
Attention, cette critique contient des spoilers. Présenté à la Quinzaine des Cinéastes, le premier long métrage du réalisateur chinois Jinghao Zhou est un tourbillon d’émotions et un choc visuel. Explications.
La patineuse artistique Jiang lutte pour sauver sa carrière sous le regard impitoyable de sa mère et entraîneuse, Wang. Sur la patinoire, elle trouve une âme soeur en Zhong. Mais lorsque Wang commence à entraîner Zhong, la tension monte et l’ambition de Jiang se transforme en obsession dévorante…
« On n’est pas toutes tes ennemis, tu sais »
Avec son premier film, Jinghao Zhou n’a pas fait les choses à moitié puisque son thriller psychologique est sans l’ombre d’un doute de ceux qui ont maintenu le public bien agrippé à leur siège pendant ce Festival de Cannes. Scène d’introduction mystérieuse et sanguinolante. Casting de haute volée avec des inconnues du grand public dans des rôles d’une complexité rare. Décors loin d’être les plus évidents, en l’occurrence les patinoires.
Dans cet un univers hyper concurrentiel, où la puberté est un ennemi et la perfection le seul objectif possible, Jinghao Zhou s’attarde sur la perte de repères de Jiang, jeune femme particulièrement déterminée mais qui ne parvient pas à combler les attentes de sa mère-coach, elle même ancienne patineuse. Et si la relation mère-fille est un élément incontournable de Girl on Edge, c’est avec des intentions précises que le cinéaste la fait sombrer dans une paranoïa certaine. Et nous avec !
Des traces de doigt sur ses lames de patin, à la prise de drogue en passant par ce crush qui ne semble pas complètement acquis, Zhong qui s’incruste dans les moindres aspects de la vie de Jiang… Et Jinghao Zhou de filmer la spirale dans laquelle est coincée notre héroïne avec sérieux. Entre la belle composition de plans, les jeux sur le blanc, le noir et entre, le rouge, les gros plans sur le visage de la comédienne Zhang Zifeng, parfaite dans le rôle principal, on aura rarement été aussi happé par le récit d’une femme à la dérive.
« Ce n’est pas mon sang à moi »
Outre la folie grandissante du personnage, impossible de ne pas évoquer la violence qui émane de Girl on Edge, du début au dénouement. Grâce à un montage efficace et brutal, Zhou Jinghao et Qi Xiaodong créent des séquences d’entrainements intensifs, particulièrement rudes à voir et à entendre. Car outre ce qui est montré à l’écran, le bruit des chutes sur la glace fait vaciller même les plus coriaces d’entre nous.
Et comme si cela ne suffisait pas, la relation particulièrement toxique de Jiang et sa mère Wang a de quoi donner la chair de poule, notamment lors des twists qui viennent clôturer les différentes intrigues et apportent un regard nuancé sur l’ensemble. Les plus cinéphiles tenteront évidemment de refaire tout le film à l’envers, avec les éléments désormais en leur possession, mais passeront peut-être à côté de l’essentiel. Savoir si tout est cohérent – comment Jiang réchappe à une agression sexuelle, si elle a vraiment consommé des vitamines à la place de drogues – ne retire rien au rush d’adrénaline provoqué par la plongée dans sa psyché.
De la lumière dans l’obscurité
Si la ressemblance avec Black Swan est évidente, Girl on Edge a le mérite de ne pas tuer son héroïne et d’en faire un personnage si fort qu’elle impressionne celles et ceux qui ne donnaient pas cher d’elle. En particulier sa mère, figure longtemps méprisable mais dont les motivation finissent par être comprises par tous – enfin la majorité. Elle est incroyablement incarnée par Ma Yili qui nous rappelle sans cesse qu’il n’y a parfois pas pire entraîneur que l’un de nos proches.
Le trio est complété par Ding Xiangyuan, si intrigante dans le rôle de Zhong. Et c’est parce qu’elle n’est jamais véritablement « méchante » dans l’interprétation de son personnage que ce dernier devient particulièrement inquiétant. Une ambivalence que l’on retrouve chez les deux autres personnages et leurs interprètes mais à des degrés différents.
Dur et violent, Girl on Edge n’oublie pas de créer des espaces de respiration pour le public. Notamment, et paradoxalement, grâce à l’amitié entre Jiang et Zhong, deux jeunes femmes qui sont bien trop seules pour l’avoir délibérément choisi. Leur complicité, lorsqu’il s’agit uniquement de complicité et non de rivalité, fait énormément de bien. Hors des patinoires, nous assistons attendris – mais un peu suspicieux quand même – à la réunion de deux femmes en quête de liberté et de reconnaissance.
Pour son premier film, Jinghao Zhou crée donc la surprise à Cannes, ne laissant présager que du bon pour la suite de sa carrière tant Girl on Edge est de ces films qui pourrait marquer une génération… de patineuses !
Girl on Edge.
Cannes 2025. Quinzaine des Cinéastes.
Durée : 1h48
Scénario : Zhou Jinghao
Son : Zhao Nan, He Wei
Musique : Björn Shen
Photographie : Yu Jing-Pin
Montage : Zhou Jinghao, Qi Xiaodong
Décors : Yu Jiarui
Avec Zhang Zifeng, Ma Yili, Ding Xiangyuan