Venise 2025 | Un palmarès bienveillant et surprenant

Venise 2025 | Un palmarès bienveillant et surprenant

Le palmarès du 82ème Festival de Venise n’a pas lésiné sur les surprises. Le président du jury, Alexander Payne, entouré de l’iranien Mohammad Rasoulof, du roumain Cristian Mungiu, du français Stéphane Brizé (par ailleurs lauréat du prix Robert Bresson), de la cinéaste italienne Maura Delpero, de l’actrice et scénariste brésilienne Fernanda Torres, et de l’actrice chinoise Zhao Tao, ont déjoué les pronostics et laissé de côté quelques favoris.

Le favori, The voice of Hind Rajad de Kaouter Ben Hania, aurait pu être le premier Lion d’or décerné à un film africain. Il doit se « contenter » du Lion d’argent (Grand prix du jury), malgré une standing ovation légendaire lors de sa projection et de multiples prix reçus parallèlement : Arca CinemaGiovani Award, Prix CICT-UNESCO Enrico Fulchignoni, CROCE ROSSA ITALIANA Award, Edipo Re Award, Leoncino d’Oro Award (Unicef), “Sorriso Diverso Venezia Award” et UNIMED Award.

The voice of Hind Rajad, de Kaouter ben Hania

Chaleureusement applaudi lors de son annonce en deuxième position du palmarès, le film tunisien a provoqué une polémique immédiatement après la fin de la cérémonie : n’a-t-il pas été « rétrogradé » à cause de son sujet (le conflit à Gaza) dans une édition obsédée par la question palestinienne en dehors du tapis rouge? Alexander Payne s’en défend. Il y avait deux favoris. Il fallait départager.

Ainsi la plus haute récompense, le Lion d’or, a été décernée à Father Mother Sister Brother de Jim Jarmusch. Payne semble avoir pesé dans les délibérations pour que le Lion d’or soit attribué à un cinéaste indépendant qui lui ressemble un peu. Cette même configuration s’était d’ailleurs déjà produite lors du Festival de Cannes 2024, où le film favori de tous Les Graines du figuier sauvage s’était fait doublé par Anora de Sean Baker, avec sans doute le poids de la présidente du jury Greta Gerwig pour récompenser un cinéaste américain dont elle se sent proche artistiquement.

De plus, ce Lion d’or attribué à Father Mother Sister Brother, qui a cueilli le public de la cérémonie, n’avait pas fait consensus lors de sa projection vénitienne. Recalé par Cannes, ce film à segment a dérouté (même si dans ce style Jarmusch est un orfèvre). Finalement, ce Lion d’or consacre aussi la filmographie d’un cinéaste, après 45 ans de carrière en marge des studios. Comme l’an dernier Venise avait couronné Pedro Almodóvar avec La Chambre d’à côté. Deux grands oubliés de la Palme d’or cannoise, enfin dans le panthéon des festivals. Jarmusch reçoit ainsi son plus grand trophée, après une Caméra d’or (meilleur premier film) en 1984 et un Grand prix du jury en 2005 à Cannes.

Toni Servillo dans La Grazia, de Paolo Sorrentino

Pour le reste, le jury a surtout choisi de distinguer des films bienveillants, avec des personnages empathiques. Du baume au cœur dans une année où Venise n’a pourtant pas manqué de films engagés (After the Hunt, House of Dynamite, …). Safdie, Servillo, Rosi, Donzelli repartent avec un prix grâce à des films et des rôles emplis d’humanité. Ce qui correspond bien au cinéma de Payne. Même si on l’attendait davantage sur des œuvres plus grinçantes et plus engagées.

Des oubliés du palmarès ne repartent pas totalement bredouilles : Valeria Bruni Tedeschi (POP ART AWARD, Francesco Pasinetti Award de la meilleure actrice) pour Duse (Soundtrack Stars Award), L’étranger (BookCiak Award), Frankenstein (Fanheart3 Award), Bugonia (Green Drop Award), Elisa (SIGNIS Award).

Mais deux films du palmarès de Payne ont aussi fait une razzia. La grazia, film d’ouverture signé Paolo Sorrentino, n’a pas été remarqué que pour son fabuleux interprète, Toni Servillo (enfin primé dans un grand festival). Il repart avec l’Arca CinemaGiovani Award du meilleur film italien, le Brian Award, le Francesco Pasinetti Award (Sindacato Nazionale Giornalisti Cinematografici Italiani) pour le meilleur film et le meilleur acteur.

Silent friend, de Ildikó Enyedi (avec Tony Leung Chiu-wai)

Autre film plébiscité : Silent friend d’Ildikó Enyedi pour lequel la jeune comédienne Luna Wedler a reçu le prix du meilleur espoir (elle était déjà extraordianaire à 18 ans dans le rôle principal de Blue my mind de Lisa Brühlmann en 2017, qui mélangeait coming-out of age et body-horror). Le film hongrois repart du Lido avec le CinemaSarà Award, le Edipo Re Award, le Prix Fipresci et l’Interfilm Award for Promoting Interreligious Dialogue.

