Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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 (c) Ecran Noir 96 - 24



We are what we are, présenté à la Quinzaine des réalisateurs, a fait sensation comme "le film de cannibales" du Festival de Cannes 2013. Il met en scène une famille refermée sur elle-même qui, pour survivre, consomme de la viande humaine. Loin de tout sensationnalisme (hormis peut-être la scène de fin), le film est un pur huis clos anxiogène sur l’implosion d’une cellule familiale soumise à des tensions inacceptables

Il s’agit du troisième long métrage du réalisateur américain Jim Mickle, qui s’est fait un nom auprès des amateurs de films de genre avec un film de zombies, Mulberry street, et un autre de vampires, Stake land. Pour We are what we are, il s’est inspiré de Somos lo que hay du Mexicain Jorge Michel Grau, déjà présenté à la Quinzaine des Réalisateurs en 2010. Fasciné par le regard intimiste porté par Grau sur cette famille dysfonctionnelle, il s’est réapproprié le récit avec une sobriété glaçante, lui apportant un sous-texte sociétal évident.

Ecran Noir : Pourquoi avoir eu envie de faire le remake d’un film aussi récent que Somos lo que hay de Jorge Michel Grau ?





Jim Mickle : Je n’avais pas envie de faire un remake ! Mais j’ai eu le sentiment que dans le film originel, il y avait un bon concept à partir duquel on pouvait faire quelque chose d’intéressant. Et Jorge Michel Grau nous a fait confiance.

EN : Quel était ce concept ?

JM : C’était l’idée d’une famille de cannibales dysfonctionnels. Ce qui m’intéressait, c’était ce tabou sombre, ce sujet extrême sur lequel Grau avait porté un regard tout à fait intimiste. Le film original laissait beaucoup d’espace pour l’interprétation. Rien n’était dit de manière frontale. J’ai aimé ce concept extrêmement large avec une manière de le traiter qui passait par quelque chose d’extrêmement spécifique et étroit.

EN : Vous avez gardé ce traitement très intime, le film est presque un huis clos !

JM : Oui, tout à fait. Mon film précédent s’intéressait à un sujet très large et c’était un road movie. Du coup, pour celui-là, j’ai eu envie de quelque chose complètement à l’opposé. Ca m’intéressait de voir comment en faisant un film qui se déroulait presque dans une seule pièce, autour de la table, on allait arriver à créer de la tension.

EN : Bien sûr, le film parle de cannibales. Mais il met surtout en scène une famille qui implose. Le père de famille exerce une autorité si forte sur ses enfants qu’il provoque cette implosion.

JM : Et plus encore, je crois que c’est une famille où on voit un père qui perd le contrôle. Il essaye de maintenir la cohésion dans sa famille après un drame. Mais il n’est pas équipé pour cela et il va arriver à un résultat contraire. ET c’est vraiment dans ce sens que l’on a dirigé l’acteur principal Bill Sage. A aucun moment le personnage du père n’a la volonté de mal faire, ou de briser la vie de ses enfants. Il essaye au contraire de faire tout ce qu’il peut, mais ça ne fonctionne pas.

EN : Les films de genre ont souvent une intention cachée, une volonté de parler de notre époque et d’en dénoncer les contradictions ou les erreurs. Peut-on voir cela dans cette manière qu’a le film de montrer un père s’escrimant à faire le bien de ses enfants et qui, au final, atteint exactement le résultat inverse ?

JM : C’est tout à fait vrai ! Je crois qu’il y a un message politique mais aussi religieux. Bill Sage est un acteur très intelligent, il a compris ça immédiatement quand il a lu le scénario. Pour moi et mon coscénariste [Nick Damici, avec lequel il a déjà cosigné ses deux premiers longs métrages], ce film était une manière de montrer comment les hommes voient les femmes. Mais aussi la politique américaine : comment les hommes essayent de contrôler les femmes, de les réguler. C’est aussi une manière de revenir sur le fait que beaucoup, dans la politique américaine, est le résultat d’un mélange entre la politique et la religion. Il semblerait qu’aujourd’hui, ce mélange dicte la plupart des actions politiques. C’était tout à fait intéressant pour nous de voir à quel point un petit drame avec trois personnes peut se faire le reflet de cette réalité politique et sociale.

EN : D’ailleurs, les deux personnages féminins sont très intéressants. Ils sont extrêmement atypiques. Les deux jeunes filles sont sous l’autorité de ce père, mais elles la contestent et finissent par prendre le dessus avec des moyens peu "féminins" dans l’imaginaire collectif…

JM : Oui ! Je pense qu’à la fin, avec une action qui est très grotesque, elles font leur déclaration d’indépendance, si on peut dire !

EN : Puisque l’on parle de cette fameuse scène que vous qualifiez de grotesque, lorsque les jeunes filles se rebellent physiquement contre leur père, pourquoi devait-elle être filmée ainsi ?

JM : Je crois que poétiquement, ça fonctionne. On s’était aussi donné une règle avec mon coscénariste qui était de boucler la boucle, d’aller jusqu’au bout des choses. Si je dis "grotesque", c’est parce que je pense que les gens voient la scène de cette façon. Moi je la vois un peu comme une belle fin un peu biblique. Je voulais montrer les deux côtés : l’aspect esthétique de la chose, qui est représenté par le moment où elles vont marquer le corps avec le rouge à lèvres, dans une scène très visuelle et très forte, et on voulait aussi montrer le moment où finalement la nature prend le dessus. Parce que c’est vrai que c’est ce que l’on a montré jusqu’à présent dans les deux films précédents, et on voulait faire la même chose dans celui-ci et garder cette ligne de travail. A la fin, on voit que la nature gagne et la question c’est "est-ce qu’elles sont nées comme ça ou est-ce qu’elles sont comme ça parce qu’elles ont été éduquées comme ça ?"


   MpM