Cannes 2025 | The Phoenician Scheme, nouvelle version du cinéma systémique de Wes Anderson

Cannes 2025 | The Phoenician Scheme, nouvelle version du cinéma systémique de Wes Anderson

1950. Après avoir survécu à un crash d’avion au dessus des Balkans, le riche homme d’affaires Zsa-zsa Korda nomme sa fille unique, une religieuse, comme unique héritière de sa fortune. Alors que Korda se lance dans une nouvelle entreprise, ils deviennent rapidement la cible de magnats intrigants, de terroristes étrangers et d’assassins déterminés.

Il ne s’agit plus de savoir si Wes Anderson va nous surprendre. Depuis trente ans, il décline son cinéma de façon systémique. Ça vaut pour son esthétisme comme pour sa narration. The Phoenician Scheme ne fait pas exception. Bien difficile dans ce cas de hiérarchiser ses œuvres, hormis le plaisir subjectif que l’on peut en tirer. On peut toujours mettre dans le haut de sa pyramide The Royal Tenenbaums, Fantastic Mr Fox, Moonrise Kingdom ou Grand Budapest Hotel, qui, par leur perfectionnisme, leur inventivité et pas leur fantaisie se distinguent des autres.

The Phoenician Scheme n’est pas de cette catégorie, mais cela n’empêche pas Wes Anderson de nous épater encore par sa créativité visuelle et son sens de l’absurde. Sans oublier son obsession pour la symétrie. La construction de son film, chapitré comme une succession de courtes histoires où se glissent quelques vignettes décalées (notamment toutes celles du Jugement dernier, en noir et blanc), reste en soi « andersonienne ».

Le film se sauve aussi de ses quelques digressions grâce à son ingéniosité narrative. On pourrait dire cela de tous les récents films du réalisateur. Même si, entre espionnage et sabotage, trahison et rédemption, le genre apporte un peu de nouveauté dans ce traficotage de haute volée.

Un nouveau testament

Cette fois-ci, il nous raconte l’histoire d’un milliardaire paranoïaque et un poil cynique, survivant à toutes ses tentatives d’assassinat, même les plus improbables. Sentant quand même que la grande faucheuse s’approche et voulant réaliser un ultime gros chantier dispendieux mais profitable (quoique), il choisit sa fille comme héritière, plutôt que ses neuf garçons plus jeunes. Une fille qui a dédié sa vie à Dieu n’est pas forcément très compatible avec la foi en le dollar.

Et ainsi le duo antagoniste, incarné par un Benicio des Toro fabuleux et une excellente et imperturbable Mia Threapleton, va s’offrir un périple pas de tout repos à travers une contrée imaginaire du Proche-Orient, croisant un prince arabe (Riz Ahmed), des Américains à l’art du deal éprouvé (Tom Hanks, Bryan Cranston, Jeffrey Wright) et un Français (Mathieu Amalric) côté alliés peu complaisants, une cousine (Scarlett Johansson) et un frère (Benedict Cumberbatch) côté famille dysfonctionnelle. Presque tous des fidèles au metaverse de Wes.

« C’est un 1 ou un 7? – C’est un G. »

Si The Phoenician Scheme est une sorte de film d’aventures, jouant sur une dérision sagement cinglée, ce ne serait finalement qu’un divertissement raisonnable et chiadé, de l’orfèvrerie empruntant à quelques influences baroques. Rien que le nom du personnage de Del Toro, Anatole « Zsa-Zsa » Korda, est un assemblage incongru entre l’actrice Zsa Zsa Gabor et le producteur / réalisateur Alexander Korda, tous deux d’origine hongroise.

Après moi, le déluge

Mais Wes Anderson a voulu raconter autre chose que la folie d’un homme, qui a tout d’un Bezos, Musk, Ford, Onassis, ou Rockfeller. Trumpiste sur les bords, il annonce un « Vous êtes viré » à son pilote d’avion, immédiatement éjecté du cockpit. Le rêve de tout capitaliste ultra-libéral. Bien sûr, il égratigne son arrogance et sa cupidité, sa toute-puissance et son égocentrisme. Tout comme il fait craquer le vernis d’une religion qui s’avère corruptible et opportuniste. Pour tous ses protagonistes, les sentiments, l’amitié, l’amour sont des valeurs fluctuantes en fonction du cours de l’or.

« Je me déshérite de vous. »

Pourtant, c’est bien vers ces valeurs que le cinéaste veut nous conduire. Il s’agit d’une relation à construire entre un père et sa fille. Spoiler : ni l’argent, ni la foi ne vaincront. L’amour est seul triomphateur, comme toujours chez Anderson. Malheureusement, c’est également sur ce point précis que The Phoenician Schème échoue à nous transcender. À trop huiler sa mise en scène, à trop ciseler ses dialogues, le cinéaste oublie une vertu cardinale : l’émotion. Il est paradoxal qu’un récit sur la réconciliation entre un père – non exempt de qualités – et sa fille – pas si pure que cela – ne produise pas quelques palpitations. Si la fin justifie les moyens, l’enjeu n’en bénéficie d’aucun.

Pardon, rédemption

Ainsi, on reste froid comme le carrelage immaculé de la salle de bain (sublime) de Korda. Anderson a manqué de cibler le cœur des spectateurs. Mais, au moins, nos cerveaux sont en ébullition. Une jouissance cérébrale. Le casting y contribue, tout comme les décors, les situations surréalistes (le match de basket dans un tunnel ferroviaire) et les références identifiables (Casablanca, La mort aux trousses, Apocalypse Now, Kubrick, Méliès, Zucker Abrahams Zucker…). On peut juste regretter la faible présence orientaliste dans la direction artistique, là où ses précédents films imposaient un cachet culturel immédiatement reconnaissable. Un (autre) paradoxe accentué par les peintures principalement flamandes qu’Anderson exposent dans le décor (et le générique).

Phoenician est en lien avec les phéniciens (peuple antique du Proche-orient) mais aussi avec le phoenix, oiseau mythique qui renaît toujours de ses cendres. Korda est ce Phoenix et Anderson décide de le racheter en le contraignant à l’humilité et à se recentrer sur la famille. À force de ressusciter, il en fait un personnage christique où les valeurs bibliques le contaminent. Sans chercher à lui donner de la chair et à faire ressentir ses blessures.

Mais ici, ni Gatsby le magnifique (F. Scott Fitzgerald), ni Aristide Saccard dans La Curée (Zola). Certes, la morale est sauve et bien classique. Mais, à trop styliser son cadre, à trop maîtriser sa caméra, et à trop corseter ses personnages, Wes Anderson ne propose rien d’autre qu’une œuvre brillante et … schématique.

The Phoenician Scheme
Cannes 2025. Compétition.
En salles : 28 mai 2025
Durée : 1h41
Réalisation : Wes Anderson
Scénario : Wes Anderson, Roman Coppola
Musique : Alexandre Desplat
Image : Bruno Delbonnel
Distribution : Universal
Avec Benicio del Toro, Mia Threapleton, Michael Cera, Riz Ahmed, Tom Hanks, Bryan Cranston, Mathieu Amalric, Jeffrey Wright, Scarlett Johansson, Benedict Cumberbatch, Rupert Friend, Hope Davis, Charlotte Gainsbourg, Willem Dafoe, Bill Murray...