Chien 51 : rien de neuf depuis Asimov

Chien 51 : rien de neuf depuis Asimov

En 2045, Paris est divisée en zones correspondantes aux classes sociales et surveillée par une IA, nommée Alma. Lorsque l’inventeur d’Alma est assassiné, Salia, une enquêtrice d’élite de la Zone 2, et Zem, un policier désillusionné de la Zone 3, doivent travailler ensemble pour trouver le coupable. Leur enquête va vite dévoiler une vaste conspiration qui remet en cause l’ordre établi.

L’intelligence artificielle n’est pas qu’un sujet économique ou technologique. Depuis son « invention » par Alan Turing, la science fiction s’est emparée largement du concept pour en faire, le plus généralement des dystopies. À commencer par Isaac Asimov, qui a posé les bases du genre (I, Robot date de 1950). Mais n’oublions pas HAL 9000 dans 2001 : L’odyssée de l’espace (Arthur C. Clarke / Stanley Kubrick), Do Androids dream of Electric Sheep (Philip K. Dick / Blade Runner par Ridley Scott), Neuromancer (William Gibson) ou plus récemment Machines Like Me (Ian McEwan) et Klara and the Sun (Kazuo Ishiguro). On le voit : le cinéma n’a jamais hésité à s’emparer de la machine qui domine l’homme à travers des adaptations. Spielberg a transposé Supertoys Last All Summer Long and Other Stories of Future Time de Brian Aldiss (A.I. Intelligence artificielle) et Rapport minoritaire de Philip K. Dick (Minority Report). Mais on peut aussi constater le même usage maléfique d’une technologie qui dépasse son créateur (coucou Frankenstein) dans Tron, War Games, The Terminator, Ghost in the Shell, The Matrix, Her, Ex-Machina, ou Wall-e

Chien 51 ne déroge pas à la règle. L’IA n’est pas une amie. Et c’est l’un des problèmes de ce scénario. Il ne s’agit plus d’être prophétique quant à l’avenir d’une IA qui commence à envahir notre quotidien. Aussi, on aurait pu s’attendre à une petite révolution sur les enjeux d’une société qui l’a intégrée dans son système de fonctionnement. Or le film ne fait que répéter ce que l’on sait déjà : une trop grande confiance dans une technologie, qui, comme toute invention scientifique, est ambivalente, ne peut conduire qu’à son ambition de surclasser l’humain. « Nous avons créé un monstre » : 75 ans qu’on le sait. So what?

Cyberthriller

Nous voici donc en territoire SF connu, avec un épilogue relativement convenu, et même légèrement prévisible. Le scénario, adapté d’un roman de Laurent Gaudé autrement plus complexe, n’aide pas plus à donner une profondeur à ce thriller pourtant bien ficelé. Tout y est assez binaire, de manière à ne jamais perdre le fil de ce polar geek complotiste. Au point, d’ailleurs, d’évincer des données essentielles à la crédibilité du récit. Elliptique à de trop nombreux moments, Chien 51 fait l’impasse sur des explications pourtant nécessaires.

Récapitulons : dans un avenir proche mais réaliste, Paris est découpé en zones. Une Zone 1, forteresse techno-sécuritaire, où se réfugie l’élite. Une zone 2 où des privilégiés vivent en relative liberté, à condition d’avoir le bon bracelet traçable. Une zone 3, banlieue pas chérie, où le peuple travailleur, délinquant ou débrouillard, s’entasse comme du bétail, tout juste autorisé à entrer dans les deux premières zones pour faire les petits boulots. Tel est ce futur Grand Paris reconstitué. Pas forcément original pour un film de SF, mais séduisant et cohérent visuellement (on voit bien les 42 millions d’euros de budget). Si on sait tout pour passer d’une zone à l’autre, on ne sait rien pour s’échapper de ces périmètres restreints. Ainsi on ignore comment des personnages font pour aller vivre à la campagne ou s’offrir une balade sur le littoral. Et plus généralement comment vit-on en dehors du Grand Paris?