Le palmarès du jury :

  • Lion d’or : Father Mother Sister Brother, de Jim Jarmusch
  • Lion d’argent : The voice of Hind Rajad, de Kaouter ben Hania
  • Prix spécial du jury : Sotto le nuvole, de Gianfranco Rosi – documentaire
  • Prix de la meilleure réalisation : Benny Safdie pour The Smashing Machine
  • Coupe Volpi pour la meilleure interprétation masculine : Toni Servillo dans La Grazia (de Paolo Sorrentino)
  • Coupe Volpi pour la meilleure interprétation féminine : Xin Zhilei dans The sun rises on us all (de Cai Shangjun)
  • Prix du meilleur scénario : A pied d’œuvre, de Valérie Donzelli
  • Prix Marcello-Mastroianni du meilleur espoir : Luna Wedler, dans Silent friend (de Ildikó Enyedi)

Triptyques Trips

Father Mother Sister Brother est une histoire de famille et de passé : c’est dans l’air du temps. Trois histoires autour des relations parents-enfants dans trois lieux différrents (Etats-Unis, Irlande, France), format de ‘film à segment’ qu’il a déjà expérimenté dans plusieurs de ses films.

Jim Jarmusch n’était pas le seul en compétition à proposer un film basé sur un scénario en forme de tryptique. C’est le cas aussi de Ildikó Enyedi avec Silent Friend qui raconte trois histoires de personnages qui font des recherches sur les plantes à travers trois époques en 1908 (pour la représentation et la photographie), 1972 (pour la communication et l’électrophysiologie) et 2020 (pour l’intelligence végétale et la neuroscience). À chaque époque, un rapport de domination/séduction entre le personnage et son entourage.

House of dynamite, de Kathryn Bigelow (avec Rebecca Ferguson)

La tryptique est aussi la structure qui fait la richesse du récit de A house of dynamite de Kathryn Bigelow, qui revient enfin à la réalisation (depuis Detroit en 2017) en profitant ici d’un scénario malin de Noah Oppenheim (prix du meilleur scénario à Venise pour Jackie de Pablo Larraín). L’histoire est concentrée sur une vingtaine de minutes lors d’une alerte pour un missile atomique ayant été lancé en direction des Etats-Unis et une interception est ratée… Le même évènement est vu trois fois de suite à travers plusieurs lieux de commandement (une base en Alaska, la Maison Blanche, le secrétariat à la Défense, le président des Etats-Unis en déplacement…) qui communiquent ensemble pour gérer cette crise.

Sur les 21 films présentés en compétition, le prix du scénario était sans doute l’un des plus disputés/discutés puisque la moitié pouvait y prétendre. Là encore le choix du jury est une surprise avec le meilleur scénario attribué au film de Valérie Donzelli, À pied d’œuvre, co-écrit avec Gilles Marchand. Une manière de récompenser une histoire qui sû toucher le jury plus qu’un véritable travail scénaristique singulier. Un jeune écrivain issu d’une famille bourgeoise va se conforter dans une situation de plus en plus précaire en vivotant de petits boulots d’appoint pénibles et mal payés. C’est en fait une adapation littérale du roman éponyme de Franck Courtès (paru en 2023), et le film comporte beaucoup de moment avec une voix-off où sont lus des extraits du livre.

The Smashing Machine, de Benny Safdie (avec Dwayne Johnson et Emily Blunt)

Certains des nouveaux films (avec leurs qualités, mais aussi leurs faiblesses) des cinéastes les plus connus ne figurent donc pas à ce palmarès : aucun des trois films Netflix (A house of dynamite Kathryn Bigelow, Frankenstein de Guillermo del Toro, Jay Kelly de Noah Baumbach), L’Étranger de François Ozon, Le Mage du Kremlin de Olivier Assayas, Aucun autre choix de Park Chan-wook, Orphan de Laszlo Nemes. C’est le jeu. C’est aussi un choix « éditorial ». La confrontation au réel ou l’allégorie cinématographique d’une époque monstrueuse n’a pas intéressé le jury.

Aussi, les autres prix du palmarès apparaissent logiques à commencer par Xin Zhilei en meilleure actrice dans un mélodrame classique et sans heurts. C’est moins perturbant qu’une professeur de fac confrontée à un dilemme post #metoo ou une comédienne iconique rongée par la maladie.

En cela, au milieu de tous ces films empathiques, le Lion d’argent pour La Voix de Hind Rajab sort du lot et se révèle être le seul acte révolutionnaire d’un jury qui ne voulait pas de vagues. Contraint et forcé par l’accueil du public et de la critique?