Premières classes de Katerina Gornostai : comment apprendre et enseigner en temps de guerre ?

Premières classes de Katerina Gornostai : comment apprendre et enseigner en temps de guerre ?

C’est un pays en guerre, sans que la guerre ne soit jamais montrée directement. De la maternelle au lycée, des élèves aux enseignants, et à différentes distances du front, Premières classes de Katerina Gornostai observe les nombreux aspects que peut prendre le quotidien d’un pays en conflit à travers le prisme de l’éducation.

Un nouveau quotidien

Pour son deuxième long métrage, Kateryna Gornostai s’attaque au documentaire et choisi une narration sans témoignage direct dans laquelle les personnages n’apparaissent qu’une fois ou presque. Le fil rouge se dessine par un enchaînement de scènes qui ciblent chacune une thématique précise pour nous laisser découvrir différentes facettes de la vie d’étudiants et enseignants : jeu patriotique en tenue militaire, fabrication de drones, école en distanciel, cours de sports avec tirs laser, écoles détruites, deuil et reconstruction mais aussi célébrations. Les séquences s’enchaînent, mais pas les visages : Gornostai humanise en les mettant en avant par de nombreux gros plans ceux dont la vie est impactée. Loin des chiffres et des statistiques, elle nous rapproche de notre humanité, faisant appel à notre empathie et permettant ainsi à ces personnes d’être incarnées, par-delà le conflit.

Avec ses sons naturalistes et ce montage régulier, le documentaire propose une vision généralisante, qui semble donner une image neutre de l’ensemble des écoles. Car si les drames existent et la mort fait partie du quotidien, les visages dépeints sont plutôt joyeux. Ce décalage entre l’image de « guerre » très représentée dans les médias et l’ambiance du film, douce, est déroutant : on s’attend à de la violence, de la colère, voire des héros, pourtant, il n’en est rien. Rappelant ainsi, qu’avant d’être une nation belligérante, et derrière les combats, il s’agit aussi d’une population vivante. Le courage, si souvent associé à des actes grandioses vertigineux est ici représenté par une résilience de tous les jours, qui n’exclut pas la vulnérabilité, contribuant ainsi à donner une image très humaine de cette population qui vit au jour le jour. Sans non plus idéaliser ou rassurer : on comprend que les alertes à la bombe, les classes dans les souterrains et les exercices de survie sont devenus une habitude sinistre presque mécanique, mais qui n’empêche pas la vie. Cette ambivalence sera présente tout au long du film, alternant célébrations et moments de recueillements. L’école devient ainsi lieu de commémoration, de solidarité et de résistance.

Appréhender la guerre

La question de l’éducation est cruciale pour un pays qui fait face à la guerre, et doit répondre à certaines questions : quelles sont les limites de la propagande et de l’enrôlement des jeunes populations ? En effet, le programme scolaire ukrainien intègre pour chaque niveau une manière d’aborder la guerre différente. Pour les plus jeunes, il s’agit surtout de protéger : apprendre à préparer son kit de survie, suivre les règles de sécurité et reconnaître les objets piégés, tandis que les plus grands suivent également quelques exercices plus sportifs incluant des armes factices, jusqu’à parfois devenir cyniques. De plus, souligné par ce qui se rapproche des chants traditionnels, on sent tout au long du film un fort nationalisme présent dans les écoles : poèmes, chorales et célébrations culturelles qui participent silencieusement à l’appréhension et la participation à la guerre.

Le rapprochement entre enfants et guerre met mal à l’aise, et particulièrement certaines scènes qui posent un dilemme important : les jeunes doivent-ils envisager de participer activement au conflit ? Face à cette question, trois étudiants répondent positivement avec des arguments qui semblent légers, les autres ne répondent pas. On se demande si ceux qui acquiescent sont naïfs, si les autres sont dans le déni, mais peut-être n’y a-t-il juste pas de bonne réponse.

Et si la guerre est malgré tout présente dans le quotidien de tous, les adultes parlent avec espoir d’un futur dans lequel les élèves auront réellement le choix de leur avenir. Kateryna Gornostai semble avoir remarqué cette contradiction et l’illustre parfaitement dans une scène tragico-poétique dans laquelle on voit un oiseau prisonnier entre des murs, face à une fenêtre lumineuse, qui n’arrive pas à sortir de l’école. Mirage d’une évasion, rêve d’un avenir plus radieux, mais qui enferme autant qu’elle ne libère.

Zoé Mottin

Fiche technique
Premières classes
2h05
En salles : 10 septembre 2025
Réalisatrice : Kateryna Gornostai
Distribution : Dulac distribution