Seconds-rôles hologrammes

C’est tout le paradoxe du film de Jimenez. Un produit très bien ficelé en matière de divertissement, plutôt prenant en terme de suspense et d’action. Et relativement insipide à l’arrivée tant le dernier tiers fonce à toute allure pour garder le rythme au détriment d’une réflexion sur son sujet. Mention spéciale au ministre de l’intérieur, incarné par Romain Duris, dont le rôle est particulièrement mal écrit (et pas vraiment bien joué) jusqu’à le laisser en plan alors qu’il aurait pu être un grand méchant. Et ce n’est pas le seul qui est ainsi maltraité : pourquoi avoir enrôlé Louis Garrel pour jouer les Anonymous caricaturaux et christiques, Valeria Bruni Tedeschi pour une médecin « sans frontières » qui a trois scènes, Artus pour un flic en chef de passage, Hugo Bardin pour un médecin légiste expédie en deux courtes séquences, Jeanne Herry, Féodor Atkine, Stéphane Bak pour des caméos ? Un beau générique où les stars n’apportent rien de substantiel et n’ont pas grand chose à imposer.

Heureusement, le duo impeccable Gilles Lellouche – Adèle Exarchopulos comble tous ces manques et frustrations.

Le monde dépeint dans Chien 51 n’incite pas à l’optimisme. L’avenir ne sera pas meilleur. Téléréalité (mal exploitée), pornographie avec des hologrammes, surveillance permanente, grosse pub Lacoste (un placement produit double puisqu’Adèle en est aussi l’égérie). On voit bien que le consumérisme et l’autoritarisme ont gagné le quotidien de chacun.

« – J’ai demandé notre taux de compatibilité. – Et? – 14%. – Ça marche bien alors. »

C’est ce propos politique qui pousse à légitimement nous interroger. Rien de nouveau, une fois de plus, mais salutaire, une fois encore. Mais là aussi, le genre l’emporte sur le fond. Contrairement à un Neil Blonkamp, dont on mesure son influence ici, Jimenez préfère laisser en surface l’enjeu politique pour ne s’intéresser qu’à la banale lutte contre l’IA, forcément maléfique. Efficace, le réalisateur remplit le contrat assigné : un film grand public, digne d’un blockbuster hollywoodien, avec un sujet « contemporain ».

Scénario codé et pas crypté

Dès le prologue avec un assassinat brutal, il enchaîne : courses poursuites, fusillades, situations sous haute-tension, violences policières, morts à la pelle. Il y a des drones tueurs, des checkpoints partout, des outils connectés de toute part. La justice est exécutoire, gérée par des algorithmes. L’humain ne contrôle plus rien, et, logiquement, Jimenez désincarne progressivement ce récit. Il y a bien quelques résistances, quelques révoltes et quelques rebelles. Mais on sent les protagonistes impuissants, défaits par avance. Leur sang et leur chair ne comptent plus. Tout ceci devrait nous glacer.

L’effroi est hélas vite balayé par le diktat du tempo. On en perd parfois la notion de perspectives et d’espace tant celui-ci est frénétique. Rarement, on aura souhaité qu’un film dure un peu plus longtemps pour nous laisser souffler, saisir les enjeux, digérer les infos, accepter cette post-réalité, et comprendre les parcours de chacun. L’écriture ainsi épurée au profit de la mise en scène aura un avantage : toucher un public international, plaire au plus grand nombre, sans heurter quelconque censure.

Ainsi, ces traques sans répit et ces ellipses trop appuyées permettent d’effacer de nos mémoires immédiates les invraisemblances du scénario. On en conclut qu’il s’agit d’un film sur la manipulation de la vérité et que, finalement, c’est le spectateur qui a été manipulé.

Chien 51
Festival de Venise. Hors-compétition.
1h46
Sortie en salles : 15 octobre 2025
Réalisation : Cédric Jimenez
Scénario : Olivier Demangel et Cédric Jimenez, d’après le roman de Laurent Gaudé
Musique : Guillaume Roussel
Photographie : Laurent Tangy
Distribution : StudioCanal
Avec Gilles Lellouche, Adèle Exarchopoulos, Louis Garrel, Romain Duris,
Valeria Bruni Tedeschi, Artus, Lala &ce, Hugo Dillon, Stéphane Bak, Féodor Atkine, Jeanne Herry, Hugo Bardin...