enfants réfléchissent sur la mort. Un coucher de soleil découpant leurs silhouettes en arrière plan enrobe d’une lumière symbolique leurs élucubrations. On est, dès ce début de film, percuté de plein fouet par l’équilibre poétique entre fond et forme qui semble aussi travaillé que le fruit d’un heureux hasard.
Un tendre parfum
Le coeur du film repose sur la relation entre les enfants et un vieil ermite qu’ils espionnent, dans l’espoir macabre – mais insouciant – de pouvoir assister à sa mort. Jour après jour, les enfants gagnent du terrain dans le jardin du vieillard, qui, au début méfiant, fini par céder et accueillir cette jolie rencontre. Avec simplicité, le récit amène une routine qui nous permet d’observer l’évolution des personnages comme dans une fable. Le jardin se défriche, les semis deviennent des parterres de fleurs, les murs qui nous interdisaient l’accès à la maison sont désormais l’écrin d’une nouvelle amitié. À la Prévert, les voix des enfants énumèrent les fleurs qui défilent à l’écran dans un inventaire qui interrompt la narration. Métaphore non cachée de cette relation, le jardin florissant nous embaume de son tendre parfum.

Qu’as-tu fais à la guerre ?
Ode à l’insouciance, au jeu, à la légèreté, Jardin d’été installe une douceur qui vient contraster d’autant plus avec la gravité de certains sujets. Sans ornements, le vieux Dempô raconte aux enfants son passé, la réalité de la guerre, ses regrets, les horreurs que peuvent commettre les individus avec une déconcertante simplicité. La mise en scène, redoutablement efficace mais toujours aussi symbolique, renforce la dissonance de cette scène. Alors qu’un typhon fait se coucher les arbres sur les routes et que la pluie s’abat avec fracas sur les vitres, les trois garçons écoutent l’histoire de l’ancien soldat. Leur reflet, encadré par les fenêtres carrées, est brouillé par la pluie. Au-delà de la forme ou même du symbole, la subtilité émotionnelle du film témoigne de la grande compréhension de l’humain du cinéaste.
Alice Dollon
Fiche technique
Jardin d’été (The Friends) de Shinji Somai (1994)
Japon
1h53
35 mm restauré
Ressortie en France : 2 mai 2025
Distribution : Survivance