Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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En lui confiant le rôle d’invitée d’honneur de sa 12e édition, le Festival des Scénaristes a eu le nez fin : Pascale Ferran adore parler de son travail et de comment s’élabore un scénario. Même si sa réponse préférée est "il n’y a pas de règles", la réalisatrice-scénariste césarisée pour Lady Chatterley a offert aux festivaliers berruyers des propos intelligibles et intelligents sur cette étape toujours un peu mystérieuse de la genèse d’un film. Entre transmission et partage, rencontre avec une passionnée passionnante.
" EN : Et quelle différence cela induit-il de travailler sur une adaptation littéraire par rapport à un scénario original ?

PF : Cela n’a vraiment aucun rapport. Dans une adaptation comme celle de Lady Chatterley, la question première est : qu’est-ce que l’on va soustraire pour produire le dessin du film à venir, pour faire apparaître sa ligne de force ? Sans doute n’est-ce pas pareil pour une nouvelle de dix pages, où là au contraire, il y a beaucoup à construire. Mais si l’on prend l’exemple du roman de D.H. Lawrence, on est face au livre d’un scénariste de génie. Les dialogues, notamment, sont éblouissants. Et puis il a le sens des situations en tant que tenseur dramatique. Prenez la scène où le fauteuil roulant de Clifford a un accident. Lawrence a inventé une scène où l’impuissance physique du personnage est métaphorisée dans son impuissance face à la machine, sous les yeux de sa femme et de l’un de ses domestiques. Pour lui, c’est extrêmement humiliant car cela réaffirme le besoin qu’il a d’eux. C’est ainsi dans le tout le roman : tout est toujours basé sur des micro-événements plutôt que sur la psychologie. C’est assez rare ! Ca ne m’était pratiquement jamais arrivée qu’une transposition pour le cinéma soit si simple avant ce coup de foudre pour Lady Chatterley.

EN : Et dans le cas d’un scénario original…

PF : C’est une équation à 55 inconnues ! On ne sait pas quoi commencer à transformer en connu. Et puis des fois les choses s’imposent assez vite. Là ce n’est pas soustraire, c’est accumuler par bribes : des bouts de dialogues, des esquisses de personnages… Il faut accumuler du matériel pour que les choses puissent commencer à se développer. Quand j’en ai assez, je peux commencer à rédiger dans l’ordre.

EN : Pour en revenir un instant à Lady Chatterley, pourquoi existe-t-il deux versions du film ?

PF : Dès le départ, je savais que le film serait long. Par estime et amitié pour Pierre Chevalier de la chaîne Arte, je lui ai parlé du projet. J’avais besoin de convaincre quelqu’un que je pouvais, moi, envisager de faire ce film. Il m’a proposé deux épisodes d’1h40, ce qui semblait assez logique pour adapter le roman. Et puis, très vite, on s’est dit avec mon coscénariste Roger Bohbot que ce serait vraiment dommage de ne pas en faire un film de cinéma, car c’est un projet très cinématographique. Dès l’écriture, on savait donc qu’il y aurait deux versions différentes. On s’est amusé à les écrire. Le principe était que la seconde, pour le cinéma, soit recentrée sur le couple tandis que la version télévisée tourna autour du quatuor : les deux amants, le mari et la garde-malade. Cela crée une vraie différence de point de vue d’un film à l’autre.

EN : Contrètement, comment avez-vous travaillé ?

PF : Une fois la version longue terminée, quand on en a été content, on est passé à une version plus courte en enlevant des scènes ou en en ajoutant pour faciliter le passage d’une séquence à l’autre. Sur le tournage, il n’y avait que moi qui savais pour quelle version on était en train de tourner. Tout le monde faisait comme si c’était un seul et même film, sinon ç’aurait été trop dur. Ce qui a rendu les choses assez faciles dans ma tête, c’est que D.H.Lawrence a écrit trois versions du roman… donc c’est comme s’il n’y avait plus d’original, mais une histoire racontée de plusieurs façons.

EN : Comment avez-vous distingué ce qui était “cinématographique” ou au contraire plus adapté à la télévision ?

PF : En fait, pour moi, il s’agissait surtout de deux films de cinéma de durée différente. A partir du moment où je tourne, dans ma tête, c’est dans le but d’être projeté sur un écran, parce que je suis un peu constituée comme ça… Mais la version télévisée a quand même des particularités. Comme elle était en deux parties, elle était au départ destinée à être diffusée deux jours de suite. Pour moi, c’est le goût du feuilleton qui revenait… Donc on a terminé la première partie sur un petit suspense. La scène finale de la version télévisée ne raconte pas la même chose que dans le film. On s’est bien amusé avec ça, à imaginer une structure en chapitres qui produit des effets de sens. Même si au final, Arte a diffusé les deux épisodes le même soir.

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