
Après trois comédies et cinq spectacles, celui que l’on a découvert au Jamel Comedy Club réalise, écrit et joue dans son premier polar, à ne surtout pas manquer en salle le 11 juin prochain.
À Yaoundé au Cameroun, le commissaire Billong enquête sur le meurtre d’un officier de police. Dans la rue comme au sein de sa famille, il peine à maintenir l’ordre. Homme de principe et de tradition, il approche du point de rupture.
« Tu connais le chanteur Marvin Gaye ? »
Dès la scène d’ouverture, le ton est donné. Alors que son fils aîné tente de rentrer discrètement à une heure avancée de la nuit, Billong (Thomas Ngijol) l’attend et le confronte, mi-énervé mi-déçu. Père maladroit et autoritaire, il veut à tout prix lui transmettre certaines valeurs (la rigueur, le respect, le sens des responsabilités) et passe par une analogie désastreuse : « Tu connais Marvin Gaye ? Tu sais comment il est mort ? Son père l’a tué. »
En parallèle de l’enquête, Thomas Ngijol et son co-scénariste Patrick Rocher dressent le portrait d’un homme au bord du gouffre. Débordé au travail car entouré d’agents pas toujours très fiables, cela a un impact sur sa vie de famille qui se détériore à vue d’œil. Sa fille aînée Adeline a quitté la maison, excédée par son despotisme, ses deux premiers fils sortent beaucoup trop selon lui, les plus jeunes ont un goût un peu trop prononcé pour le rap et surprise, sa femme est à nouveau enceinte. Autant dire que sa vie n’est pas de tout repos !

Confronté à la violence d’un Cameroun gangréné par le chômage et la drogue, Billong veut que tout file droit chez lui mais oublie l’essentiel : aimer ses enfants est aussi important que les protéger. Ce que sa femme Odette (jouée par la très juste Thérèse Ngono) lui rappelle au cours de l’une de leurs disputes. Des disputes si réalistes qu’elles en deviennent poignantes. Car on le sent, ce film a été écrit et tourné avec les tripes. Peut-être parce que c’est est un hommage direct à la famille du réalisateur et acteur principal, en particulier à son père, le sociologue Gilbert Ngijol.
« La vérité est rapide, ce sont les mensonges qui prennent du temps »
D’un point de vue purement formel, le scénario d’Indomptables est adapté du documentaire Un crime à Abidjan de Mosco Boucault que Thomas Ngijol a découvert sur Arte. Et force est de reconnaître que ce qu’il en fait est ingénieux. En transposant le récit de la Côte d’Ivoire au Cameroun, Thomas Nigjol s’autorise un commentaire sur un pays qui ne manque pas de ressources et de charme mais qui semble avoir baissé les bras face à la corruption, aux trafics divers et avoir oublié l’importance du « publics » dans « services publics. »
Quant à l’enquête, même si elle fera rire les plus procéduriers d’entre nous, elle progresse. A un rythme particulier et avec des méthodes non reproductibles ailleurs certes mais elle progresse. Et c’est en cela que Thomas Nigjol et Patrick Rocher réussissent avec brio le jeu du dosage. Car en 1h21 seulement, les deux hommes parviennent à boucler chaque piste lancée, qu’il s’agisse de l’enquête, des affaires de famille ou de la crise de conscience de héros. D’ailleurs, on se demande s’il s’agit véritablement là d’un héros ou seulement d’un homme avec des valeurs dans un univers où le mot ne résonne plus.

En outre, Thomas Ngijol filme le Cameroun avec une objectivité assez déconcertante. On est loin du cinéaste qui tient à donner l’illusion que le pays d’origine de ses parents est un paradis sur terre. Non, il ne lésine pas sur les plans de rues bondées voire sales de Yaoundé, sur la cacophonie et les embouteillages du centre-ville. Il ne rechigne non plus pas à montrer la vie et le vivre ensemble, notamment dans la scène de repas archi-conviviale qui précède les coups de feu. Ou à l’inverse, à insister sur la lenteur des administrations où rien ne se passe si l’on ne s’énerve pas.
Indomptables fait dans le juste et l’authentique où chaque scène est pertinente. Preuve s’il en fallait une que l’on peut faire un bon polar à la limite de la critique sociale sans y passer 2h !
Indomptables.
Cannes 2025. Quinzaine des Cinéastes.
Durée : 1h21
Réalisation : Thomas Ngijol
Scénario : Thomas Ngijol et Patrick Rocher
Son : Pierre Tucat, Noëmy Oraison, Victor Fleurant, Sylvain Adas
Musique : Dany Synthé et Isko
Adaptation de : Un Crime à Abidjan de Mosco Levi Boucault
Photographie : Patrick Blossier et Marion Peyrollaz
Montage : Cécile Lapergue
Décors : Mansour Gueye
Avec Thomas Ngijol (Billong), Danilo Melande (Étamé), Bienvenu Mvoe (Patou), Thérèse Ngono (Odette)